Les Américains craignent certains effets du libre échange
Alors que plus de 500 associations se sont déplacées à Seattle pour perturber le déroulement de la conférence de l'Organisation Mondiale du Commerce, les sondages indiquent que l'opinion publique est contradictoire à l’égard du libre échange. Protectionnistes lorsqu'il s'agit de protéger les acquis sociaux, les Américains sont en revanche favorables au libre échange pour le bien de leur économie et de leurs entreprises.
Les Américains redoutent les conséquences économiques de la libéralisation des échanges. Les craintes se focalisent notamment sur les sujets touchant au monde du travail. Ainsi, selon la récente enquête Gallup/CNN/USA Today (1), une forte majorité des personnes interrogées (59%) estime que "le commerce entre les Etats-Unis et les autres pays porte préjudice aux travailleurs américains" (35% pensent au contraire que le commerce international constitue plutôt une aide pour les travailleurs). Une autre étude réalisée un an auparavant pour NBC News/Wall Street Journal (2) donnait des résultats similaires : 58% des interviewés jugeaient alors que "le commerce international est un mal pour l'économie américaine, puisque l'importation de produits bon marché pèse sur les salaires et coûte des emplois aux Etats-Unis". Un tiers était a contrario plutôt d'avis que "le commerce international est un bien pour l'économie puisque l'augmentation de la demande de produits américains qui en résulte a des effets positifs sur la croissance économique et l'emploi". Seulement 6% des personnes interrogées pensaient qu'il y avait un peu de vrai dans chacune des deux affirmations.
Interrogés sur les relations bilatérales entre les Etats-Unis et la Chine, suite à l'accord entre les deux pays pour permettre au géant asiatique d'entrer dans l'OMC, la majorité (49%) estime encore que cet accord risque plutôt de faire diminuer le nombre d'emplois, contre 41% d'avis contraires (1). Concernant le secteur de l'acier, la majorité des Américains est même clairement favorable à un protectionnisme pur et dur. Bien que prévenues que le protectionnisme pouvait "nuire à la compétitivité des entreprises, encourager les autres pays à fermer leur marché à l'acier américain, et que la mise en place de telles mesures signifiait pour les Etats-Unis un désaveu des règles du commerce international pourtant signées", 47% des personnes interrogées se sont déclarées favorables à l'établissement d'une "loi protectionniste", contre 39% préférant que les entreprises "restent exposées à la compétition internationale". Dans un registre plus stratégique enfin, la majorité des Américains souhaite limiter les exportations de certains produits, réduire les transferts de technologie et ainsi préserver un avantage sur leurs rivaux (51% contre 39% d'avis opposés).
Toutefois, ils reconnaissent qu'il est difficile de mettre en place des barrières tarifaires pour limiter les importations. "Nous ne pouvons espérer que les autres pays ouvrent leurs marchés à nos produits si l'inverse n'est pas vrai" déclarent 84% des personnes interrogées par EPIC-MRA (3).
Ceci n’empêche pas les Américains de trouver quand même des vertus au libre-échange. Toujours selon l'étude EPIC (3), huit personnes sur dix se félicitent que "grâce aux importations, les consommateurs disposent d'un vaste de choix de produits". Les trois quarts pensent que les importations de produits étrangers poussent les entreprises nationales "à travailler dur pour améliorer la qualité de leurs propres produits et être plus compétitives". Les deux tiers estiment encore que "s'il n'y avait pas d'importations de produits bon marché, les familles les plus modestes ne pourraient s'offrir autant de biens qu'aujourd'hui". Par ailleurs, une enquête du Wall Street Journal (4) nous informe que les personnes interrogées préfèrent, pour limiter le déficit commercial, "tenter de persuader les Américains de ne pas acheter de produits importés" (34%), voire "ne rien faire du tout parce que les Américains doivent pouvoir acheter ce qu'ils veulent" (32%) plutôt que de mettre en place de "nouvelles taxes sur les importations" (24%).
Dans cette perspective, on espère majoritairement outre-Atlantique que les Etats-Unis prendront le "leadership" des négociations à Seattle en vue de réduire les barrières à la libre circulation des produits. C’est l’avis de 56% des personnes interrogées par EPIC (3) tandis que 31% sont plutôt favorables à la position "wait and see", et seulement 6% veulent que les Etats-Unis s'opposent aux efforts pour réduire les barrières. L’opinion américaine est préoccupée par les coûts sociaux de la mondialisation. Mais elle est simultanément consciente des bienfaits économiques du libre échange pour les Etats-Unis.
(1) Enquête Gallup/CNN/USA Today. 1010 adultes américains interrogés du 18 au 21 novembre 1999.
(2) Enquête Hart&Teeter Institute/NBC News/Wall Street Journal. 2106 adultes américains interrogés du 3 au 6 décembre 1998.
(3) Enquête EPIC/MRA/Association of Women in International Trade. 850 adultes américains interrogés du 2 au 4 mai 1999.
(4) Enquête Hart&Teeter Institute/NBC News/Wall Street Journal réalisée du 17 au 19 juin 1999