Le sondage en tant qu'outil d'analyse électorale : l'exemple du référendum sur le projet de constitution européenne

Du premier sondage publié la 10 mars 2005 – "l'avance du Oui paraît fragile" – à la dixième vague, mesurant 55% d'intentions de vote pour le Non, l'observatoire Ipsos du Référendum s'est avéré être un outil de suivi électoral objectivement performant. En attendant le lancement d'un dispositif analogue pour la Présidentielle 2007, nous vous proposons le film de la campagne référendaire 2005, via les analyses publiées sur Ipsos.fr.

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
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L'observatoire du Référendum : deux mois et demi de suivi électoral

10 mars 2005 : L'avance du "oui" paraît fragile

  • La première vague de l'observatoire du référendum sur la constitution européenne confirme l'avance du "oui" dans les intentions de vote (60% contre 40% pour le "non"). Mais le détail des motivations des "abstentionnistes potentiels" et des "certains d'aller voter", comme la relative sérénité des électeurs quant aux conséquences d'une éventuelle victoire du "non", montrent que le jeu reste ouvert.
  • Et si finalement le "non" l'emportait ? "Cela ne porterait pas de coup d'arrêt grave à la construction européenne", selon la moitié des électeurs (48%, + 6 points depuis fin septembre, contre 34% d'avis contraire, -9 points). Ce jugement est majoritaire sur tout le spectre politique, et un peu plus fort à gauche. Sans présager de l'issue du vote, la dramatisation de l'enjeu a de moins en moins de prise dans l'opinion

20 mars 2005 : Poussée du non (52%) : l'expression d'une angoisse

  • Cette dynamique du non est l'illustration du très haut niveau d'inquiétude économique et sociale des Français. Dans de nombreuses catégories sociales, on mesure même la peur et l'angoisse de voir s'installer l'appauvrissement chronique de leur situation. Cette enquête met définitivement fin à une campagne du oui tranquille.

04 Avril 2005 : La fronde du Non

  • Le Non reste majoritaire dans l'opinion, grâce au soutien momentané des deux tiers de l'électorat de gauche.
  • Il serait hasardeux de réduire le non exclusivement à un simple mouvement d'humeur ou à un « coup de gueule » passager. Le mouvement de ces dernières semaines s'inscrit bien au contraire dans la logique des ruptures politiques qu'a connu la France ces dernières années, illustrées notamment par l'affaiblissement de la crédibilité des partis de gouvernement et par la capacité de pression durable, dans le paysage politique, des formations contestataires de l'extrême droite puis de l'extrême gauche.
  • L'examen attentif du profil sociologique du Non indique qu'il s'appuie essentiellement sur deux leviers. Le premier est de nature sociale. Le Non exprime la fronde d'une partie de « la France d'en bas » chère au Premier ministre. Il est la traduction de l'angoisse du monde du travail, notamment parmi ses franges les plus défavorisées, inquiètes face au chômage persistant et au risque d'appauvrissement inéluctable. Le second levier répond à une logique politique. Si le Non s'est construit d'abord à gauche, c'est parce qu'il permet à une partie du « peuple de gauche » d'exprimer, à travers la consultation référendaire, sa quête d'identité.
  • Le Non a encore installé sa supériorité grâce la médiocrité du début de campagne des partisans du Oui. Les indicateurs de crédibilité comparée entre la campagne des partisans du Oui et ceux du Non mettent en évidence l'important déficit de proximité, de clarté et de capacité de conviction du Oui, particulièrement à gauche. En consacrant plus de temps à contester les arguments de Non, jugés aujourd'hui plus convaincants et plus sensibles aux inquiétudes des Français, les défenseurs du Oui sous-estiment la capacité d'intérêt des Français pour le débat de fond.

13 Avril 2005 : Les jeunes tentés par le "Non paradoxal"

  • Préoccupant pour le chef de l'Etat et les partisans du Oui, les jeunes souhaitent désormais autant la victoire du Non que celle du Oui.
  • Le paradoxe n'est pas mince lorsque l'on observe parallèlement leurs attitudes à l'égard de la construction européenne. Depuis le référendum de Maastricht de 1992 pour lequel ils n'étaient pas en âge de voter, la relation que cette génération entretient avec l'idée européenne est un mélange paradoxal entre évidence et indifférence. Evidence car, pour une grande majorité d'entre eux, l'idée européenne s'impose d'elle-même, consolidée depuis l'avènement de l'Euro en 2002. Mais ce sentiment " europhile " est fortement teinté d'indifférence. Les jeunes se sont ainsi massivement détournés des urnes lors des dernières élections européennes.
  • Comme en 1992, plus les jeunes " vieillissent ", plus la fronde du Non s'installe. L'entrée dans la vie professionnelle constitue bien aujourd'hui la variable clé de l'évolution favorable mesurée en faveur du Non. La détérioration du soutien au Oui se produit à partir de la classe d'âge des 25-29 ans, particulièrement dans les milieux sociaux les plus défavorisés, c'est-à-dire chez ceux les plus exposés ces dernières années aux réflexes de défiance à l'égard de la politique.

18 Avril 2005 : La méfiance est devenue le principal moteur du Non

Cinq enseignements majeurs retiennent l'attention de la sixième vague de l'Observatoire d'Ipsos/Le Figaro/Europe 1 :

  • Aujourd'hui 63% des électeurs de gauche sont tentés par le Non. La progression est de près de 20 points depuis la dernière enquête qui donnait le Oui majoritaire début mars.
  • Le Non est devenu la force dominante parmi les classes moyennes mais montre sa présence partout. Le portrait robot des partisans du Non s'affine enquête après enquête. Il est actif, salarié, âgé en moyenne de 30 à 50 ans. Le Non est aujourd'hui fortement installé au sein des classes moyennes. Il est aussi très présent parmi les milieux sociaux plus défavorisés.
    - Les Français se montrent toujours aussi incrédules face aux arguments tendant à dramatiser la victoire du Non . 8 Français sur 10 ne croient pas à l'arrêt de la construction européenne en cas de victoire du Non.
  • A six semaines du scrutin, la méfiance est devenue, le principal moteur du Non et constitue le sentiment majoritaire des Français lorsqu'on évoque la constitution européenne. Le sentiment de méfiance s'est particulièrement installé chez les salariés.
  • L'inquiétude économique et sociale alimente largement ce sentiment de méfiance. Même si les Français donnent crédit à la constitution de pouvoir contrôler les effets du libéralisme, ils sont une très forte majorité à anticiper négativement l'évolution de leurs conditions de vie dans l'Europe de demain.

25 Avril 2005 : Le socle électoral de la droite au secours du Oui

L'enquête Ipsos s'illustre par une forte poussée du Oui parmi l'électorat UMP-UDF. Cette progression est homogène : de 10 points à l'UMP pour atteindre un record à 77%, de 11 points à l'UDF, soit 82%, au niveau le plus haut depuis la première enquête Ipsos il y a deux mois. C'est bien le cœur de l'électorat de la majorité qui se mobilise de manière significative en faveur du Oui.

  • La réduction de l'écart d'intentions de vote au profit du Oui ne va pas de paire avec une amélioration du crédit de ses partisans. A l'inverse, la crédibilité de campagne des partisans du Non progresse une nouvelle fois. Déjà perçue il y a un mois comme nettement plus proche des préoccupations des Français, la campagne des partisans du Non est encore davantage reconnue comme plus claire et plus crédible, particulièrement dans l'électorat de gauche. Nous avons là le signe que l'ancrage du Non à gauche va au-delà du seul réflexe d'humeur économique et sociale et qu'il est également le résultat de la construction d'une conviction politique.

09 mai 2005 : La dynamique du Oui en échec

  • Le rééquilibrage entre le Oui et le Non trouve son origine aussi bien à gauche qu'à droite. Au sein de l'électorat socialiste, le Oui est en recul de quatre points et ne confirme pas sa progression des deux dernières enquêtes. (52% d'intentions de vote contre 48% au Non). A l'UMP comme à l'UDF, la baisse est équivalente à celle mesurée à gauche.
  • Une majorité de Français souhaite à nouveau une victoire du Non le 29 mai. Les variations brutales de l'indicateur de souhait de victoire sont à rapprocher de l'instabilité des intentions de vote.
  • Par ailleurs, l'efficacité comparée des campagnes reste toujours à l'avantage du Non. Les électeurs ne voient pas non plus les bénéfices d'une éventuelle victoire du Oui. Si la dynamique du Oui est aujourd'hui à nouveau en échec, c'est d'abord parce que la mécanique du clivage gauche-droite continue à imposer sa logique, au-delà de la question européenne.

16 mai 2005 : Le climat d'opinion est favorable au Non, sa traduction électorale reste fragile

S'appuyant sur un argumentaire qui porte davantage dans l'opinion, le Non semble bénéficier de l'avantage du "terrain". La question de la mobilisation finale de ses partisans devient centrale pour l'issue du scrutin.

  • La majorité des Français souhaitent aujourd'hui la victoire du Non (44%, + 2 points), contre 39% à souhaiter la victoire du Oui (-2 points). L'absence de désir dont souffre le Oui est la marque d'une campagne pour l'instant en échec. La sociologie du souhait de victoire du Non est à l'image des intentions de vote : appui populaire et présence forte parmi les classes d'âge actives. A l'inverse, le profil de Oui ressemble à celui de la base étroite de l'électorat de droite.
  • Le "plan B". L'argumentaire s'est installé, ces derniers jours avec encore un peu plus de force, au cœur de la controverse de la campagne. Déjà fragilisé la semaine dernière, le scénario du blocage après un éventuel Non français devient de moins en moins convaincant. La conviction qu'une nouvelle discussion sera possible si le Non l'emporte est aujourd'hui partagée par 61% des Français (+9 points)
  • La croyance parfois admise comme une évidence que la lecture attentive ou partielle du traité constitutionnel permettrait au Oui de limiter "le mélange des genres" et de permettre aux Français de mettre en cohérence leur adhésion de principe à la construction européenne et leur vote est battue en brèche. Les Français les plus info rmés sont plus présents parmi les partisans du Non. Plus on déclare avoir lu dans le détail la constitution, plus on exprime du scepticisme à son égard. Au moment où les électeurs reçoivent dans leur boîte aux lettres le document soumis au vote, ce handicap apparaît évidemment comme un obstacle sérieux, qui nuit encore à la construction d'une nouvelle dynamique en faveur du Oui.
  • En cas de dynamique comparable à la mobilisation survenue dans la dernière phase de la campagne présidentielle de 2002, le Non dispose des atouts pour gagner.

23 mai 2005 : La force de la seconde dynamique du Non

  • A une semaine de l'échéance, la seconde dynamique du Non est devenue incontestable. Crédité de 53% des intentions de vote, le Non progresse de deux points par rapport à la dernière enquête, de six points depuis début mai. Ce mouvement s'inscrit dans un contexte de forte mobilisation électorale , nettement supérieure à celles des scrutins régionaux et européen de 2004 et équivalente à celle du premier tour de l'élection présidentielle. L'indice de mobilisation évalué par Ipsos situe la participation électorale à un niveau qui pourrait être proche de celui du référendum de 1992 (71%), preuve de l'exceptionnel intérêt suscité par le débat référendaire.
  • La baisse du niveau d'indécision fournit un signe attendu de la cristallisation du choix électoral et crédibilise encore un peu plus le différentiel d'intention de vote entre le Oui et Non. L'avance du Non demeure plus structurée et plus solide que celle qui avait marquée le début de campagne.
  • La nouvelle progression du Non s'appuie d'abord sur une logique politique. La présence très forte en campagne des principaux leaders du Oui de gauche, illustrée par le premier meeting de campagne de Lionel Jospin depuis la dernière élection présidentielle, ne provoque aucune amélioration de la situation du Oui dans l'électorat socialiste. La montée du Non socialiste est de quatre points depuis la dernière vague pour atteindre 54%, et de douze points en trois semaines.
  • La perspective plus installée dans l'opinion d'une victoire du Non ne modifie pas la perception qu'ont les Français des conséquences du résultat du scrutin . Ils sont toujours une majorité à être d'abord "inquiets d'une victoire du Oui" (45%, contre 36% plus préoccupés des effets d'une victoire du Non). L'incapacité du Oui à construire un imaginaire de confiance autour du potentiel de changement dont il est crédité par une majorité de Français constitue aujourd'hui son premier handicap de crédibilité.
  • En cette fin de campagne, le bilan de la bataille des argumentaires apparaît ainsi nettement favorable au camp du Non. Le dernier argument présenté par Jean-Pierre Raffarin mardi dernier laissant entendre qu'une victoire du Non pourrait provoquer des difficultés économiques pour la France est balayé par trois Français sur quatre.
  • Au-delà de la réponse à la question posée sur le traité, la pesanteur du climat politique, illustrée par les records d'impopularité de l'Exécutif enregistrés par plusieurs instituts de sondage, devient en effet plus que jamais une variable-clé du résultat.

26 mai 2005 : 55% / 45% : le "non" accroît son avance

+2 points en 5 jours, +8 points depuis le 29 avril : la progression du Non dans la dernière ligne droite semble presque s'accélérer à l'approche du scrutin. La dynamique favorable au Non se confirme en tous cas avec la dernière mesure d'intention de vote réalisée mardi et mercredi par Ipsos : à 55%, contre 45% au Oui, l'avance est désormais nette.

  • Le Non est à 63% sur l'ensemble de l'électorat de la gauche parlementaire (PC-PS-Verts), et à 56% chez les sympathisants socialistes ; il est en tête dans toutes les catégories d'âge jusqu'à 60 ans, dans toutes les catégories de revenus sauf celle supérieure à 3000€ par foyer et par mois. Le Non est encore choisi par 60% des actifs, alors que le Oui reste majoritaire chez les inactifs.

29 mai 2005 – 22h00 : estimation Ipsos sur France 2 : 55% / 45%

30 mai 2005 – 02h00 : Ministère de l'intérieur : 54,86/45,13%

Voir aussi

Le dossier d'Ipsos.fr , dont notamment

Depuis Maastricht, la crainte sociale – emploi, protection, pouvoir d'achat – s'est diffusée dans les couches salariées supérieures. Ce malaise concerne aussi la construction européenne. Une analyse comparative de la dernière mesure d'intention de vote Ipsos aux sondages sortie des urnes réalisés au moment du référendum de Maastricht, publiée dans le quotidien Le Monde du 25 mai.

Post-électoral : la sociologie du vote

La victoire du Non avec 3 millions de voix d'avance, dans le référendum le plus mobilisateur depuis 1969, n'est pas simplement celui d'une France tentée par les extrémismes de tous bords Le sondage Ipsos-Le Figaro réalisé le jour du scrutin présente un Non qui traverse toutes les catégories de la population, et plus particulièrement les classes populaires et moyennes, ou les salariés, du public comme du privé. Au sein du Non, le vote des proches de la gauche parlementaire pèse 49%, contre 19,5% pour les sympathisants de l'extrême-droite, et 6% pour les proches de l'extrême gauche.

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  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs

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