Le climat d’opinion est favorable au Non, mais sa traduction électorale reste fragile
Au moment où s'ouvre la campagne officielle, propice à la cristallisation du choix électoral, le Non est redevenu légèrement majoritaire en terme d’intentions de vote (51% contre 49%). S'appuyant sur un argumentaire qui porte davantage dans l'opinion, le Non semble bénéficier de l'avantage du "terrain". La question de la mobilisation finale de ses partisans devient centrale pour l'issue du scrutin.
C'est bien la troisième inversion de tendance qui se dessine dans cette dixième vague de l'Observatoire Ipsos. Initiée il y a une semaine lorsque le Non avait été crédité d'une poussée de trois points lui permettant de faire jeu égal avec le Oui, la progression se confirme aujourd'hui : à gauche comme à droite, le Non a encore gagné du terrain. Le gain est de deux points au sein de l'électorat socialiste, où le rapport de force apparaît, à quinze jours du scrutin, parfaitement équilibré. L'évolution est encore plus nette auprès des sympathisants UMP-UDF. En progressant de 4 points, le Non atteint 28% d'intentions de vote, contre 72% au Oui. A l'extrême gauche comme à l'extrême droite, le Non est massif et définitif.
Pronostic et souhait de victoire : une combinaison favorable au Non
Donné toujours gagnant depuis l'inversion de tendance intervenue fin avril, le Oui n'a plus, depuis deux semaines, la faveur du souhait de victoire. La majorité des Français souhaitent aujourd'hui la victoire du Non (44%, + 2 points), contre 39% à souhaiter la victoire du Oui (-2 points). L'absence de désir dont souffre le Oui est la marque d'une campagne pour l'instant en échec. La sociologie du souhait de victoire du Non est à l'image des intentions de vote : appui populaire et présence forte parmi les classes d'âge actives. A l'inverse, le profil de Oui ressemble à celui de la base étroite de l'électorat de droite. Majoritaire après 60 ans, chez les cadres supérieurs, les hauts revenus et les Français dont le niveau d'instruction déclaré atteint BAC +3, le Oui est crédité d'un désir majoritaire dans les seuls électorats UMP et UDF. On a là une nouvelle preuve d'un référendum soumis au contexte de politique intérieure.
La victoire du Oui conserve en revanche très nettement la faveur du pronostic. Mais cette combinaison contradictoire du souhait et du pronostic constitue un sérieux handicap pour les partisans du Oui : elle présente le risque d'empêcher la construction d'une nouvelle et dernière dynamique de victoire dans les derniers jours de campagne.
Le changement incarné par le Oui est désormais porteur d'inquiétude
Interrogés fin avril sur la perception des deux alternatives, les Français reconnaissaient dans le Oui l'incarnation du changement. C'est toujours le cas aujourd'hui, malgré une réduction d'écart de sept points par rapport au niveau enregistré dans la première mesure. Ce capital d'image allait alors de pair avec la perception majoritaire de l'inquiétude suscitée par une éventuelle victoire du Non. Le changement provoqué par la ratification n'était pas alors porteur d'inquiétude. A deux semaines du vote, le réflexe inverse s'est installé dans l'opinion. Les Français sont désormais 45% à réagir avec inquiétude à l'idée d'une victoire du Oui (+7 points) contre 35% plus préoccupés par les conséquences d'un résultat opposé (-3 points).
Une nouvelle fois, tout se passe comme si le pessimisme économique et social et la peur du lendemain pesait sur le référendum européen. Cette inquiétude, de lendemains difficiles en cas de victoire du Oui, devient majoritaire chez les sympathisants PS et l'est désormais de manière très nette chez les salariés du public comme du privé. L'analyse détaillée des résultats indique encore une nuance qui mérite d'être mentionnée. Les Français qui jugent le Non porteur de changement imaginent logiquement avec inquiétude les effets d'une victoire du Oui. La réciproque n'est pas vraie et illustre une fragilité d'image : 40% des électeurs qui accordent au Oui le bénéfice du changement expriment une préoccupation quant aux effets de la ratification par la France !
La "renégociation", plus que jamais imaginée comme probable et possible
Le "plan B". L'argumentaire s'est installé, ces derniers jours avec encore un peu plus de force, au cœur de la controverse de la campagne. Laurent Fabius en a fait l'un de ses premiers arguments pour installer à gauche l'idée d'un Non "tranquille" et "constructif". Jacques Delors y a fait allusion en reconnaissant qu'il y avait une porte de sortie si la France votait Non. Déjà fragilisé la semaine dernière, le scénario du blocage après un éventuel Non français devient de moins en moins convaincant. La conviction qu'une nouvelle discussion sera possible si le Non l'emporte est aujourd'hui partagée par 61% des Français (+9 points) ; elle devient majoritaire dans l'électorat UMP-UDF et atteint 40% chez les partisans du Oui.
La meilleure connaissance du traité ne contribue pas à renforcer sa crédibilité
La croyance parfois admise comme une évidence que la lecture attentive ou partielle du traité constitutionnel permettrait au Oui de limiter "le mélange des genres" et de permettre aux Français de mettre en cohérence leur adhésion de principe à la construction européenne et leur vote est battu en brèche. La notoriété du texte progresse considérablement depuis fin mars. Mais dans le même temps, son image s'est détériorée, même si les bonnes opinions l'emportent toujours sur les mauvaises.
Plus préoccupant pour le Oui, les Français les plus informés sont plus présents parmi les partisans du Non. Plus on déclare avoir lu dans le détail la constitution, plus on exprime du scepticisme à son égard. Au moment où les électeurs reçoivent dans leur boîte aux lettres le document soumis au vote, ce handicap apparaît évidemment comme un obstacle sérieux, qui nuit encore à la construction d'une nouvelle dynamique en faveur du Oui.
Dans ce contexte d'opinion favorable au Non, les intentions de vote demeurent équilibrées. Il semble que le Non ne soit pas encore en mesure de profiter pleinement de ses multiples atouts. La question centrale de la mobilisation électorale, maintes fois rappelée par Ipsos ces dernières semaines, est au cœur de cette incertitude. Le socle sociologique populaire qui caractérise le profil de l'électorat potentiel du Non pourrait constituer un ultime handicap de mobilisation.
Les électeurs du Oui semblent en effet plus déterminés à aller voter, notamment grâce à l'habitude civique de la frange la plus âgée de l'électorat. La tentation abstentionniste est plus nette chez les partisans du Non, du fait de ses caractéristiques sociologiques mais aussi politiques. Ainsi, l'électorat du Front National apparaît pour l'instant moins mobilisé que la moyenne. Le rejet ou l'indifférence de "cette Europe là" peut trouver dans la grève des urnes un moyen d'expression alternatif. S'il se mobilise faiblement comme à l'occasion du dernier scrutin européen, le niveau du Non en souffrira. Mais en cas de dynamique comparable à la mobilisation survenue dans la dernière phase de la campagne présidentielle de 2002, le Non dispose des atouts pour gagner.