Le culte de la France « vintage »
LA FUITE DE L'AVENIR, LA PEUR DU PRESENT
A trois reprises, Ipsos (France) a demandé aux Français de citer les deux périodes de l’histoire au cours desquelles ils auraient aimé vivre. Les personnes interrogées pouvaient mentionner la période actuelle si telle était leur préférence. Ils pouvaient aussi choisir une période que, par définition, ils ne connaissaient pas encore, mais dont ils pouvaient espérer beaucoup : le futur.
Les résultats de l’enquête sont révélateurs du rapport que les Français entretiennent avec leur histoire.
Parmi les périodes suivantes, quelles sont les deux auxquelles vous aimeriez ou auriez le plus aimé vivre ? |
2006 | 2008 | 2010 |
La Préhistoire | 2 | 2 | 2 |
L'Antiquité (Egypte, Grèce, Rome) | 14 | 13 | 11 |
Le Moyen Age | 6 | 5 | 6 |
La Renaissance | 9 | 8 | 10 |
Le siècle de Louis XIV (XVIIème s.) | 6 | 4 | 4 |
La Révolution française | 5 | 4 | 4 |
L'empire de Napoléon Bonaparte | 4 | 4 | 4 |
Le début du XXème siècle | 12 | 12 | 12 |
Les années 50-60 | 30 | 38 | 36 |
Les années 70-80 | 36 | 48 | 50 |
La période actuelle | 40 | 32 | 32 |
Le futur | 28 | 24 | 22 |
Source : Observatoire des modes de vie et de consommation des Français, « Les 4500 ».
Premier enseignement : seule une minorité (32%) a choisi la période actuelle comme étant la période où elle aimerait ou aurait aimé vivre. Cela signifie que, pour 68% de l’échantillon - la grande majorité - le présent ne fait pas partie des deux périodes qu’ils choisiraient. Notons que la tendance à choisir le présent est d’ailleurs à la baisse, puisqu’en 2006, ils étaient encore 40% à le choisir. Décidément, la période actuelle apparaît de moins en moins séduisante. Serait-ce que le futur attire davantage ? Que nenni. L’avenir ne séduit qu’une petite minorité qui a, elle aussi, tendance à diminuer au fil des années. Ils étaient 28% à le choisir en 2006. Ils ne sont plus que 22% en 2010. Les Français n’aiment pas l’époque actuelle, mais ils redoutent encore davantage les périodes à venir.
Une petite différence est à noter entre ceux qui optent pour le présent et ceux qui aimeraient vivre dans le futur. Ceux qui choisissent la période actuelle se recrutent dans toutes les générations. On n’observe pas de différence significative selon les âges. En revanche, ceux qui choisissent le futur sont nettement plus jeunes. Ainsi, 32% des moins de 30 ans choisissent le futur contre seulement 18% des plus de 50 ans. A l’âge des possibles, le futur semble demeurer une source d’espoir ou de fascination. On note également que l’avenir attire plus les hommes que les femmes. 30% d’entre eux le désignent contre 18% des femmes seulement.
LA TENDANCE PASSEISTE S'ACCENTUE
De facto,, la lecture du tableau ne laisse aucun doute sur les périodes qui séduisent le plus les Français des années 2000. C’est en effet vers le passé que ceux-ci regardent avec envie. Si certaines périodes reculées dans le temps ont leurs émules (comme l’Antiquité ou la Renaissance), force est de constater deux choses au vu des données dont nous disposons. Premièrement, la majeure partie de l’échantillon aimerait vivre dans le passé récent (dans les années 1950-60 et, surtout, dans les années 1970-80). Cela signifie donc, pour la majorité, qu’elle souhaiterait revivre ces années-là. Ce que montre bien une analyse par âge de ces données. Beaucoup souhaiteraient, si cela était possible, revenir en arrière.
Deuxièmement, cette tendance passéiste n’a cessé de s’accentuer au cours des trois vagues d’enquêtes. Avec une évolution à la hausse assez spectaculaire en ce qui concerne les années 1970-1980 : 36% les plébiscitaient en 2006. Ils sont 50% en 2010 !
Parmi les périodes suivantes, quelles sont les deux auxquelles vous aimeriez ou auriez le plus aimé vivre ? | 15-30 ans (nés entre 1978 et 1993) |
31-49 ans (nés entre 1977 et 1959) |
50-75 ans (nés entre 1958 et 1933) |
Les années 50-60 | 26% | 43% | 41% |
Les années 70-80 | 51% | 46% | 48% |
Que s’est-il passé ? Dans le contexte de crise qu’ils traversent, on peut formuler l’hypothèse que ces années sont un peu devenues le refuge imaginaire des Français. Certains ajouteront : le refuge fantasmatique pour insister sur l’effet d’illusion rétrospective. Au fond, ce que traduisent ces chiffres, c’est que, insatisfaits par la période actuelle d’une part et anxieux face aux modes de vie incertains que le futur leur réserve, d’autre part, les Français se sont exilés en imagination dans le culte des trente glorieuses. En élargissant légèrement les limites que lui avait fixées Jean Fourastié au milieu des années 1980. Les différents revivals sur le plan musical ou artistique que nous avons vécus ces dernières années en témoignent. De 1960 au début des années 1980, c’est une société rétrospectivement parée de toutes les vertus que l’on sacralise. La France de ces années-là est devenue un mythe.