Le temps de travail, première préoccupation dans les entreprises
L'emploi devient un thème moins sensible. Dans le secteur public, le potentiel de mobilisation sociale diminue, selon la dernière vague de l'Observatoire du monde du travail.
Pour la première fois, le temps de travail, qui constituait une préoccupation jusque-là réservée à certaines catégories socioprofessionnelles (les cadres supérieurs notamment), devient la principale préoccupation de l'ensemble des salariés français, devançant les thèmes de l'emploi et du salaire.
Ce réajustement dans la hiérarchie des attentes professionnelles constitue la principale information de la dernière vague de l'Observatoire du monde du travail, dans cette période-clé du débat national sur la mise en place des 35 heures.
Aujourd'hui 61 % des salariés, et même 64 % des salariés du secteur privé - un niveau record -, se déclarent désormais concernés par les 35 heures. Cet intérêt croissant pour la réduction du temps de travail va de pair avec le maintien des inquiétudes quant aux conséquences personnelles de cette réforme. Sur la question du salaire notamment, plus d'une personne sur deux déclare avoir plus à perdre qu'à gagner.
Si les salariés sont partagés sur les effets attendus des 35 heures à titre personnel, ils jugent en revanche majoritairement que c'est leur entreprise qui bénéficiera principalement de la réduction du temps de travail. Cette forme de suspicion à l'égard des directions se trouve confirmée par le fait que moins d'un quart des salariés estiment que leur direction réduit vraiment le temps de travail.
Seule exception à cette règle, les entreprises publiques, et plus particulièrement les cinq plus grandes (SNCF, La Poste, RATP, EDF, GDF), où la majorité perçoit une réduction effective du temps de travail.
Le partage des bénéfices de la réduction du temps de travail en faveur de l'entreprise plutôt que des salariés n'est pas une exception. Lorsqu'il s'agit plus généralement de définir les principaux bénéficiaires des changements que connaissent les entreprises, les personnes interrogées estiment très majoritairement que les bénéfices iront plutôt aux entreprises qu'aux salariés.
Alors que 67 % des salariés français évoquent des changements bénéfiques pour leur entreprise dans les cinq dernières années, ce chiffre monte à 71 % pour ceux dont l'entreprise a été rachetée ou a fusionné. Les conséquences de ces mariages, qu'ils fassent l'objet ou non de plans de communication internes, sont donc perçues comme avant tout profitables à l'entreprise.
Cette accélération des changements bénéficie d'une conjoncture très favorable à l'emploi. La crainte liée à la perte de son emploi dans les mois qui viennent se stabilise à un niveau très bas et reste principalement le fait de populations en situation précaire : jeunes nouvellement embauchés, salariés en contrat à durée déterminée, salariés les plus âgés.
Cette moindre sensibilité aux questions liées à l'emploi, qui ont ces dernières années constitué un point central de revendication - tout particulièrement dans le secteur public -, a pour corollaire une détente sur le "front" du climat social. Ainsi note-t-on que le potentiel de mobilisation sociale (l'envie de participer à un mouvement de grève dans son entreprise) diminue significativement dans le secteur public, passant à son niveau le plus faible observé depuis plus de deux ans.
L'enjeu principal des mois à venir ne semble plus résider dans la sensibilisation à la question de la réduction du temps de travail, mais dans la manière dont seront négociés les futurs accords et dans la répartition des bénéfices que pourront en retirer les salariés comme les directions d'entreprise.
Pierre Giacometti, Directeur général d'Ipsos Opinion
article également paru dans Le Monde daté du mardi 6 juillet 1999
Principales préoccupations professionnelles
Intérêt pour le débat sur les 35 heures
Fiche technique :
Le baromètre de l'Observatoire du monde du travail, dispositif d'enquête trimestriel, est le fruit d'une collaboration entre Ipsos, Le Monde, et 5 grandes sociétés françaises (Banque Sofinco, EDF, ELF, Total, Usinor).
Cette enquête est menée auprès d'un échantillon de 1400 salariés, représentatifs des salariés français.
La parti barométrique (questionnaire identique d'une vague à l'autre) aborde des thèmes relatifs au moral des salariés, au climat social, à la mise en place des 35 heures, à la perception des changements dans l'entreprise.