"Les députés UMP ne sont pas suicidaires"
La situation de la droite est-elle comparable à celle de la gauche en 1993, marquée par les affaires et une sévère défaite électorale ?
Les ingrédients d'une sanction électorale, de même nature qu'à l'époque, sont réunis : morosité généralisée, climat délétère créé par les affaires. Facteur aggravant, ce scandale intervient après la crise des banlieues et celle du CPE. Mais la comparaison s'arrête là.
Paradoxalement, la droite est peut-être mieux protégée que la gauche ne l'était en 1993. D'abord, parce que la prochaine échéance électorale est présidentielle : s'il se confirme que Jacques Chirac n'est pas candidat, l'absence de sortant peut limiter le vote-sanction. Ensuite, parce que les Français ont pris l'habitude de renvoyer dos à dos droite et gauche sur le terrain des affaires. La gauche ne bénéficiera pas forcément du scandale qui touche le pouvoir.
Quelles sont les conséquences pour le couple exécutif ?
Le petit tiers de Français qui soutient le président et le Premier ministre rassemble essentiellement le noyau dur de l'électorat de l'UMP. Pour que cette frange lâche, il faut sans doute qu'un développement majeur de l'affaire vienne mettre en cause de manière avérée leur responsabilité. Les Français attendent d'y voir plus clair.
Peut-on en tirer des conclusions pour la présidentielle, y compris sur le score de l'extrême droite ?
Même si l'affaire peut connaître des rebondissements, pour l'écrasante majorité de l'UMP, la seule candidature crédible est celle de Nicolas Sarkozy. L'affaire Clearstream renforce cette conviction et pourrait faire figure de facteur décisif de clarification, au détriment du Premier ministre.
Elle contribue aussi à consolider Jean-Marie Le Pen dans son rôle de premier perturbateur. Cependant, le Front national devra faire face à une concurrence plus soutenue qu'en 2002, avec la présence probable de Philippe de Villiers, président du MPF, et celle du président de l'UMP, mieux armé pour capter une partie de l'électorat frontiste que ne l'était Jacques Chirac.
Quant à l'attitude du président de l'UDF, François Bayrou, qui a décidé de voter avec la gauche la motion de censure contre le gouvernement, elle est à double tranchant. La situation actuelle crédibilise sa thèse sur la crise du système, mais en se rangeant dans l'opposition il ne sera pas seul.
Certains suggèrent au chef de l'Etat de sortir et M. de Villepin et M. Sarkozy du gouvernement...
C'est un pari peu crédible. La majorité ne peut comprendre une sanction justifiée par les rivalités. M. Chirac ne se séparera de M. de Villepin qu'en cas de développement judiciaire décisif. Quant à M. Sarkozy, le président sait qu'il est la personnalité la plus populaire de son camp. M. Chirac fait le pari que la majorité, si elle résiste à cette tempête, sera en mesure d'être compétitive sur le plan électoral, le moment venu.
Et une nouvelle dissolution, comme le craignent les députés ?
Je ne crois pas du tout à une dissolution "à froid" comme en 1997, c'est-à-dire sans justifier d'une mise en minorité parlementaire. Si certains députés UMP, en votant la censure, provoquaient cette situation, alors la dissolution paraîtrait inéluctable. Or je ne crois pas qu'ils soient suicidaires !
Une dissolution serait encore plus risquée pour eux qu'en 1997. La majorité a intérêt à attendre le scrutin présidentiel pour permettre aux Français de trancher. Cela reste, malgré tout pour elle, la configuration qui lui est la moins défavorable.
Propos recueillis par Béatrice Gurrey (Le Monde)
Article paru dans l'édition du 17.05.06 du quotidien