Le climat d’opinion à deux mois du référendum
Nouvelle poussée du "non", mobilisation inférieure à 50% : Pierre Giacometti, directeur général d'Ipsos, commente les résultats de la dernière vague de l'observatoire du référendum sur la constitution européenne, réalisée par Ipsos pour Le Figaro et Europe 1.
1. La nouvelle détérioration du "oui" dans les intentions de vote concerne exclusivement l’électorat de gauche
Le clivage gauche/droite continue de s’accentuer. Alors que le "oui" reste stable à droite, parmi les sympathisants de l’UMP et de l’UDF, son niveau continue de se détériorer à gauche. Pour la première fois dans l’Observatoire Ipsos, toutes les sensibilités de gauche, sans exception, se prononcent en faveur du "non". Soutenu massivement chez les sympathisants d’extrême gauche et du PCF, le "non" enregistre une nouvelle poussée dans l’électorat socialiste, où il est désormais majoritaire. Le portrait-robot du "non de gauche" fait apparaître trois traits distinctifs du "non de droite" : sur-représentation dans les classes d’âge actives (de 25 à 50 ans), parmi les salariés, notamment du secteur public. Le cœur du socle sociologique de la gauche est touché.
Au-delà des sympathies partisanes, sur l'ensemble de la population, la "fronde anti-oui" provoque en l’espace de trois semaines des dégâts considérables : le "oui" perd près de 25 points chez les moins de 35 ans, une quinzaine de points chez les salariés, et surtout plus de 30 points parmi les Français dont les revenus sont les plus modestes. L'enquête a pourtant été réalisée les 25 et 26 mars, soit après que la France obtienne au sommet de Bruxelles une réforme du pacte de stabilité de la zone euro conforme à ses voeux, et la promesse de réviser le projet de directive Bolkestein sur les services.
2. La percée du "non" à gauche n’est pas partout irréversible
La poussée du "non", exceptionnelle par son intensité, est extrêmement préoccupante pour les partisans du "oui" tant elle révèle une profonde inquiétude sociale. La prise en compte, très nette dans ce sondage, de la situation économique et sociale dans le choix électoral le démontre clairement. Mais le 21 avril 2002 n’est pas loin et il y a sans doute aussi dans ce que nous observons une nouvelle traduction du malaise identitaire qui frappe bon nombre d’électeurs de gauche, pour qui la construction européenne rime aussi aujourd’hui avec délocalisations, remise en cause des acquis sociaux, insécurité économique, etc. Nous sommes bien loin des 80% d’électeurs de gauche qui répondaient "oui" au référendum de Maastricht, il est vrai proposé par François Mitterrand.
Pour autant, si la tendance est sans nul doute définitive à l’extrême gauche et au PCF, l’instabilité reste forte au sein des électorats socialiste et écologiste. Les réserves de mobilisation y sont encore importantes, le niveau d’hésitation demeure supérieur à la moyenne nationale et près d’un tiers des sympathisants PS ne se prononcent pas lorsqu’on les interroge sur l’intention de vote. L’hypothèse d’une inversion de tendance est d’autant crédible que deux mois nous séparent encore du scrutin.
3. Le risque du "vote sanction" reste en second plan, mais n’est pas inexistant
L’électeur, interrogé sur cette question, y apporte en majorité une réponse aussi rationnelle que la question elle même : "ce n’est pas le sujet". Il serait néanmoins naïf de s’en tenir à cette seule réponse car, même si la tentation du "vote sanction" reste reléguée au second plan des motivations des partisans du "non", elle peut constituer une sorte de toile de fond politique. La forte impopularité de l’action gouvernementale, constatée à gauche et à l’extrême droite, peut contribuer à consolider l’incompréhension à l’égard du débat européen et l’inquiétude économique et sociale sous-jacente.
4. Les Français toujours aussi peu convaincus des dangers éventuels d'une victoire du "non"
La tentative de culpabilisation des électeurs, tendant à vouloir alerter l’opinion sur la gravité des conséquences d’une éventuelle victoire du "non", encore plus présente depuis que le "non" a progressé dans les enquêtes d’opinion, ne fonctionne que chez les partisans du oui, notamment à droite. A gauche, et plus globalement chez les partisans du "non", cela ne sert à rien. C’est par exemple au sein de l’électorat socialiste que la motivation de vote centrée sur l’examen du texte constitutionnel est revendiquée avec le plus d’intensité… Tout semble se passer comme si la tentation du "non" était aussi pour certains électeurs un outil de pression destiné à faire passer le message : "copie à revoir, revenez quand vous serez prêts". Pour convaincre, le camp du "oui" doit éclairer sur la portée politique du sujet. La dramatisation ne sera efficace que si elle positive, c’est à dire si elle éclaire les Français sur la dimension historique de la Constitution européenne.