Les 4500, l’Observatoire des Consommateurs Français
Les paradoxes, les contradictions et les ruptures sont le reflet des grandes tendances de notre époque et des opportunités pour l’innovation. C’est dans cette volonté de mieux les repérer qu’Ipsos Insight lance les 4500, l’Observatoire des consommateurs français. Rémy Oudghiri, directeur du département Tendances & Prospectives d'Ipsos Insight vous présente ce nouvel outil.
Tout d'abord, revenons sur ce que vous appelez la société paradoxale…
D'un côté en effet, il n'y a jamais eu autant d'enquêtes, de chiffres, de données publiés chaque semaine, voire chaque jour. Et pourtant, d'un autre côté, on n'a jamais éprouvé autant qu'aujourd'hui le sentiment de ne rien comprendre à ce qui se passe vraiment. Les discours se contredisent souvent, les diagnostics se succèdent sans se confirmer et l'on peut se demander si la connaissance ne serait pas devenue inutile. Il faut rendre hommage à Jean-François Revel (ancien éditorialiste de l'Express) qui, dès 1987, avait alerté sur ce paradoxe entre l'excès d'information et la désinformation qui en résultait.
Vivre dans la contradiction permanente
Si nous vivons une époque paradoxale, c'est qu'au niveau individuel, chacun d'entre nous est traversé de multiples contradictions. Pierre Rosanvallon (professeur au Collège de France) l'a rappelé récemment dans La nouvelle critique sociale. Citons les plus emblématiques. Notre rôle de parent s'oppose à notre rôle de citoyen. En tant que parent en effet nous cherchons à placer nos enfants dans les meilleures écoles. En tant que citoyen, lorsqu'on nous interroge sur la solution idéale pour réduire la « fracture sociale », nous nous prononçons en général en faveur de la mixité sociale. Autre contradiction : en tant que salarié, nous voulons défendre notre emploi; en tant qu'épargnants, nous favorisons les marchés financiers dont la logique est parfois contradictoire avec celle de l'emploi. Enfin, autre contradiction, sans doute la plus répandue: en tant qu'employé nous avons peur de la mondialisation, des conséquences de l'arrivée massive de produits fabriqués en Chine et ailleurs, des délocalisations ; en tant que consommateurs nous craquons le plus souvent sur des produits d'importation.
Assumer des rôles multiples
En fait ces contradictions correspondent à la multiplicité des rôles qui sont les nôtres désormais. Les relations entre ces différents rôles ne sont plus linéaires. Ils ne s'imbriquent pas ou plus de manière naturelle les uns avec les autres.
C'est ce que certains sociologues aux Etats-Unis, qui ont observé de près la partie la plus dynamique de la nouvelle économie (et la plus prédictive de ce que deviendra le monde du travail de demain), décrivent comme le passage d'un « moi linéaire » à un « moi sériel » dont l'émergence serait révélatrice d'un changement de société.
Voici ses caractéristiques :
1) Les institutions n'offrent plus de cadre à long terme aux individus : ceux-ci doivent donc improviser en permanence, gérer leurs relations à court terme, se gérer eux-mêmes.
2) Les compétences ont la vie brève. On se retrouve très rapidement en décalage entre le savoir accumulé et le savoir requis par les nouveaux objectifs.
3) On tient pour quantité négligeable les expériences du passé. C'est le sacre du présent.
Autant d'évolutions qui favorisent le sentiment de décalage chez de nombreux individus. Richard Sennett ( sociologue et historien américain ) montre que ce phénomène n'est pas seulement concentré sur les catégories les plus faibles mais qu'une partie non négligeable de la classe moyenne américaine est concernée.
Pouvez- vous nous illustrer en quelques tendances, ces nouveaux paradoxes ?
1) Le premier paradoxe a trait au vieillissement de la population. C'est l'une des évolutions les plus importantes d'aujourd'hui. Elle conduit à une série de situations paradoxales dont l'une qu'on ne cite sans doute pas assez. Aujourd'hui, du fait de l'augmentation spectaculaire de l'espérance de vie, ce sont souvent des grands parents qui héritent. Ce ne sont plus les parents dans la force de l'âge qui bénéficient ainsi d'un coup de pouce au moment de la scolarisation des enfants dans l'enseignement supérieur. Cela contribue à redéfinir le rôle des grands parents.
2) Autre paradoxe lié au vieillissement de la population (et qui fera plaisir aux femmes). 20 ans n'est plus le plus bel âge de la vie. L'âge d'or pour une femme se déplace. Au siècle dernier, à 30 ans la carrière d'une femme était « finie ». Aujourd'hui, nos enquêtes montrent que les femmes se sentent mieux à 30, 40 voire 50 ans qu'à 20 ans. En Europe tout du moins (la situation est différente en Asie). D'où le slogan de Christian Dior pour lancer sa nouvelle crème anti-âge : " plus belle à 40 qu'à 20 ans " (Sharon Stone a 49 ans !).
3) Voyons justement ce qui se passe dans la tête des plus jeunes (les 15-30 ans). Là encore on a pu observer un paradoxe révélateur. Quand on les interroge sur l'évolution de la situation économique de la France , les jeunes Français sont une majorité très nette à se dire pessimiste. Quand on les interroge sur leur avenir personnel, ils sont là encore une majorité mais cette fois-ci pour se trouver confiants dans les mêmes proportions. A quoi tient ce paradoxe : optimiste à l'échelle individuelle, pessimiste à l'échelle de la société ? Certains sociologues ont déjà mis en valeur un paradoxe du même type : la France est le pays en Europe où l'on fait le plus de bébés (après l'Irlande). C'est aussi le pays le plus inquiet d'Europe. Là encore, on peut y voir le reflet d'une société où les individus prennent leurs distances avec les institutions et ne considèrent plus leur avenir personnel comme lié à la société à laquelle ils appartiennent.
4) Dans le domaine du couple on vit également des évolutions paradoxales. Quasiment un mariage sur deux aujourd'hui se termine mal. Et pourtant ! Le couple n'a jamais autant fait rêver les jeunes. A 20 ans, la très grande majorité aspire à fonder un couple. Et cette fois-ci toutes les enquêtes convergent : la valeur famille ne cesse d'être plébiscitée. C'est le reflet d'une société inquiète qui cherche très tôt dans le cycle de vie à sécuriser son avenir.
5) Autre paradoxe, directement en phase avec notre époque. La montée de l'obésité. Celle-ci est devenue le centre des médias (à juste titre puisqu'elle progresse à travers le monde). Elle suscite notamment chez les plus jeunes une vraie phobie. A 13 ans, on voit l'écart entre les perceptions et la réalité. 36% des filles se trouvent trop grosses alors que seulement 13% sont en surpoids ou pouvant être qualifiées d'obèse, soit trois fois moins.
6) Autre paradoxe révélateur du changement accéléré dans le domaine technologique. On observe de plus en plus de technophiles -ceux qui passent des heures connectés à Internet et qui sont entourés d'appareils électroniques toute la journée- qui aspirent à retrouver un contact avec la terre et la nature.
7) Dernier paradoxe : la nostalgie est plus importante chez les plus jeunes. Et chez les plus seniors… Aux deux extrémités de la vie, à la sortie de l'enfance et à l'âge de la grande maturité, on éprouve de la nostalgie pour son enfance.
En quoi, ces paradoxes peuvent-ils être des opportunités pour l'innovation ?
En fait chacun de ces paradoxes est le signe d'une contradiction que l'innovation peut contribuer à résoudre. Ce sont des opportunités.
En voici trois exemples :
- L'innovation contribue à recréer le monde à la maison
Dans un contexte de crise, on a tendance à surinvestir dans le foyer, tout en souhaitant recréer les plaisirs du monde chez soi. La salle de sport dans la chambre se développe avec notamment le vélo d'appartement, même si celui-ci n'est pas nécessairement utilisé. On peut également citer l'avènement de « l'agora » chez soi via les blogs et la machine à pain qui recrée l'illusion de la boulangerie et de ses parfums le matin.
- L'innovation réconcilie la consommation et la citoyenneté
Gucci et Unicef se sont associés pour lancer une collection, dont une partie des gains est reversée à des associations. Ainsi, deux univers très différents se sont rencontrés pour réconcilier le consumérisme et l'humanitaire. Une nouvelle basket Véja issue du commerce équitable remporte aussi un franc succès auprès des jeunes trends setters actuellement.
- L'innovation réconcilie le désir d'hyperchoix et le juste choix
Le succès des comparateurs de prix est issu de cette volonté de réconcilier le désir d'hyperchoix et le juste choix. Leclerc vient de lancer " Qui est le moins cher ? " et PPR Shopoon . Ce dernier consiste à rassembler l'ensemble des enseignes PPR et à orienter les internautes vers différentes alternatives, sachant que d'autres enseignes n'appartenant pas au groupe PPR seront présentes sur le portail.
Que devons-nous comprendre de ces paradoxes?
Ces situations paradoxales traduisent la période de transition dans laquelle nous vivons aujourd'hui. Elles sont également révélatrices du décalage croissant qui existe entre le langage que nous utilisons et les nouvelles réalités sociologiques. Pour les marques, l'enjeu va consister de plus en plus à identifier les ruptures pertinentes sur leurs marchés.
Les 4 500 d'IPSOS, en quelques mots…
IPSOS lance l'Observatoire des consommateurs français et des ruptures de vie pour mieux comprendre les transformations qui touchent notre société. Les 4 500 visent à « radiographier » la société française à travers 48 pages de questions sur tous les thèmes d'actualité portant sur la consommation et les modes de vie.
Cet observatoire fournit des informations pour 15 étapes de vie, du lycée à la retraite. Ces enquêtes permettent d'identifier les frontières et les zones de rupture en matière de consommation et de mode de vie, sources de nouveaux insights pour les marques.