Les dieux du stade

La Coupe du monde de football 2010 vient nous rappeler l’omniprésence du sport dans la pub. Les grands évènements sportifs et les champions font-ils les campagnes qui marchent ? Oui, à condition de respecter la règle du jeu, comme nous l’expliquent Marie-Odile Duflo, Directeur Général, Ipsos ASI, et Julien Gorre, Responsable de la Communication Externe, Ipsos (France).

Auteur(s)
  • Hélène Delpont Directrice Générale, Ipsos Connect
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La pub et le sport forment-ils un 
duo gagnant ?

Marie-Odile Duflo : Oui, à condition que le sport ou le sportif, quand ils sont mis en avant par la pub, respectent la stratégie et les valeurs de la marque. Si l’idée ne porte pas cela, vous avez toutes les chances de rater la cible et le but. La volonté des marques d’articuler leur visibilité autour de grands rendez-vous sportifs ne suffit pas. L’important ensuite, c’est pourquoi et comment y être.

Justement, comment être visible lors de ces événements ?

Julien Gorre : C’est une question de cohérence avec la stratégie de la marque. Quand Coca Cola nous invite à célébrer les buts dans un spot TV où l’on revoit le Lion camerounais Roger Milla danser la « Makossa » lors de la Coupe du monde de foot de 1990, on s’inscrit parfaitement dans l’univers de Coca qui porte des valeurs communes : la dimension festive, l’esprit de communion. Cette façon de construire sa campagne autour de la célébration des buts évite de surcroît à Coca Cola d’être tributaire des résultats sportifs et lui permet de bénéficier d'une visibilité maximale sur toute la durée de la compétition.

Vous évoquez les valeurs du sport. Quelles sont elles ?

J. G. : Il y a tout d’abord sa dimension universelle, le sport permet de créer du lien. Le sport est naturellement fédérateur et porteur d’une dynamique. En 1998, on a parlé d’effet Coupe du monde. On a eu l’impression que le monde tournait mieux, que l’économie allait bien, que chaque individu était heureux. La victoire, malheureusement pour la France, a changé de camp douze ans plus tard, mais la capacité du sport à faire rêver reste intacte. Et là, il y aura toujours un vrai terrain pour les marques.
M-O. D. : Il est important que les annonceurs puissent récupérer ces valeurs positives pour bâtir des communications au service de la marque : l’esprit d’équipe mais aussi l’engagement, la convivialité, la tolérance, l’audace, l’exigence…
J. G. : Le sport dans la pub brille aussi grâce à ses stars. Elles apportent de la notoriété et permettent de gagner l’adhésion du consommateur. D’autant que les champions, malgré les déceptions et les contre-performances, restent des modèles, en particulier pour les jeunes. Mais là encore se posent les questions du pourquoi et du comment les marques ont recours aux sportifs. Quelles sont les limites d’utilisation pour une marque ? Quand on voit les déboires d’un Tiger Woods… L’identification n’est pas sans risque.

Là, on s’écarte du sport…

M-O. D. : Oui mais il faut surtout bien voir que l’on parle d’abord d’image. Quand Caron utilise Chabal pour son parfum Pour Un Homme, c’est moins le sportif que le personnage qui sert de faire-valoir avec tout ce qu’il dégage de charme viril. Souvenez-vous deCantona et du rasoir Bic. Là, c’était la grande gueule, l’anti-conformisme… Davantage encore que leurs performances, c’est la personnalité, le charisme des athlètes qui intéressent les marques. Le sportif doit être le reflet de ce que veut faire et apporter la marque, en conformité avec les valeurs qu’elle veut défendre. Ce n’est absolument pas gratuit.

Le sport inspire-t-il les bonnes pubs ?

M-O. D. : Il y a beaucoup d’émotion dans le sport. C’est le moment où l’on voit des grands films émotionnels sortir. Impossible d’oublier cette superbe publicité pour France Télécom, en 1998, avec ces douaniers qui jouaient la plus étonnante des parties de foot. Voilà une campagne très marquante qui sort justement du territoire habituel des marques. On peut faire passer ces valeurs autrement et surtout en laissant la création s'exprimer.
J. G. : Il y a aussi cette dernière campagne Nike, sponsor de la Coupe du Monde 2010, baptisée « Write the Future » (écris le futur) qui met en scène les plus grandes stars du football mais qui recrute habilement bien au-delà du sport puisque l’on voit apparaître des personnages aussi insolites qu’Homer Simpson.

Le Web est-il un terrain de jeu rêvé pour la publicité sportive ?

J. G. : Oui bien sûr. Vous avez cet exemple très intéressant de Web participatif, avec Vuitton qui a réuni trois footballeurs légendaires autour d’un jeu de baby-foot. Pelé et Zidane s'affrontent ainsi dans un match arbitré par Maradona. Les clichés d’Annie Leibovitz reflètent une ambiance simple et amicale. Un teaser de la rencontre est disponible sur le site www.louisvuittonjourneys.com/legends/. On peut y acclamer les joueurs, échanger ses impressions avec d’autres internautes ou désigner le gagnant de ce match historique. Une belle démonstration de la transmission du savoir-faire Vuitton à travers trois générations de champions. C’est intergénérationnel. C’est surtout une façon très neuve et efficace de sacraliser Vuitton.
M-O. D. : Les internautes sont très attentifs à tout ce qui concerne leurs sports et sportifs préférés. Plusieurs marques l’ont bien compris en misant sur des athlètes qui incarnent leurs valeurs. C’est le cas du groupe Ferrero qui a choisi le tennisman français Jo-Wilfried Tsonga pour sa campagne Kinder Bueno, en soulignant « les valeurs de plaisir et d’exigence qu’il porte auprès de la jeunesse ».

Et que faites-vous de ceux qui n’aiment pas le sport en général et le foot en particulier ?

M-O. D. : Axe pense à eux et vient même de réussir un joli contre-pied en sortant une campagne décalée pour son déodorant Axe Effect. La marque des garçons prend le parti des femmes délaissées pendant la Coupe du monde. On découvre trois visuels sur lesquels de belles demoiselles invitent des hommes qui n’aiment pas le foot à les divertir. C’est très bien joué de la part d’Axe qui se permet d’écorner le sacro saint football tout en jouant la carte de l’humour et de la séduction.

La déroute des Bleus à la Coupe du monde de foot n’a-t-elle pas montré les limites de l’utilisation du sport en pub ?

M-0. D. : C’est un accident de parcours. Ce scénario catastrophe a certes obligé les annonceurs à s’adapter. Le Crédit Agricole, partenaire des Bleus, a ainsi jugé plus sage d’écourter sa dernière campagne après la grande désillusion de la Coupe du monde. Mais la pub fait preuve, comme toujours, d’une remarquable faculté de récupération. Regardez cette annonce Playstation sortie au lendemain de la défaite des Bleus où pour la première fois, on a osé « exploser » le coq français ! C’est très bien joué quand on sait que l’humour, la transgression, le côté décalé, sont les valeurs des jeunes.
J. G. : Dans le même genre, suite au match marathon entre le Français Nicolas Mahut et l’Américain John Isner à Wimbledon, vous avez ce site Internet de paris en ligne qui a proposé aux internautes de miser sur la marque qui utiliserait ce record pour une prochaine campagne publicitaire. Les parieurs ont eu le choix entre 10 annonceurs, dont Viagra, Duracell et Red Bull. Encore une belle illustration de la puissance et de l’inventivité du Net.

Auteur(s)
  • Hélène Delpont Directrice Générale, Ipsos Connect

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