Les Européens voteront d’abord en pensant à leur pays

Une enquête Ipsos-World Media Network-Libération-La Stampa-Die Zeit-Le Soir- Publico-To Vima réalisée dans huit pays européens met en lumière les limites de l’identité européenne à quelques semaines du scrutin du 13 juin. Un tiers seulement des personnes interrogées voteront en fonction des questions européennes.

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  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
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Alors que l’euro vient de naître et que les Européens vont élire pour la cinquième fois leurs députés, ce scrutin souffre toujours d’une large indifférence. Pour les opinions publiques de la plupart des principaux pays de l’Union, les élections européennes" demeurent plutôt nationales.

Une forte proportion de sondés dans huit pays de la Communauté européenne (44 %) considère que le scrutin du 13 juin sera pour eux l’occasion d’exprimer d’abord leur opinion sur des problématiques nationales. Paradoxalement, ce sont les citoyens des pays les plus attachés à la construction européenne et qui pensent que leur pays en tirera le plus d’avantages, notamment la France et les pays d’Europe du Sud, qui se détermineront par rapport aux problèmes de leur pays.

Il n’y a qu’en Allemagne que ces élections apparaissent majoritairement comme un scrutin particulier offrant l’occasion de voter sur les enjeux européens. Du point de vue sociologique, seules les catégories sociales supérieures (cadres, étudiants, personnes aisées et ayant suivi des études supérieures) semblent privilégier la spécificité de ce scrutin.

Qui plus est, les élections européennes ne sont guère considérées comme un rendez-vous majeur de l’actualité politique de chaque pays. Pour une partie importante de l’électorat (un tiers en moyenne), ces élections ne seront l’occasion d’exprimer ni leur soutien ni leur opposition au gouvernement en place, la déconnexion entre le scrutin européen et le jeu politique national étant encore plus forte en Belgique, en Italie et au Royaume-Uni.

Les problèmes sociaux sont au centre des préoccupations des Européens : quand on leur demande qu’elles devront être les priorités du Parlement européen élu en juin, la réduction du chômage (citée par plus d’un Européen sur deux) arrive largement en tête dans tous les pays (à l’exception du Royaume-Uni et du Portugal, pays dans lesquels cette préoccupation est précédée par la réduction de la pauvreté et de l’exclusion). Outre ce souhait général de voir réduire le chômage, la réduction de la pauvreté et de l’exclusion, thème directement lié au problème de l’emploi, est la seconde priorité choisie par les Européens.

Les questions de sécurité et de violence sont également au cœur des soucis européens : la lutte contre l’insécurité est citée par un tiers des sondés (notamment au Royaume-Uni) et la lutte contre l’immigration clandestine par 16 % d’entre eux. Soulignons que ce trio de préoccupations principales chômage-pauvreté-sécurité se retrouve dans tous les pays concernés par cette enquête même si l’ordre des thèmes peut varier. Les Européens ont des réactions plus convergentes lorsqu’on les interroge sur les problèmes économiques et sociaux et non pas sur des questions directement politiques.

Certaines idées européennes sont populaires. Près des deux tiers des sondés se déclarent favorables, en ces temps de guerre des Balkans, à la création d’une défense européenne indépendante. Le projet d’élire au suffrage universel un président de l’Union est également traditionnellement populaire. De même pour le thème, il est vrai ambigü, de système de protection sociale unifié au niveau européen. Les Français sont les plus chauds partisans d’une défense européenne indépendante. C’est également le cas des Allemands, des Italiens et des Espagnols alors que les Britanniques et les Grecs sont plus partagés.

Les Britanniques, déjà partagés sur les questions militaires, sont les seuls à être majoritairement opposés (quoique de peu) à l’élection d’un président de l’Union et à un système de protection sociale unifié, alors que ces deux mesures emportent une large adhésion auprès des autres Européens, quel que soit leur pays.

Cet espoir dans la construction européenne est corroboré par le fait que pour 60 % des Européens, leur pays va plutôt y gagner. Le Royaume-Uni, là encore, se distingue des autres pays de l’Union : une courte majorité de Britanniques reste sceptique et considère que leur pays va plutôt y perdre. En revanche, pour tous les autres Européens, la construction européenne entraînera des conséquences positives pour leur pays, les pays de l’Europe du sud en étant les plus persuadés, devant les Allemands et les Français.

Malgré ces résultats très favorables à l’idée européenne, le sentiment des Européens dans ce domaine demeure ambigu : la moitié d’entre eux reste attachée au principe du maintien de la souveraineté de leur pays même si cela doit conduire à limiter les pouvoirs de décision de l’Europe : seulement 39 % d’entre eux considérant qu’il faut renforcer les pouvoirs de décision de l’Europe, même si cela doit conduire à réduire la souveraineté de leur pays. A l’exception de l’Italie où les "européistes" sont majoritaires et en Espagne où la population est divisée en deux parts égales, les "souverainistes" sont partout plus nombreux, notamment en Grèce et en France. Les Européens tiennent à ce que la poursuite de la construction européenne se fasse dans le respect de la souveraineté des Etats.

Les Européens sont en enfin très partagés sur l’intervention de l’OTAN en Yougoslavie: 53 % l’approuvent alors que 41 % la désapprouvent. Ce niveau d’adhésion, mesuré près de deux mois après le début des frappes aériennes, manifeste une certaine érosion du soutien apporté aux frappes aériennes. Si l’adhésion à l’intervention de l’Alliance est très majoritaire au Royaume-Uni et en France, elle l’est nettement moins en Allemagne et en Italie. Les autres pays du sud de l’Europe sont nettement plus sceptiques (un Espagnol et un Portugais sur deux la désapprouvent) voire viscéralement hostiles (97 % des Grecs la désapprouvent). Cette enquête révèle également un clivage social et politique parmi les Européens. L’approbation est en effet plus élevée auprès des Européens les plus aisés, des personnes ayant suivi des études supérieures, des cadres supérieurs et des sympathisants de droite.

Cet appui relatif des Européens à l’intervention militaire de l’OTAN ne se traduit pas de la même manière en ce qui concerne les relations que l’Europe devrait entretenir avec les Etats-Unis au cours des prochaines années. 48 % des Européens souhaitent que l’Europe prenne ses distances avec les Etats-Unis contre seulement 39 % qui souhaitent qu’elle se rapproche d’eux. Hormis le Royaume-Uni, allié traditionnel des Etats-Unis, ce sont les pays de l’Europe du Sud qui se révèlent être les plus " atlantistes ".

Cependant, la guerre en Yougoslavie semble avoir causé des dégâts à l’image des Etats-Unis auprès des Européens : la même question, posée il y a huit mois permet de mesurer l’évolution de l’opinion à cet égard. En moins d’un an, les Italiens mais surtout les Français, sont de plus en plus nombreux à souhaiter une prise de distance de l’Europe par rapport aux Etats-Unis (70 % en France, +18). Plus spectaculaire, l’opinion des Allemands, pourtant traditionnellement très attachés au " parapluie " américain, a complètement changé : 50 % souhaitent aujourd’hui que l’Europe prenne ses distances par rapport aux Etats-Unis alors qu’ils n’étaient que 22 % en septembre dernier. Faut-il voir dans ces résultats et ces évolutions le signe d’une affirmation de l’identité européenne et de sa traduction sur le plan militaire ?

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs

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