Les Français entre colère et résignation face à la réforme des retraites
Peu après le vote de la réforme des retraites, quel est l’état d’esprit des Français sur le sujet ? Les résultats de la 7e édition de l’Observatoire des retraites, réalisé pour l’UMR et Liaisons sociales, sont révélateurs : moins inquiets à l’égard de leur retraite, considérant pour beaucoup que la réforme était inévitable, nombre de Français ressentent néanmoins de la colère quand ils pensent à la réforme.
Les Français sont moins inquiets qu’en mai dernier à l’égard de leur retraite
Pour la première fois depuis plusieurs vagues, l’inquiétude ressentie par les Français à l’égard de leur retraite diminue. Désormais, la capacité à vivre de façon indépendante lors de cette période de la vie préoccupe moins d’un Français sur deux (43% ; -11 points), tout comme leur santé et l’accès aux soins (45% ; -9 points). En revanche, leur niveau de vie continue d’inquiéter une majorité de Français, mais dans des proportions moindres qu’en mai dernier. Ainsi, 54% (-16 points) se disent préoccupés par leur niveau de vie et 65% (-13 points) par le montant de la retraite.
La plupart des catégories de population sont touchées par ce mouvement de recul du pessimisme, même s’il reste prégnant dans certaines catégories de populations précédemment identifiées comme plus fragiles. Les femmes demeurent ainsi plus angoissées que les hommes, notamment en ce qui concerne leur niveau de vie (70% contre 60% pour les hommes). De même, les actifs occupés font preuve d’une angoisse plus marquée sur ce sujet (75%). En revanche, les retraités sont nettement plus optimistes qu’il y a six mois. Ces derniers se montrent désormais majoritairement confiants, qu’il s’agisse de leur capacité à vivre de façon indépendante (64% ; +7 points), de leur santé et accès aux soins (63% ; +8 points), de leur niveau de vie (64% ; +27 points) ou du montant de leur retraite (57% ; +24 points).
Ces évolutions assez marquées font écho à un bouleversement majeur du contexte de l’enquête : alors que lors des précédentes vagues, la réforme des retraites n’était qu’un projet, celle-ci a entre temps été votée et promulguée. Il est donc logique que l’on observe de fortes évolutions, et ce d’autant plus que lors de la précédente vague, trois Français sur quatre indiquaient que le problème du financement des retraites était grave et qu’il fallait le régler d’urgence, et qu’une proportion encore plus forte d’interviewés estimaient qu’il était nécessaire de continuer à réformer le système pour assurer la retraite de leurs enfants. Quelle que soit leur opinion sur la réforme elle-même, les Français considèrent donc probablement que quelque chose a été fait pour tenter de trouver des solutions, et cela les rend un peu plus optimistes, particulièrement dans les catégories épargnées par les mesures adoptées comme les retraités (le montant des pensions n’étant pas concerné par cette réforme).
D’ailleurs, si 41% des Français estiment que cette réforme ne résout en rien le problème de financement des retraites, la majorité (56%) semble penser qu’elle y contribue, au moins à court terme. Ainsi, 26% estiment que cette réforme résout le problème du financement pour quelques années, 22% pensent que c’est une solution jusqu’en 2020 et 8% que cela pourra même perdurer à plus long terme. Certes, la croyance en la sauvegarde financière du système est modeste mais elle existe néanmoins, ce qui contribue sans doute à rassurer un peu les Français sur leur avenir.
Ces derniers restent néanmoins toujours préoccupés par ce sujet et la réforme n’a pas apaisé toutes leurs craintes, loin s’en faut.
La réforme des retraites suscite la colère d’une majorité de Français
Invités à se prononcer sur les sentiments qui leur viennent à l’esprit lorsqu’ils pensent à la réforme, les Français répondent majoritairement (53%) qu’ils éprouvent de la colère. Le deuxième sentiment évoqué est la résignation (45%). Les items positifs arrivent loin derrière – 18% éprouvent de la satisfaction et 16% du soulagement – tandis que 20% se disent indifférents.
Les catégories de population s’étant illustrées lors du mouvement social contre la réforme des retraites sont particulièrement nombreuses à se dire en colère, à l’image des ouvriers (64%), des salariés du secteur public (63%) et des sympathisants de gauche (71%). En revanche, si les jeunes de 18 à 24 ans expriment également de la colère (51%), ils se disent tout autant résignés (49%) et une proportion importante indique même être indifférente (45%).
Cette colère n’est sans doute pas étrangère aux craintes exprimées par les interviewées concernant l’impact de la réforme sur certaines populations. Ainsi, les Français considèrent majoritairement que la réforme aura des conséquences négatives sur le chômage des jeunes (54%) : cet argument, très prisé des manifestants, semble donc avoir fait mouche, notamment auprès des principaux concernés (61% des 18-24 ans partagent cette opinion). Les Français pensent également que la réforme aura des conséquences négatives sur le chômage des séniors (48%), les principaux intéressés étant là aussi particulièrement sensibles à l’argument (60% des 45-59 ans).
En revanche, l’impact de la réforme sur les inégalités hommes-femmes est plus discuté : 45% estiment qu’il sera négatif tandis que 41% pensent qu’il sera nul. L’opinion des femmes est cependant plus tranchée, 51% d’entre elles estimant que les conséquences de la réforme seront négatives sur ce point, seuls 40% des hommes étant du même avis.
Sur tous ces sujets, on observe un clivage politique logique dans les réponses : alors que les sympathisants de gauche dénoncent majoritairement les conséquences négatives, les sympathisants UMP insistent largement au contraire sur l’absence d’impact de la réforme sur ces populations.
Une réforme jugée néanmoins inévitable
Lorsqu’on leur demande de qualifier la réforme, les répondants mettent en avant deux notions : l’injustice (45%) – qui explique probablement la colère qu’ils ressentent – mais aussi, de manière encore plus prononcée, l’inéluctabilité. Ainsi, 52% estiment que l’adjectif « inévitable » correspond bien à cette réforme, ce qualificatif se plaçant assez nettement en tête de hiérarchie. Les autres items proposés arrivent assez loin derrière : 31% la jugent brutale, 23% confuse et à l’inverse 18% considèrent qu’elle est courageuse et 11% constructive. Ce classement est révélateur de l’ambivalence de l’état d’esprit des Français : s’ils jugent nécessaire de réformer le système des retraites et sont majoritairement acquis à l’idée qu’il n’y a pas d’autre solution, la manière dont elle a été conduite et le contenu même du projet sont rejetés par une part conséquente de la population.
Ainsi, le caractère injuste de la réforme est largement souligné, notamment par les personnes âgées de 45 à 59 ans, plus proches de la retraite (57%), et par les ouvriers (56%) : ces deux catégories placent cet adjectif en tête de hiérarchie. Logiquement, les sympathisants de gauche sont également plus nombreux à le mentionner (64%). A l’inverse, les retraités (32%) mais surtout les personnes proches de l’UMP (44%) sont beaucoup plus nombreuses que la moyenne à juger cette réforme « courageuse ».
Des clivages, socio-démographiques mais surtout politiques, existent donc mais le caractère inéluctable de la réforme apparaît néanmoins admis par une frange importante de la population, y compris parmi ceux qui en critiquent les modalités. Ainsi, un certain nombre d’ouvriers (46%) ou de sympathisants de gauche (41%) considèrent également que cette réforme est inévitable.
Ces résultats traduisent en fait un certain fatalisme de la part des Français, fatalisme d’autant plus fort qu’ils ne croient plus vraiment à la pérennité du système en l’état. Ainsi, la quasi-totalité d’entre eux est convaincue qu’il va devenir important dans les années qui viennent de se constituer une épargne retraite complémentaire. Ils sont même une nette majorité (65%) à juger cela indispensable tandis que 23% pensent que c’est important mais pas indispensable. Seuls 10% considèrent que c’est secondaire. La proportion très importante de personnes qui pensent que c’est quelque chose de nécessaire témoigne du pessimisme des Français, pour qui l’épargne complémentaire n’est plus seulement un petit plus pour améliorer son quotidien lors de la retraite, mais bel et bien un élément primordial dont on ne pourra plus se passer pour subvenir à ses besoins.
2012, prochaine échéance sur les retraites
Si la loi indique que le prochain rendez-vous sur les retraites devra avoir lieu en 2013, les Français pronostiquent une réouverture du débat plus tôt, dès l’élection présidentielle de 2012. Ainsi, 83% estiment que la question des retraites sera l’un des enjeux principaux de cette élection, dont 45% qui en sont « certains ». Les interviewés répondent probablement un peu « à chaud », la réforme ayant été promulguée juste avant le terrain d’enquête. Néanmoins, ils semblent bel et bien convaincus que ce sujet occupera une place importante dans les débats, et ce quelle que soit leur proximité politique.
En revanche, la promesse du Parti socialiste de rétablir l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans si son candidat était élu en 2012 suscite le scepticisme d’une majorité de Français, 71% estimant que cette position n’est pas crédible, 27% étant de l’avis contraire. Si les personnes se déclarant proches du PS sont logiquement plus nombreuses à juger cette proposition envisageable (43%), elles sont néanmoins minoritaires.
Quelles que soient l’issue de l’élection présidentielle et la manière dont la question des retraites aura été abordée lors de la campagne électorale, un travail de pédagogie supplémentaire semble indispensable sur ce sujet. En effet, les principes fondamentaux qui régissent le système de retraite sont inintelligibles pour beaucoup de Français : ainsi, la différence entre âge légal de départ en retraite et âge de départ sans décote n’est claire que pour 36% d’entre eux. La majorité (63%) indique au contraire que cette différence n’est pas claire, 31% avouant même que ce n’est « pas clair du tout ». Hormis les cadres, toutes les catégories de population déclarent ne pas bien comprendre la différence. Ainsi, l’un des éléments clé du système – et de la réforme puisque les mesures phares concernent précisément ces deux âges symboliques – est encore largement incompris des Français malgré plusieurs semaines de débat sur le sujet.