La SNCF, Lancôme et Yop, gagnants du XVIème palmarès Ipsos de la publicité

Ipsos vient de dévoiler les résultats du palmarès 2002 de la publicité. En un an, plus de 1700 campagnes télévision-cinéma, presse et affichage ont été testées auprès des consommateurs français : la SNCF emporte la palme de la meilleure campagne affichage, Lancôme celle de la meilleure publicité "presse", Yop gagne le trophée du spot télévisé préféré.

Quelques associations de consommateurs, certains sondages véhiculent parfois l'idée que les Français seraient devenus publiphobes … On ne trouve pas trace de cette idée reçue dans les mesures réalisées par Ipsos depuis 20 ans. Aujourd'hui comme hier, les Français aiment, beaucoup, les bonnes publicités. Pour preuve, les 30 campagnes qui arrivent en tête du palmarès de cette année ont toutes un agrément positif compris entre 75 et 90% : presque un plébiscite !

L'amitié, la sexualité, la famille : les valeurs sûres marchent à plein régime, et obtiennent les meilleurs scores d'agrément, spécifiquement pour les campagnes télévisées. La recette de la pub efficace semble simple : faire rire avec et sur les grandes vérités sociales, les vérités de toujours :

  • on ne confie pas par exemple ce que l'on a de plus précieux, même à son meilleur ami (tellement pas qu'on préfère planter sa bouteille de Yop sur sa tête aux toilettes) ;
  • "rira bien qui rira le dernier" (le père de la Française des Jeux qu'on pensait frustrer en lui faisant un petit cadeau minable caché sous son assiette pour Noël rend toute sa famille folle de jalousie parce que ce cadeau s'avère être une vraie caverne d'Ali Baba) ;
  • les femmes sont des maîtresses de maison parfaites avant d'être des maîtresses (comme celle de Brandt qui déshabille les hommes pour laver leurs vêtements, non pour coucher avec eux).
    Dans les trois films Yop, Brandt, Française des Jeux, il n'y a ni vision de marque, ni grande déclaration de principe, ni engagement solennel, pas de promesse innovante, aucun modèle d'identification, aucun héros, aucun message subliminal, aucun pari sur l'avenir, aucune démonstration produit. Rien de tout cela ; juste des petites comédies populaires nous rappelant à tous ce que nous savons déjà :
  • il faut savoir se méfier même de son ami le plus fidèle,
  • les femmes pensent au linge avant de penser au sexe,
  • est toujours pris celui qui croyait prendre.

Ces films donnent les ingrédients d'une publicité efficace aujourd'hui : sagesse populaire plus humour.

Chanel N° 5 nous le rappelle : on prend un conte très connu, très populaire, le petit Chaperon Rouge et on inverse les rôles : le petit Chaperon Rouge n'est pas croqué par le loup, c'est au contraire lui qui vampe les loups et les transforme en toutous dociles. On joue avec l'inconscient populaire, comme une façon de le revisiter, de le réinterpréter sans arrêt, de le mettre au goût de l'époque. On est ainsi en phase avec ce les Français demandent à la pub, de détourner les idées reçues, de les donner en spectacle, sans doute pour mieux s'en protéger, peut-être surtout pour recréer un lien, dans une société à plusieurs vitesses, dans un monde incertain et sous pression. Le spot Channel est une pub esthétique au sens propre, au sens où elle fait partager des sensations, des émotions, en puisant dans la matière populaire des contes, des proverbes, des histoires qu'on se raconte de génération en génération.

Cette esthétisation de la publicité est encore plus sensible quand on regarde les meilleures campagnes en affichage : SNCF (avec le TGV), Orange, RATP : trois marques dont les images publicitaires sont dignes des magazines de mode ; trois langages à la fois très sensibles et très esthétiques ; trois langages beaucoup plus visuels que discursifs, plus graphiques que rhétoriques.
Aujourd'hui, les institutions, surtout quand elles viennent du service public, s'achètent leurs parts de désir et de modernité à coups d'images intimistes, sensuelles, sensibles. On comprend les gens, on les observe de très près, on les montre tels qu'eux-mêmes, à peine arrangés par une très jolie photo, on leur parle juste, on leur parle vrai : c'est le nouveau contrat publicitaire.

Les affiches dans la rue apparaissent comme un petit bout de conversation dans un dîner ou un déjeuner sympa, on se concentre sur la justesse des propos (prenez le temps d'aller vite - TGV, un bout de chemin ensemble - RATP, le futur vous l'aimez comment -Orange).
On soigne son style, rigoureux, précis, léché, sobre. On ne cherche pas à "épater la galerie", à jouer les inspirés, les prophètes de bon augure ou de mauvais, les avocats de grandes causes ou de plus petites.
La publicité ne passe plus en force, elle passe en douce, en douce et en douceur. Elle ne cherche plus les dissonances, les contrepoints, les paradoxes ; elle veut l'harmonie, la légèreté, la nuance. Sans doute parce qu'elle a compris qu'elle ne pouvait plus décemment ajouter encore au vacarme et à la fureur du monde dans lequel on vit.

Dans la presse, la publicité pousse l'esthétisation à l'extrême, flirtant avec d'autres registres et d'autres disciplines. Elle joue avec les références artistiques, comme 1664 qui détourne les montres molles de Dali), applique les logiques de la mode à des produits de grande consommation comme Canderel qui lance une collection pocket avec des packs léopard à la Versace, bayadère à la Paul Smith, écossais à la Burberry, power flower à la Kenzo ; avec Lancôme, elle s'inspire encore des grandes couvertures de Blumenfeld du Vogue New York des années 50.
Là encore les mots s'effacent au profit des images :

  • 1664 nous dit à la façon d'un haïku japonais quatre chiffres, une bière ;
  • Lancôme nous rappelle une évidence universelle : l'amour est un trésor ;
  • Perrier, Jean-Paul Gaultier et beaucoup d'autres parfums ont tout simplement banni les mots de leur pub.

La publicité "presse" a délesté le choc des photos du poids des mots.
L'image est aujourd'hui reine, souveraine, elle imprime sa marque sur le monde, elle le montre à son image. Le monde dessine l'image de la marque, son logo, son identité visuelle (cf. 1664), le monde devient un pur reflet des images des marques.

"Il ne faut pas imiter la vie, il faut travailler comme elle.", proverbe chinois sur la peinture qui dit aussi la vérité de la publicité actuelle.
Celle-ci ne doit pas imiter la vie, la reproduire, la singer, "l'artificialiser" en créant de faux désirs, des spectacles inutiles, des semblants d'histoires. Aujourd'hui, tout le monde connaît la machinerie publicitaire, son petit théâtre de marionnettes, tout le monde sait que la loi des marchés et de l'argent tire les ficelles.
Travailler comme la vie pour la publicité, ça veut dire être plastique, mobile, sensible, réactif et immédiat. C'est à ce prix qu'elle est efficace. Et c'est comme ça aussi que les Français l'aiment. Les gagnants du Palmarès l'ont compris.

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