Les Allemands contestent leur gouvernement... et l’euro
Le dernier baromètre Ipsos-Afp " Tendances des opinions publiques européennes " met en évidence la spécificité de la situation en Allemagne.
Les élections législatives de septembre prochain s’annoncent mal pour Helmut Kohl. La spectaculaire victoire du social-démocrate Gerhard Schröder, dimanche 1er mars dans le Land de Basse-Saxe, n’est pas le seul mauvais présage pour le chancelier sortant. Le baromètre Ipsos-AFP des " Tendances des opinions publiques européennes " montre aussi que la situation du pouvoir actuel en Allemagne est des plus fragiles.
Des cinq pays sondés dans le cadre de cette vaste enquête européenne, l’Allemagne est le seul où une majorité de personnes interrogées souhaitent l’alternance en cas de scrutin législatif : 38% des Allemands espèrent la victoire de l’opposition contre seulement 25% celle de la majorité sortante. La chute de Kohl est tout particulièrement attendue par les employés et les travailleurs manuels, ainsi que les personnes en âge actif. Elle est même espérée par une minorité non négligeable de sympathisants de la droite modérée. Par rapport au dernier trimestre, la situation de la majorité CDU-CSU s’est d’ailleurs encore dégradée.
Il est vrai que cette tendance à une plus grande sévérité des peuples à l’endroit de leurs dirigeants s’observe aussi dans les quatre autres pays européens. La majorité de centre-gauche en Italie voit son assise singulièrement réduite. La désir d’alternance commence également à menacer le gouvernement de droite en Espagne. En France, la popularité majoritaire s’érode tout en restant relativement confortable. Malgré une forte chute dans cet indice, c’est en Grande-Bretagne que la majorité du New Labour se trouve assurée du soutien populaire le plus consistant.
Les réponses à la question concernant la confiance faite aux différents gouvernements européens pour " faire face aux principaux problèmes du pays " font naturellement apparaître des tendances analogues, quoique plus contrastées encore. La défiance atteint un niveau extrême en Allemagne : plus des trois-quarts de ses habitants jugent le pouvoir incapable de régler les problèmes. Sur ce point, les cadres supérieurs se montrent aussi sévères que les employés et les travailleurs manuels. De même la défiance l’emporte-t-elle également parmi les revenus élevés et les électeurs de la droite modérée, théoriquement soutiens naturels de la majorité sortante.
Le manque de confiance envers le pouvoir est encore majoritaire en Espagne et en Italie. En France, l’opinion s’équilibre alors que la précédente enquête était nettement plus favorable au gouvernement Jospin. Une fois de plus, il n’y a qu’en Grande-Bretagne que l’équipe de Tony Blair s’attire majoritairement la confiance.
L’indice de confiance dans l’avenir de la situation économique des différents pays ne révèle pas de fortes évolutions d’une enquête à l’autre. On note surtout un sensible recul du pessimisme en France et en Italie. Dans ces deux pays, ce sont les personnes aux revenus élevés qui échappent le plus à la sinistrose. En Allemagne, le futur d’une économie, il est vrai marquée par un taux de chômage élevé, est vu en noir par 81% des personnes interrogées ! Isolées, les îles britanniques abritent un " éco-optimisme " qui baigne l’ensemble des catégories sociales, à l’exception des travailleurs manuels.
Ce baromètre Ipsos-AFP permet aussi de mesurer les réactions de l’opinion européenne face à la perspective de l’euro. La monnaie unique n’est toujours perçue favorablement que par une courte majorité d’habitants des cinq pays. Mais le plus inquiétant, pour ce projet, est l’hostilité croissante des Allemands. Le camp de ceux qui jugent négativement le remplacement du deutschmark par l’euro augmente de six points en un trimestre. Ce mouvement est particulièrement accentué chez les travailleurs manuels, qui constituent le cœur de la clientèle électorale du parti social-démocrate. Son nouveau leader, Gerhard Schröder, n’a d’ailleurs jamais manifesté un enthousiasme excessif à l’égard de l’euro. Celui-ci est apprécié négativement, toujours en Allemagne, dans toutes les catégories sociales (même si les plus favorisées y sont moins hostiles) ainsi que dans toutes les tranches de revenus (même si les plus élevés y sont proportionnellement plus favorables).
Les habitants du Royaume-Uni, dont la fibre européenne n’a jamais été très vivace, basculent aussi dans une vision majoritairement négative d’une "monnaie unique" qu’ils n’ont au demeurant guère envie de s’appliquer à eux-mêmes. Il faut aller en Italie, le pays dont on a longtemps douté qu’ils remplisse les fameux "critères de convergences" indispensables pour participer à l’aventure de l’euro, pour obtenir un soutien franc et massif au projet. L’opinion des deux autres pays latins, l’Espagne et la France, évolue également plutôt en sa faveur. On craignait naguère que l’euro ne touche que l’Europe du Nord et le voici qui séduit surtout l’Europe du Sud.