Législatives : la droite semble pour l'instant mieux placée
Selon la dernière enquête réalisée par Ipsos pour le Figaro et Europe1, la droite bénéficie toujours, à trois semaines du premier tour, d'un fragile mais réel avantage sur la gauche unie. Les éclairages de Pierre Giacometti, directeur général d'Ipsos, interviewé par Le Figaro.
Observe-t-on, depuis votre dernière enquête, l'émergence d'une dynamique d'opinion en ce début de campagne ?
A trois semaines du premier tour, trois tendances se dégagent : la dégradation du potentiel de la gauche, la montée en puissance du Front National et l'avantage consolidé de la droite dans son face-à-face avec la gauche au second tour. En une semaine, la gauche connaît un sérieux recul sur tous les fronts : intentions de vote de premier tour, potentiel électoral de second tour et souhait de victoire.
En terme de crédibilité, l'équilibre qui caractérisait la concurrence entre Jacques Chirac et Lionel Jospin sur les grands enjeux du débat électoral a disparu. La droite confirme sa supériorité dans le domaine de la lutte contre l'insécurité avec en toile de fond un très sérieux argument de campagne : la détermination, la visibilité et les premières décisions du nouveau gouvernement. Le premier argument de campagne de la majorité présidentielle est bien là : "le gouvernement agit et décide, la victoire parlementaire doit suivre, presque naturellement." Exception faite des inégalités sociales, la droite devance à présent la gauche sur le terrains économique - impôts, chômage et retraites, thèmes sur lesquels l'ancien Premier ministre a longtemps devançé le président réélu.
Il reste que le Front National se situe déjà à un niveau très élevé …
Avec 14% d'intentions de vote pour les candidats de la formation de Jean-Marie Le Pen, et 16% si on y ajoute le MNR, l'espace électoral de l'extrême droite semble effectivement solide. La tendance est d'autant plus sérieuse que sa mobilisation reste encore partielle. Selon notre enquête, près de 20% de l'électorat rassemblé par le président du Fn le 21 avril choisit, pour l'instant, un candidat de l'UMP au premier tour des législatives. Les réserves de progression sont donc indéniables ; dans une hypothèse haute (c'est à dire si l'on ajoute au 14% les intentions de vote de second choix favorables au FN), son potentiel rejoint le résultat du premier tour de la présidentielle.
La clé du score du FN est là : l'avantage de notabilité de la droite parlementaire dans les circonscriptions à forte implantation frontiste, et le souhait de voir la droite disposer d'une majorité pour en finir avec la cohabitation seront-ils des arguments suffisants face à la tentation de sanctionner Jacques Chirac pour sa campagne de second tour ? A la lecture de cette enquête, la capacité de mobilisation des électeurs du Front National semble intacte, (y compris pour le second tour). Mais la nette amélioration de leurs reports de voix potentiels au second tour dans l'hypothèse d'un traditionnel duel gauche-droite est également un indice sérieux de la dynamique de second tour.
Le rapport de forces potentiel au premier tour corrige-t-il le premier tour de l'élection présidentielle ?
Il présente déjà le même risque, celui d'une dispersion record des voix : par rapport à 1997, le nombre de candidatures progresse de 30%. La multiplicité des candidatures pourrait, dans de nombreuses circonscriptions, limiter la capacité d'accès au second tour. Avec cette étude, nous mesurons pour la première fois la traduction de cette offre électorale éclatée. Ipsos a en effet présenté dans chaque circonscription la presque totalité des candidatures des principales formations du paysage politique (en moyenne une dizaine par circonscription). Avec le foisonnement des petits candidats partiellement pris en compte dans cette enquête, et la tendance naturelle de voir les effets de dispersion s'accentuer au fil de la campagne, les grands blocs de coalition gouvernementale pourraient voir leurs positions s'effriter dans les trois semaines qui viennent. Au-delà de cet effet aux conséquences souvent imprévisibles dans de nombreuses circonscriptions, l'analyse de l'équilibre politique confirme plutôt la supériorité potentielle de la droite sur la gauche relevée à la présidentielle.
Les candidatures de L'UDF semblent limiter l'avantage électoral de l'opposition ?
L'initiative de Bayrou peut effectivement contribuer à brouiller la dynamique d'union, en faisant ressembler l'UMP à une coalition électorale de circonstance plus qu'à une nouvelle démarche unioniste construite pour le long terme. Du côté de l'opinion, notre enquête montre que la majorité de l'électorat de l'actuelle opposition parlementaire ne semble pas suivre la stratégie du leader de l'UDF, y compris au sein de son propre électorat. D'un point de vue électoral toutefois, il faut se rappeler la réalité de l'offre : dans une quarantaine des circonscriptions concernées, l'UDF n'a pas de rival UMP, et son score global ne peut donc être considéré comme le révélateur d'un espace autonome. Le constat est du même ordre pour les Verts, qui se présentent seuls et soutenus par la gauche dans plus d'une cinquantaine de circonscriptions.
Peut-on projeter les résultats de ce sondage en terme de sièges ?
Depuis la présidentielle, les exercices de projection sur les élections législatives tentent de calquer le rendez-vous de juin sur le résultat "hors norme" du 21 avril. A l'évidence, le rapport de forces issu de la présidentielle constitue un étalonnage précieux pour anticiper les contours du futur paysage électoral. Mais l'exercice présente des limites et des risques. La projection du futur sur la base d'un passé aussi destructeur ne peut évidemment pas prendre en compte les effets "qualitatifs" de la secousse politique du premier tour. A la dédramatisation supposée de l'avant premier tour de la présidentielle - "on vote comme on veut" - s'oppose déjà la dramatisation politique du choix de juin - "en finir ou non avec la cohabitation".
Plutôt que de regarder le 21 avril, il est donc préférable de prendre en compte le rapport de forces de 1997, lorsque l'opposition actuelle emportait 257 sièges. Il lui manque donc 32 sièges pour être majoritaire. Elle pourrait bien compter sur un moindre effet de nuisance du FN dans les triangulaires - il ya cinq ans, la gauche en remportait 46 sur un total de 75. Mais compte tenu l'état de santé actuel de l'extrême droite, cet espoir peut paraître bien fragile.
En réalité, l'ampleur de la correction de 1997 se situe bien dans l'évolution de l'écart entre la majorité sortante et l'opposition coalisée. Lorsque nous projetons les chiffres actuels en sièges, il est clair qu'il a un net avantage potentiel pour la droite. Mais la campagne commence à peine …