L'embarras du choix
François Weil, maître de conférences à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, et actuellement Visiting Associate Professor of History and American Culture à l'Université du Michigan, nous livre son commentaire sur l'élection présidentielle aux Etats-Unis.
L'incertitude qui règne encore sur le résultat de l'élection présidentielle du 7 novembre dernier offre aux politologues d'aujourd'hui et aux historiens de demain un extraordinaire matériau d'analyse. La vie politique américaine, depuis l'élection difficile de Jimmy Carter en 1976 contre le président sortant Gerald Ford, ne nous avait plus habitué à un scrutin si serré, qu'il semble l'être encore davantage que la fameuse élection de 1960 qui avait vu John F. Kennedy l'emporter de peu sur Richard Nixon!
Reste à savoir si le vote des Américains traduit une véritable polarisation, ou simplement une difficulté à choisir entre deux candidats qui n'ont guère réussi à transporter les foules tout au long de la campagne. Après tout, George W. Bush n'a pas fait disparaître les doutes qui existent sur ses compétences, tandis qu'Al Gore reconnaissait lui-même il y a peu qu'il n'était pas forcément le plus séduisant des politiciens. Le résultat actuel de l'élection est finalement assez bien à l'image d'une campagne au cours de laquelle les Américains ont semblé souvent embarrassés par le choix qu'ils avaient à faire.
Quel que soit l'élu, il aura fort à faire. Il lui faudra compter avec un Congrès partagé presque également entre une faible majorité républicaine et une forte minorité démocrate. Il lui faudra convaincre les Américains de sa légitimité politique et leur faire oublier les journées que nous sommes en train de vivre. Et il est fort possible qu'il n'y parvienne pas, ce qui conduirait à une relative paralysie de la vie politique pour les années à venir.
Ni Bush, ni Gore ne sont finalement parvenus à reprendre à leur compte la synthèse de populisme et de talent intellectuel incarnée, pour le meilleur et pour le pire, par Bill Clinton. Les capacités d'analyse de Gore ne font aucun doute mais ses efforts de séduction ont souvent paru forcés aux yeux d'une grande partie des Américains, y compris de nombreux Démocrates. Bush, lui, a su jouer à merveille la carte de l'anti-intellectualisme, mais il courtdésormais le risque d'être régulièrement pris au mot. Au fond, les prochaines années diront si le véritable héritier de l'actuel occupant de la Maison Blanche n'est pas en réalité une héritière: la nouvelle sénatrice de l'Etat de New York, Hillary Rodham Clinton.
François Weil, maître de conférences à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, est actuellement Visiting Associate Professor of History and American Culture à l'Université du Michigan. Il a récemment publié Histoire de New York (Fayard, 2000).