Le vote de gauche en faveur de Chirac, clé du second tour

Ainsi donc, à une semaine du dénouement de l’élection présidentielle, Jacques Chirac dispose d’une importante avance en terme d’intentions de vote face à la pression exercée par Jean-Marie Le Pen.

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  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
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Ainsi donc, à une semaine du dénouement de l’élection présidentielle, Jacques  Chirac dispose d’une  importante avance  en terme d’intentions de  vote face  à la pression exercée  par  Jean-Marie Le Pen. Le haut niveau de mobilisation électorale, notamment parmi les abstentionnistes du premier tour constitue le signe le plus tangible de cette tendance. Les  reports de voix indiquent le très faible capital de transfert dont pourrait bénéficier l’adversaire inattendu de Jacques Chirac. Par ailleurs, Jean-Marie Le Pen n’est pas assuré de pouvoir compter  pleinement sur le soutien unanime de ses  électeurs  du premier tour. L’enquête  à la sortie des  bureaux  de  vote  réalisée  par Ipsos dimanche dernier montrait à quel  point  il a profité  du ralliement circonstanciel d’un important  flux de nouveaux électeurs sans  sympathie  affirmée pour le parti du candidat du FN (7% des  Français de  la gauche plurielle et  18% des électeurs ayant  voté pour la droite parlementaire lors des législatives de 1997 ont  voté  Le Pen ce  jour-là. Ce sont sans  doute  parmi  ces électeurs  que  l’on observe les  plus  nettes  réticences  à confirmer  un vote  regretté  par  7% d’entre  eux. Pourtant,  les risques de  voir  le  rapport de  force  se  rééquilibrer  à  l’approche  de  5 mai ne  sont pas  négligeables et  l’examen attentif de cette  première enquête de  l’entre deux  tours  en  révèle  les  indices. Le  déséquilibre  du rapport de  force  actuel est  inhérent  à la position de l’extrême droite sur l’échiquier. Intrinsèquement incapable de rassembler  au-delà de sa  sphère d’influence, Jean-Marie Le Pen peut pourtant compter  sur deux  atouts pour progresser. Le  premier est d’ordre politique. Il  faut pour le leader du Front National mettre au second plan  ce qui renvoie à la représentation historique de l’extrême droite  au profit  d’une  représentation  plus opportuniste, celle  du candidat  « attrape-tout », sur  le front du refus et  de  l’exaspération  à l’égard du système politique. Le second  avantage  renvoie  à l’arithmétique  électorale  et permet de mieux  comprendre  les  indications  fournies  par  nos « intervalles »  d’intentions de  vote. En  réalité, sans  véritablement  progresser  fortement  en voix, Jean-Marie Le Pen  pourrait donner  l’impression trompeuse de  voir  son score  en % des  suffrages  exprimés  progresser  nettement si  les réserves  électorales qui lui sont hostiles à gauche ne  choisissaient  pas  de  se rallier massivement au Président sortant. La tentation d’un non-choix à gauche, (notamment à travers le  vote blanc) exprimée dans cette enquête par les  hésitants, pourrait se  construire   sur un double raisonnement de ces  électeurs : la sous-estimation du   risque de voir le  leader  du  FN  réaliser un bon score  et la crainte de  voir  Jacques Chirac  et la droite  bénéficier  à un mois des législatives  d’un  second-tour  plébiscite. Dans cette  hypothèse  le  score  actuel  de Jean –Marie  Le Pen  peut s’élever   à  26% des intentions de  vote. Pour mieux comprendre  les ressorts de la  dynamique électorale du 5 mai, il convient également de confronter  les  sondages aux  situations  passées de même  type. Lors des élections législatives de  1997, dans les  31  circonscriptions concernées  par un duel sans  la gauche, la  droite voit  son volume de voix doubler, celui du  Front National  progresser de  25% et  le  nombre de  bulletins blanc et  nuls  tripler. En revanche, et c’est une indication précieuse, l’abstention, alors que l’absence de la gauche fabrique  logiquement  une abstention par  limitation du choix, ne  progresse  pas. Une  telle stabilité  est  trompeuse : des abstentionnistes du premier  sont venus voter au  tour décisif, d’autres électeurs  votants du premier tour, ont renoncé. A l’arrivée, dans un contexte  global de dramatisation limitée, la  participation électorale n’a pas souffert de la  réduction du  choix. Si  l’on suit ce modèle, Jean-Marie  Le Pen pourrait  atteindre  28% des  suffrages  exprimés  contre  72% à son concurrent, ce que  confirme le  niveau d’électeurs qui n’excluent pas de  voter  pour lui  (25% dans  cette enquête). Mais le  choc  provoqué  par les  résultats  du  premier tour de la présidentielle  modifie bien entendu la portée du contexte d’un second tour pourtant de configuration  identique. « Chirac-Le Pen  2002 »  n’est  pas  un simple  second  tour entre la droite et l’extrême droite. Sa portée historique, le niveau de personnalisation qui le caractérise rendent peut-être aléatoire le parallèle avec  1997. Pour Jean-Marie Le Pen, l’équation est  simple mais difficile à résoudre.  Pour « se faire  oublier »  en rappelant  sans cesse  qu’il est  le  candidat  hostile  au  « système » et créer  les  conditions  d’un référendum  de  refus, le  vainqueur psychologique  du  premier  tour est  confronté à une  hostilité d’opinion qui  reste  massive. Pour  maximiser  les effets  observés  dans un second  tour droite-extrême  droite, Jacques  Chirac lui devra  compter  sur une  équation simple:

Qu’une forte majorité des électeurs de gauche  (environ  12,6  millions d’électeurs, soit plus de 30% des  électeurs  inscrits) raisonnent au-delà du  champ politique traditionnel et oublient le moins possible Jean-Marie Le Pen et ses références.

Que ceux  qui  ont voté  pour lui  et  les  trois autres candidats  de droite  au premier  tour  pensent le moins possible  au Front Républicain et un peu plus aux  élections législatives qui suivront.  Mais  au-delà de ces  pressions  contradictoires, le  Président  se trouve  bien face  à un enjeu  historique : réduire  l’influence  électorale de l’extrême-droite, en passant  à l’action, au lendemain du  5 mai, pour rétablir  la  crédibilité du  pouvoir  de  gouverner. Tel  est sans  doute  l’un des  ressorts  majeurs  du  vote  de  dimanche  et au-delà de  celui du  mois de  juin, y  compris  pour ceux  qui  ont voté Le Pen  le  21  avril.

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  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs

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