Les dirigeants peinent à faire appliquer la loi anti-tabac dans leur entreprise

Si le principe du "sans tabac" est majoritairement approuvé par les dirigeants d'entreprise, le sondage Ipsos-Pfizer Santé Grand Public montre que l'application de la loi reste inégale et imparfaite. Les patrons évoquent des difficultés de mise en oeuvre, et notamment la configuration des locaux ou la crainte de mécontenter les salariés. L'enquête révèle par ailleurs que si les actions d'aide au sevrage suscitent un certain intérêt dans les grands établissements, les dirigeants ne s'investissent pas encore vraiment ; ils sont toutefois conscients qu'ils seront bientôt contraints de prendre des mesures concrètes.

Auteur(s)
  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs
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L'entreprise sans tabac : un principe massivement approuvée par les dirigeants d'entreprises, mais une mise en œuvre difficile en pratique

En juillet 2005, l'enquête menée par Ipsos pour Pfizer sur la perception du tabac en entreprise montrait que les salariés français se prononçaient massivement pour le respect de la loi Evin : ils affirmaient que la fumée de tabac sur le lieu de travail présentait un véritable risque pour la santé des non-fumeurs, alors même qu'il déclaraient dans le même temps que la législation était mal appliquée dans leur propre entreprise. Ils jugeaient aussi massivement que la responsabilité en incombait directement aux employeurs. Au final, 80% des salariés affirmaient préférer travailler dans une entreprise leur garantissant un environnement sans fumée de tabac.

C'est dire s'il s'agit là d'un véritable enjeu pour les entreprises, tant en terme de respect de la loi Evin de 1991, que de satisfaction de leurs employés. Pfizer Santé Grand Public a donc souhaité explorer cette année le sujet sous l'angle des dirigeants d'entreprise eux-mêmes.

L'enquête menée les 24 et 25 avril 2006 auprès de 404 dirigeants d'entreprise pour le compte de Pfizer Santé Grand Public montre que ces derniers s'accordent avec les salariés pour dire que la législation anti-tabac existante est une excellente chose. Mais dans le même temps elle dresse un constat accablant de la situation actuelle quant au strict respect de la législation et quant au manque encore flagrant de motivation d'une bonne part des dirigeants pour garantir l'application de la loi et pour mettre en place des démarches de concertation et d'aide.

Le principe du sans tabac majoritairement approuvé par les dirigeants d'entreprise

Les dirigeants d'entreprise considèrent à 89% qu'il est de leur responsabilité de garantir un environnement de travail sans fumée de tabac pour tous leurs employés, et parmi eux, 61% le pensent tout à fait. Ils sont même plus largement favorables à cette législation que les salariés eux-mêmes (78% de réponses « oui », dont 56% « oui, tout à fait »). L'approbation de la législation anti-tabac est massif quelque soit la taille de l'entreprise, mais il croît avec celle-ci : ainsi, si 88% des dirigeants d'entreprises de 10 à 19 salariés pensent que cela est de leur devoir, il s'agit d'un véritable plébiscite pour les dirigeants des entreprises de 250 salariés et plus (96%).

Pourtant, ils reconnaissent dans le même temps que cette législation est mal appliquée : si 77% des dirigeants d'entreprise déclarent qu'il est effectivement interdit de fumer dans leur entreprise (34% sur tout le site, 43% qu'il y a des endroits réservés pour les fumeurs sur le site), 23% déclarent qu'il n'y est pas interdit de fumer du tout. On notera que plus la taille de l'entreprise augmente, mieux la législation y est appliquée (73% de « oui » dans les plus petites entreprises, pour 92% dans les plus grosses). Par ailleurs, parmi ceux qui affirment qu'il est effectivement interdit de fumer dans leur entreprise, que ce soit sur tout le site ou hors des espaces réservés, 21% avouent que cette obligation n'est appliquée qu'en partie, et 7% qu'elle n'est pas vraiment appliquée. Au final, 45% des dirigeants d'entreprise déclarent que l'interdiction de fumer n'est pas du tout, ou seulement partiellement, appliquée dans leur entreprise.


Une mise en œuvre freinée par un manque de motivation des dirigeants d'entreprise

Il apparaît donc qu'en dépit de la loi Evin, le chemin qui reste à parcourir jusqu'à l'entreprise sans tabac reste important. Pourquoi donc cet état de fait alors que les dirigeants d'entreprises avouent que cela relève de leur responsabilité ? Pour se justifier, les dirigeants d'entreprise insistent sur la difficulté pratique à mettre en œuvre cette loi : seuls 56% jugent que les entreprises ont aujourd'hui la capacité matérielle et/ou financière de garantir à leurs employés un environnement de travail sans fumée de tabac, contre 41% qui jugent le contraire, 20% déclarant même qu'elles n'en ont pas du tout la capacité. Ce niveau est équivalent à celui enregistré auprès des salariés (57% de « oui » contre 42% de « non »), preuve que cette difficulté pratique est ressentie par les deux parties concernées.

Sans doute faut-il cependant aussi y voir un discours-refuge pour justifier un certain manque d'implication de leur part quand à la mise en œuvre pratique de leurs obligations légales : de fait, quand on demande aux dirigeants concernés la raison pour laquelle l'interdiction de fumer est mal ou pas appliquée au sein de leur propre entreprise, ces patrons déclarent le plus souvent que la configuration de leurs locaux rend difficile son application pratique (34%). Or on voit mal en quoi la mise en place d'une interdiction totale de fumer pourrait être empêchée par la configuration des locaux.

La deuxième raison derrière laquelle se réfugient les dirigeants d'entreprise qui appliquent mal ou pas l'interdiction de fumer au sein de leur propre entreprise est qu'ils risqueraient de mécontenter une partie des fumeurs et de provoquer des conflits. Pourtant, seulement 25% des dirigeants d'entreprise ont actuellement le sentiment que la mise en place de l'interdiction de fumer crée des tensions entre les salariés fumeurs et non-fumeurs dans leurs entreprises, contre 74% qui pensent que cela n'en créé pas (dont 55% « pas du tout »). Par ailleurs, seuls 16% affirment que l'interdiction de fumer sur le lieu de travail en dehors des espaces éventuellement prévus à cet effet est une règle dont l'application suscite certaines tensions entre les salariés et la direction de l'entreprise (contre 84% qui pensent que cela n'en créé pas).

Un troisième facteur vient expliquer la relative inertie d'une bonne partie des dirigeants d'entreprise : leur manque de sensibilisation aux risques de sanction et de conflit. Un tiers d'entre eux (33%) estime que les sanctions aujourd'hui prévues par la loi pour non respect de la réglementation anti-tabac sont lourdes, dont seulement 8% qui les jugent très lourdes. Et la plus grande part des dirigeants d'entreprise ne se prononcent pas sur cette question (37%). Cette méconnaissance trouve sans doute en partie son origine dans le fait qu'ils ne se sentent pas menacés par ces sanctions : seuls 12% des dirigeants des entreprises qui n'appliquent pas ou mal l'interdiction de fumer jugent que le risque qu'un ou plusieurs des salariés portent plainte contre leur entreprise pour non respect de la législation est important, dont 1% seulement qui estime que cela est très important.

L'aide au sevrage : un intérêt certain, des débuts prometteurs dans les grosses entreprises

L'aide au sevrage est aujourd'hui mise en avant comme une bonne solution pour parvenir à l'application effective de la législation en entreprise. Pourtant, seuls 9% des dirigeants d'entreprise ont mis en œuvre des actions d'aide au sevrage pour les fumeurs de leur entreprise qui désirent arrêter de fumer. Cela est déjà le cas pour 4%, et 5% le feront bientôt. Néanmoins, ces chiffres recouvrent des réalités très différentes puisque les grosses entreprises sont beaucoup plus nombreuses à avoir recours à l'aide au sevrage. Ainsi, 33% des entreprises de 100 à 249 salariés, et 34% des entreprises de 250 salariés et plus, le font déjà ou le feront bientôt.

Il semble par conséquent que l'ensemble des dirigeants d'entreprise soit pour le moment encore assez peu investi dans l'aide au sevrage des salariés qui fument. S'ils considèrent qu'assurer un environnement sans tabac relève de leur responsabilité, beaucoup jugent aussi que l'aide au sevrage des fumeurs n'est pas de leur domaine : 55% estiment que ce n'est pas à l'entreprise d'aider les fumeurs à arrêter. Parmi ceux-ci, les plus réticents sont les petites entreprises (59% pour les entreprise comprenant de de 10 à 59 salariés), et le secteur de l'industrie (68%). Ceci dit, il convient de nuancer ce chiffre puisqu'à l'inverse, les 45% restants ne se montrent pas opposés à la démarche. S'ils ne l'ont pas fait, c'est parce que personne ne l'a jamais demandé (34%), ou parce qu'ils n'y ont jamais pensé (11%), ou encore parce qu'ils ne savaient pas qu'il était possible de s'adresser à des entreprises, organismes, associations pour se faire aider pour le passage au sans tabac en entreprise (6%). Enfin, 3% pensent que le coût en serait trop élevé.

Toutefois, il est fort probable que bon nombre de dirigeants ont le sentiment que ce « statu quo » ne perdurera pas longtemps. Le niveau d'intérêt des dirigeants d'entreprise n'appliquant pas du tout ou mal l'interdiction de fumer en entreprise pour les aides au sevrage le montre bien. Ainsi, 50% des dirigeants d'entreprises se montrent intéressés par de l'information sur la législation en vigueur sur le tabac en entreprise, 37% par des formations du médecin du travail sur le sevrage tabagique, 37% par des outils internes de communication sur le tabac en entreprise, 33% par des outils pédagogiques comme des tests, des questionnaires d'auto-évaluation, 33% par des outils pour réaliser un état des lieux sur l'attitude et l'opinion des collaborateurs dans l'entreprise, 23% par une méthodologie globale pour passer sans problème au sans tabac en entreprise, et enfin, 21% sont intéressés par un accompagnement au sevrage des salariés par un professionnel.

Au final, plus des deux tiers (67%) des dirigeants des entreprises qui appliquent mal ou pas la législation actuellement sont intéressés par au moins un des service proposés, 23% par 2 ou 3 services, et même 17% par 4 ou 5 services. Aujourd'hui, ces dirigeants d'entreprise sont en moyenne intéressés par 2,3 des mesures proposées sur 7, qu'ils jugent certainement complémentaires et adaptées aux spécificités de leur entreprise. Les dirigeants d'entreprise sont conscients qu'à terme, ils seront poussés à passer de l'approbation de principe à des mesures concrètes pour parvenir à l'application de la législation.

Auteur(s)
  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs

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