Le destin incertain de la popularité présidentielle

Dans un article du Figaro que nous reproduisons, Pierre Giacometti, directeur général d'Ipsos Opinion, analyse l'évolution de la popularité de Jacques Chirac. La bataille des présidentielles semble avoir déjà commencé.

Auteur(s)
  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs
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En théorie, un peu plus de deux ans nous séparent encore du double rendez-vous législatif et présidentiel du printemps 2002. Pour les Français, ces échéances sont encore lointaines.

Dans leur grande majorité, ils tourneront leur regard vers la double campagne électorale à l'aube de l'année 2002, au même moment où se déclenchera, avec l'euro, une révolution majeure. Quel sera alors le contexte économique ? Le passage à l'euro sera-t-il un succès consensuel ? Le climat international sera-t-il marqué par les tensions ou par la concorde ? Qui gagnera les législatives si elles ont lieu, comme le prévoit le calendrier actuel, avant l'élection présidentielle ? On le voit, les inconnues ne manquent pas. De ce point de vue, les sondages actuels, riches d'enseignements sur le climat d'opinion, sont à usage risqué lorsqu'ils sont utilisés comme instrument prédicatif permettant d'appuyer une stratégie politique.

Aujourd'hui, l'appui exceptionnel qu'une grande majorité de Français accorde au couple exécutif camoufle un regard de plus en plus distancié à l'égard des vicissitudes de la vie politique. Dans ce contexte, le président et le premier ministre sont jugés "à l'américaine", pour ce qu'ils font dans l'univers de leur fonction et non pour ce qu'ils ont fait, pour ce qu'ils sont et non pas pour ce qu'ils ont été.

Leurs cotes de popularité sont, depuis une trentaine de mois, d'une convergence exceptionnelle. Selon les données du baromètre Ipsos réalisé pour Le Point, l'écart entre les niveaux de bonnes opinions de Jacques Chirac et de Lionel Jospin a été en moyenne de deux points en 1998 et de trois points en 1999. Plus étonnant encore, depuis six mois, ces niveaux semblent figés.

Ces performances se caractérisent également par la durée et l'intensité du soutien puisé par les deux protagonistes au-delà de leurs soutiens traditionnels. À mi-parcours, et malgré les multiples tensions apparues ces derniers mois, chacun dispose, en effet de la confiance de la moitié du camp adverse, à gauche pour le chef de l'État, à droite pour le premier ministre.

Comment anticiper sur les évolutions de cette étrange convergence de popularité ? L'originalité des soutiens dont ils sont crédités rend très aléatoire, dans les deux années qui viennent, les évolutions d'image du couple Chirac-Jospin.

Après cette première phase marquée par un soutien exceptionnel, les Français devraient redécouvrir progressivement le profil des candidats Chirac et Jospin qu'ils avaient vus s'affronter, il y a cinq ans. Mais les personnages de "Chirac président" et de "Jospin premier ministre" sont si bien installés dans l'opinion que l'intégration de cette nouvelle phase pourrait être très tardive et limiter l'ampleur de ses effets en termes de popularité. En réalité, tout a déjà commencé.

Malgré une stabilité globale apparente, la cote de popularité du chef de l'État, à I'image des mouvements enregistrés à droite pour le premier ministre, connaît depuis six mois un net effritement au sein de l'électorat de gauche.

La dernière partie de l'année 1999 marque la fin d'une sorte d'état de grâce permanent. Il y a tout juste un an, deux électeurs de gauche sur trois avaient une bonne opinion de l'action du président, ils sont 50 % aujourd'hui. Le chef de l'État comme le chef du gouvernement ont été bien sûr "servis" par les événements. Tous deux ont atteint leur niveau record de popularité grâce à l'atmosphère euphorique de la Coupe du monde et pendant la période de la guerre du Kosovo. Premier porte-drapeau de ces moments d'unanimité, Jacques Chirac, plus que Lionel Jospin à gauche, a engrangé auprès des sympathisants RPR-UDF les dividendes de cette phase consensuelle, Le président bénéficie, au moment de la création de l'euro il y a un an, du soutien quasi total de ses troupes (95 % de bonnes opinions).

Les deux principales dégradations, modestes mais significatives, sont observées au moment où les enjeux de politique intérieure sont au-devant de la scène. Il connaît ainsi son plus bas niveau de soutien à droite lorsque son camp s'entre-déchire, après l'échec électoral des régionales du printemps 1998, et au lendemain des européennes de juin dernier. L'influence du climat de politique intérieure pourrait donc peser dans les mois à venir sur ces évolutions de popularité. Les tendances les plus récentes en sont les prémices. Pour la première fois depuis juin 1998, la cote du président passe en janvier 2000 sous la barre des 80 % auprès de l'électorat de droite, traduction de I'impatience politique d'une frange, aujourd'hui minoritaire, critique à l'égard d'une droite dépourvue de crédibilité et d'un président jugé trop "cohabitationniste". Dans les deux années à venir, Jacques Chirac aura, plus que Lionel Jospin, besoin d'enjeux consensuels lui permettant de mettre en valeur sa position institutionnelle. Mais face à un premier ministre sûrement mieux préparé qu'Édouard Balladur à devenir un candidat, la capacité naturelle de rassemblement du président sortant auprès de son électorat, I'image de proximité qui lui assure sans doute une part importante du vote légitimiste des Français les moins attentifs aux identités de gauche et de droite ne suffiront pas. Il lui faudra démontrer sa capacité à séduire sur des terrains plus politiques, comme il a su lui-même le démontrer en 1995.

Une fois encore, tout se jouera dans la capacité comparée des deux protagonistes à gérer le passage crucial de la position institutionnelle et de pouvoir acquise en sept et cinq ans vers celle de simple candidat, à la recherche d'un profit en phase avec les aspirations des Français.

Graphique : les niveaux de popularité de J. Chirac et L. Jospin à gauche et à droite

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  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs

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