Les cadres ne croient pas au partage du temps de travail
Ipsos a interrogé pour "l'Essentiel du Management" les cadres du secteur privé sur leur perception des 35 heures. L'enquête révèle que face à une réduction du temps de travail jugée irréaliste dans ses objectifs, voire dangereuse pour les entreprises, les cadres semblent prêts à peu de concessions.
Les cadres interrogés ne souhaitent pas de réduction significative du temps de travail. Si une faible majorité (54%) désire travailler moins, 42% veulent dans un avenir proche travailler autant. Surtout, ils estiment en moyenne qu'il est "normal" de travailler 44 heures. 24% placent la norme à 45 heures par semaine, et même 23% optent pour 50 heures et plus, ce qui n'a pas grand chose à voir avec la philosophie de la loi Aubry. Seulement 6% des cadres sondés déclarent normale une semaine de 35…à 38 heures. Ces réponses correspondent cependant à une certaine tradition française qui privilégie la disponibilité totale de l'encadrement.Si les cadres interviewés ne s'imaginent pas travailler 35 heures, ils remettent aussi en cause la pertinence des diverses modalités d'application de la loi. L'option "45 minutes de moins par jour" semble irréaliste aux trois-quarts d'entre eux. Ils sont néanmoins plus nuancés lorsque l'on parle en termes de jours de congés. 51% rejettent la possibilité de prendre une demi-journée de congé supplémentaire par semaine. En revanche, 63% des interviewés estiment réaliste de s'octroyer un jour de congé supplémentaire tous les quinze jours. C'est particulièrement le cas des femmes, des cadres travaillant dans les services, ou dans les entreprises de plus de 500 salariés. Mais tous n'ont pas cette possibilité: 34% des sondés ne prennent déjà pas l'intégralité de leurs congés payés; et même 51% si l'on s'en tient aux cadres d'entreprises de moins de 19 salariés.Dans l'attente de la seconde loi sur les 35 heures prévue pour l'automne, le sort des cadres fait l'objet de nombreuses interrogations. Le 11 avril, les syndicats de l'encadrement de la CFDT, CGT, FO, CFTC déclaraient ensemble vouloir négocier afin d'établir des "solutions adaptées aux cadres". La ministre de l'Emploi et de la Solidarité, rappelait que "les cadres ne peuvent être les seuls à ne pas bénéficier de la réduction du temps de travail". L'attentisme des cadres du secteur privé s'éclaire par leur faible adhésion à la finalité de la loi, partager le temps de travail au nom de l'emploi. Les trois-quarts des sondés pensent que le passage aux 35 heures ne créera pas d'emplois supplémentaires de cadres. Plus pessimistes encore, la moitié d'entre eux pensent que la RTT risque de nuire à la compétitivité de leur entreprise, qui deviendrait "moins performante".
Des cadres conservateurs
Sceptiques sur l'efficacité de la RTT pour créer des emplois, les cadres semblent ne pas craindre les 35 heures. La quasi-totalité (96%) ne redoute aucune baisse de leurs responsabilités. Ils n'appréhendent pas non plus un ralentissement de leur évolution de carrière (84%), ni de baisse de salaire (80%). La grande majorité des sondés refuse même d'envisager cette dernière possibilité et 54% s'opposent aussi au gel de leur salaire. La seule contrepartie salariale finalement acceptée par une majorité de cadres (57%) est "un ralentissement des augmentations de salaire".Hormis la question salariale, la RTT sera de toute manière difficile à mettre en œuvre pour l'encadrement. Quelles que soient les modalités d'application, elle nécessite un certain nombre d'aménagements, et en premier lieu un contrôle plus strict du temps de travail des salariés en général, et des cadres en particulier. Or, plus du tiers refusent catégoriquement un tel contrôle, les hommes en particulier. Si 55% l'accepteraient, ils ne sont que 9% à le souhaiter. Pourtant, selon le code du travail, le cadre est un salarié comme un autre, devant respecter la durée du travail légale, soit aujourd'hui 39 heures, sans compter d'éventuelles heures supplémentaires déclarées et rémunérées comme telles (*). De plus, l'entreprise doit pouvoir produire un relevé quotidien et hebdomadaire des heures de travail de ses salariés. Mais cette loi est rarement appliquée. L'ex-PDG de Thompson CSF, jugé pour "travail clandestin" en raison du dépassement d'horaire de ses cadres, a dû réintroduire le pointage en 1997. Renault, incapable de fournir le relevé quotidien et hebdomadaire des heures de travail des cadres, a été assigné en justice en février dernier.
Les cadres du secteur privé ne veulent pas sacrifier leurs libertés et leur pouvoir d'achat sur l'autel d'un projet jugé utopiste dans ses objectifs. Ils ne craignent somme toute pas grand chose, sinon une perte de performance de l'entreprise s'ils devaient travailler moins. Surtout, ils ne pensent pas la RTT susceptible de répondre au problème essentiel du chômage. Paradoxalement, une majorité d'entre eux considère que "tous comptes faits", cette mesure peut être positive pour eux. Les cadres pensent sans doute à une amélioration de leur situation personnelle. Voilà qui est loin des objectifs poursuivis, en la matière, par Martine Aubry.