Le chômage et l’employabilité - Regards croisés des chefs d’entreprise et des salariés

A l’occasion de la cinquième vague de l’Observatoire Social de l’Entreprise et alors que les effets de la crise sur l’emploi se font toujours plus forts, Ipsos et le CESI, en partenariat avec Le Figaro et BFM, ont souhaité faire le point sur les thèmes du chômage et de l’employabilité. Comment chefs d’entreprise et salariés jugent-ils aujourd’hui la situation de l’emploi dans leur entreprise? Un plan social est-il à craindre dans les prochains mois ? A quelles concessions les salariés seraient-ils prêts pour l’éviter ? Comment évaluent-ils la probabilité de connaître une période de chômage et leurs possibilités de retrouver un emploi ? Plus largement, comment jugent-ils leur niveau actuel d’employabilité ? Et comment les chefs d’entreprise considèrent-ils celui de leurs salariés ? Augmenter le niveau d’employabilité de leurs salariés est-il perçu comme une menace ou une opportunité ? Pour répondre à ces questions, Ipsos a interrogé 400 chefs d’entreprise (par téléphone) et 1000 salariés du secteur privé (par internet). Les interviews se sont déroulées du 11 au 25 octobre 2012.

Auteur(s)
  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs
  • Amandine Lama Directrice de Clientèle, Département Politique et Opinion, Public Affairs
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Volet barométrique : des perspectives sombres pour les entreprises françaises

Depuis 2009 et la mise en place de l’Observatoire social de l’entreprise, les chefs d’entreprise n’ont jamais été aussi pessimistes quant à l’évolution de l’activité de leur entreprise.

Une baisse d’activité est désormais anticipée par 43% des chefs d’entreprise pour les 6 mois à venir (+14 points par rapport à la dernière vague réalisée fin 2011). Les entreprises de 1 à 9 salariés sont celles qui anticipent le plus une diminution de leur carnet de commandes (45% contre 34% des entreprises de 10 à 499 salariés et 19% des entreprises de 500 salariés et plus).

Les salariés sont un peu moins pessimistes que les chefs d’entreprise, sans être pour autant enthousiastes. Pour la première fois depuis 2010, les salariés du secteur privé anticipant une hausse de l’activité ne sont pas plus nombreux que ceux qui pensent qu’elle sera en baisse : 27% tablent sur une baisse d’activité de leur entreprise (+3 points) soit une proportion équivalente à ceux qui pensent que l’activité va augmenter (27% ; -1 point).

D’ailleurs, la reprise économique dans leur secteur d’activité apparaît toujours plus lointaine aux salariés : seuls 33% jugent que cette reprise a déjà eu lieu (contre 49% lors de la dernière vague). Les salariés considèrent en moyenne qu’elle aura lieu dans 13 mois (contre 11 mois fin 2011). Ils restent néanmoins plus optimistes que les chefs d’entreprise qui pensent que la reprise dans leur secteur n’interviendra que dans 20 mois en moyenne (contre 23 fin 2011). Pour beaucoup de dirigeants, la crise continue de s’éterniser et aucun signal de reprise ne semble devoir se manifester avant près de 2 ans.

Les indicateurs de santé économique des entreprises sont en baisse et font craindre pour l’emploi.

Chez les chefs d’entreprise, la quasi totalité des indicateurs se dégradent de manière significative et atteignent leur plus bas niveau historique : l’optimisme quant au maintien de l’emploi dans leur entreprise (59% d’optimistes; -13 points par rapport à fin 2011) ; la possibilité de proposer des formations à leurs salariés (40% ; -16 points) ; le développement économique du secteur d’activité de leur entreprise (34% ; -11 points) ; l’augmentation des salaires ou du pouvoir d’achat de leurs salariés (16% ; -13 points) et la capacité à embaucher de leur entreprise (15% ; -2 points). Le seul indicateur qui se maintient par rapport à la dernière vague est le niveau de stress des salariés : 57% des chefs d’entreprise demeurent optimistes à ce sujet. Les salariés le sont beaucoup moins : seuls 34% d’entre eux le sont (-4 points par rapport à la dernière vague). Clairement, au-delà de la reprise qui ne se profile pas, il semble bien que les chefs d’entreprise se préparent à une crise dont les effets dans leur esprit risquent d’être plus dévastateurs qu’en 2008.

Si les salariés demeurent majoritairement confiants en ce qui concerne le maintien de leur emploi dans l’entreprise (74% ; -1 point), l’optimisme en la matière n’a jamais été aussi bas depuis la mise en place de l’Observatoire. Les salariés pessimistes quant au maintien de leur emploi dans l’entreprise (26% de l’échantillon) sont surreprésentés parmi les séniors (38% des 50 ans et plus), les salariés des entreprises de 1 à 9 salariés (31%) et du secteur de l’industrie (32%). Sans surprise dans ce contexte, le maintien de leur emploi est désormais leur principale préoccupation professionnelle pour les 6 prochains mois (30% le citent en premier ; +2 points), même si le niveau de leur pouvoir d’achat reste une inquiétude forte (29% citent le niveau de salaire; stable).

L’optimisme des salariés est par ailleurs minoritaire et en baisse sur la quasi-totalité des autres indicateurs testés : le développement économique du secteur d’activité de leur entreprise (48% ; -4 points), la capacité à embaucher de leur entreprise (31% ; -1 point) ou l’augmentation de leur salaire ou de leur pouvoir d’achat (18% ; -1 point). Seul l’indicateur concernant la possibilité bénéficier de formation se maintient (47% d’optimistes).

La situation interne des entreprises se dégrade en conséquence, en particulier en ce qui concerne l’emploi.

Le contexte actuel impacte fortement la perception que les chefs d’entreprise ont de la situation interne de leur entreprise : s’ils considèrent toujours très majoritairement que les relations entre les salariés et leurs supérieurs hiérarchiques directs sont bonnes (93% ; -3 points) et que les salariés adhèrent aux grandes orientations de l’entreprise (75% ; -2 points), la dégradation est sensible en ce qui concerne le climat social en général (73% ; -9 points), la charge de travail (69% ; -13 points), les rémunérations (65% ; -13 points). La dégradation est particulièrement sévère en ce qui concerne l’emploi : seuls 48% des chefs d’entreprise considèrent désormais que la situation en la matière est bonne dans leur entreprise (-17 points). Ils sont sur ce point significativement plus alarmistes que les salariés qui considèrent quant à eux à 63% que la situation est bonne (-4 points).

Sur les autres points, les salariés se montrent plus critiques que les chefs d’entreprise.Seule une minorité d’entre eux considère notamment que la situation est bonne en matière de rémunérations (47% ; +1 point) ou d’adhésion aux grandes orientations de l’entreprise (47% ; -1 point).
D’ailleurs, si un mouvement social se développait au sein de leur entreprise, près d’un salarié sur deux aurait envie d’y participer (47% ; -6 points cependant).

Volet thématique : chômage et employabilité dans un contexte de crise

L’impact de la crise sur l’emploi est tangible dans nombre d’entreprises.

Au cours des 3 dernières années, les salariés du secteur privé interrogés dans le cadre de l’enquête ont observé les effets de la crise sur l’emploi dans leur entreprise : plus de 4 salariés sur 10 ont observé davantage qu’auparavant le non remplacement de départs (44% ; 52% dans le secteur de l’industrie), le non renouvellement ou l’arrêt de CDD ou de missions d’intérim (43% ; 53% dans l’industrie) ou des gels d’embauche (43% ; 52% dans les entreprises de plus de 500 salariés). Près d’un salarié sur cinq a également observé davantage de licenciements économiques individuels (21% ; 37% dans la construction), davantage de plans sociaux (19% ; 25% dans le secteur de l’industrie) et plus d’interruptions de périodes d’essai (16% ; 21% des cadres).

Sans surprise, les salariés qui ont observé une recrudescence du recours à ces mesures dans leur entreprise ont le sentiment qu’elles ont eu un impact important sur l’ambiance générale (80%), leur charge de travail (72%), leur niveau de stress (69%), leur motivation (68%) et leurs relations avec leur hiérarchie (55%).
Parmi les salariés qui ont observé des suppressions d’emploi dans leur entreprise (36% de l’ensemble des salariés interrogés), une courte majorité considère d’ailleurs qu’elles n’étaient pas justifiées (19% contre 17% qui les considèrent « malheureusement justifiées), ce qui est un bon indicateur de la dégradation du climat général dans l’entreprise.

La situation est d’autant plus alarmante que près d’un chef d’entreprise sur cinq considère qu’un plan social est probable dans leur entreprise dans les prochains mois (19% dont 3% « tout à fait probable »). C’est même le cas de 27% des chefs d’entreprise du secteur du BTP interrogés.
Pour éviter d’en arriver à une telle extrémité, les salariés sont prêts à des concessions fortes : 64% des salariés concernés seraient prêts à renoncer aux 35 heures pour éviter un plan social important dans leur entreprise ; 59% accepteraient un gel des salaires et 54% pourraient même accepter des périodes de chômage partiel. En revanche, moins d’un salarié sur trois serait prêt à consentir une légère diminution de salaire (32%). Les chefs d’entreprise sont conscients des concessions que leurs salariés seraient prêts ou non à faire : 61% pensent que la majorité de leurs salariés seraient prêts à renoncer aux 35h pour éviter un plan social important, 59% qu’ils accepteraient un gel des salaires, 51% des périodes de chômage partiel et seulement 28% une légère diminution des salaires.

Les concessions que les salariés sont prêts à consentir pour conserver leur emploi sont révélatrices du très haut niveau de crainte du chômage.

Aujourd’hui, 61% des salariés interrogés estiment qu’ils connaîtront probablement une période de chômage au cours de leur carrière (dont 24% « certainement »). Plus d’un salarié sur cinq jugent même qu’il existe une importante probabilité qu’ils connaissent une période de chômage dans les deux prochaines années (27% dont 13% qui considèrent même que cette probabilité est « très importante »). Les salariés qui jugent le plus probable de se retrouver au chômage sont les femmes (29% jugent la probabilité importante), les séniors (30% des 50 ans et plus), les salariés des entreprises de 1 à 9 salariés (34%) et ceux du secteur de l’industrie (37%). Les salariés les plus modestes sont également particulièrement inquiets (40% de ceux dont le revenu net mensuel est inférieur à 1250€ estiment que leur probabilité de connaître une période de chômage dans les 2 prochaines années est importante).

La peur du chômage est renforcée par le sentiment majoritaire des salariés du privé que s’ils se retrouvaient au chômage dans les cinq prochaines années, il leur serait difficile de retrouver un emploi équivalent (69% le pensent dont 26% qui jugent même que ce serait « très difficile »). Les séniors sont même une majorité à penser que cela leur serait « très difficile » (57% des 50 ans et plus). Les ouvriers sont également plus nombreux que la moyenne à le penser (34% pensent que cela leur serait « très difficile »). Les salariés qui considèrent le plus que retrouver un emploi leur serait facile sont les plus jeunes (44% des 18-29 ans) et les cadres (38%). Malgré tout, ce sentiment est minoritaire dans toutes les catégories de salariés.

Renforcer son niveau d’employabilité est une nécessité dans le contexte actuel.

Si seule une minorité de salariés et même de chefs d’entreprise déclarent savoir ce que signifie le terme « employabilité » (respectivement 47% et 41% le connaissent), ils semblent en pratique s’accorder sur l’importance dans le contexte actuel de renforcer cette capacité à conserver ou à retrouver un emploi dans des délais raisonnables grâce à une acquisition continue des compétences.

En effet, selon les salariés du privé interrogés, l’atout le plus important pour retrouver un emploi est le fait d’avoir la capacité et les compétences permettant de changer de poste ou de secteur d’activité (70% le citent parmi les 3 principaux atouts), devant le fait de réussir à rester motivé (61%), d’avoir des relations (53%), d’accepter de faire des sacrifices en termes de rémunération, d’éloignement ou d’intérêt du travail (50%) ou d’avoir de la chance (39%). Le fait d’avoir des diplômes est l’atout le moins cité (27%). La formation initiale ne semble plus aujourd’hui suffire pour trouver ou retrouver un emploi, en particulier quand l’âge des salariés avance : si 30% des moins de 40 ans considèrent qu’avoir des diplômes est un atout important pour trouver un emploi, seuls 23% des 40 ans et plus pensent de même.

Si les salariés pensent qu’il faut pouvoir changer de poste ou de secteur d’activité pour retrouver un emploi, tous n’en sont pas capables. D’ailleurs 45% des chefs d’entreprise interrogés déclarent qu’il leur arrive de proposer des offres d’emploi qu’ils n’arrivent pas à pourvoir, faute de trouver le bon profil. Pour 22% des chefs d’entreprise, c’est même un problème qu’ils rencontrent « souvent ».
Les salariés, lorsqu’ils auto-évaluent leur niveau d’employabilité, jugent en général favorablement leurs capacités à évoluer dans leur domaine : 78% considèrent qu’ils disposent de qualités professionnelles et d’une expérience qui sont recherchées dans leur domaine d’activité ; 61% pensent que leur entreprise les a fait évoluer sur différentes missions qui leur ont permis d’enrichir leurs compétences et 51% considèrent que les formations professionnelles dont ils ont pu disposer leur permettent de rester au fait des innovations dans leur domaine d’activité. Ils sont en revanche conscients qu’il leur serait plus difficile de sortir de leur champ de compétences et de leur secteur d’activité actuel : seuls 40% considèrent que s’ils le souhaitaient, il leur serait plutôt facile de trouver un emploi dans une entreprise évoluant dans un secteur différent du leur et seuls 39% considèrent que leur entreprise leur offre suffisamment de formations leur permettant d’acquérir de nouvelles compétences.

Pourtant, aux yeux mêmes des chefs d’entreprise, améliorer l’employabilité de leurs salariés est considéré plutôt comme une opportunité (71%) que comme un risque (19%). En leur permettant d’acquérir des compétences tout au long de leur carrière (et notamment des compétences transférables à d’autres secteurs d’activité), les dirigeants d’entreprise peuvent contribuer à réduire les problèmes d’adéquation entre l’offre et la demande d’emploi dont ils sont également les victimes.

De leur côté, les salariés agissent encore peu pour améliorer leur propre niveau d’employabilité. Seule une minorité d’entre eux consulte régulièrement les offres d’emploi pouvant les concerner (22%) et soigne leurs relations à l’intérieur de l’entreprise (26% le font régulièrement) ou en dehors de l’entreprise (seuls 17%), y compris via les réseaux sociaux professionnels (seuls 7% le font régulièrement ; 18% des cadres).

Or aujourd’hui, être prêt comme 82% des répondants à être formé à un métier totalement différent en cas de chômage n’est plus suffisant. C’est tout au long de la carrière que les salariés peuvent conforter leurs capacités à rebondir.

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  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs
  • Amandine Lama Directrice de Clientèle, Département Politique et Opinion, Public Affairs

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