Les Français et la réforme de l’Assurance Maladie
Comprendre les réactions exprimées à l’égard des axes de la réforme de l’Assurance Maladie rend nécessaire de cerner le contexte en évolution dans lequel s’inscrivent aujourd’hui les assurés sociaux. La nécessité de réduire les dépenses de santé progresse ainsi de plus en plus dans l’opinion. L’assuré et le citoyen, naguère mué en consommateur frénétique, persuadé que sa santé n’avait pas de prix, et dans une certaine mesure peu préoccupé des coûts s’attachant à ses dépenses de santé, s’est désormais discipliné.
Les normes sociales ont singulièrement évolué : la population est aujourd'hui majoritairement convaincue qu'il est indispensable de limiter les dépenses de santé (85%). Les comportements personnels sont remis en question et la notion d'effort à consentir est de plus en plus admissible, de façon certes variable selon le type d'effort, on le verra. Il n'en reste pas moins que 93% de la population déclare désormais qu'il est normal que chacun fasse des efforts en matière de dépenses de santé. A cette aune, une très large majorité adhère à l'idée qu'une réforme est nécessaire à la préservation de notre système de santé (84%).
Sur tous ces points, un consensus s'est progressivement installé et les différences entre catégories s'estompent. Et même si la majorité est un peu moins écrasante quand il s'agit de juger de la compatibilité de la baisse des dépenses et du maintien de la qualité des soins, les Français sont quand même 77% à penser qu'il est possible de maintenir le niveau de qualité des soins tout en dépensant moins.
2. Le niveau d'information sur la réforme reste encore limité
Près de 8 personnes sur 10 déclarent aujourd'hui avoir entendu parler de la réforme de l'Assurance Maladie. Mais la notoriété n'est pas l'information : parmi ceux qui en ont entendu parler, une large majorité de 62% se dit encore mal informée sur cette réforme. Si 38% seulement ont un sentiment de bonne information, il faut souligner que ceux-ci se sentent pour l'essentiel assez bien informés (33%), tandis que 5% seulement se disent très bien informés. Ce sentiment d'une information encore fragmentaire s'incarne dans la réalité des connaissances : 38% seulement des personnes interrogées savent que la loi sur l'Assurance Maladie a déjà été votée, contre 62% qui l'ignorent ou qui pensent que le vote de la loi est encore à venir…

Dans ce domaine s'opère une différenciation très nette entre les classes d'âge, le niveau d'information (sans aucun doute à relier au niveau d'intérêt) s'améliorant très nettement avec l'âge.
Notoriété de la réforme, en fonction de l'âge

La notoriété de la réforme est également aujourd'hui plus importante parmi les hommes, et s'élève avec le niveau de revenu et le niveau d'instruction.
3. Un sentiment " d'urgence " diversement partagé, associé à une vision variable des objectifs de la réforme
Pour un peu plus d'une personnes sur deux, réformer l'Assurance Maladie est aujourd'hui tout à fait indispensable (54%). Mais 33% se rallient à l'opinion selon laquelle la réforme est utile, sans être indispensable, 11% la jugeant non indispensable.
Selon les catégories, le sentiment d'urgence associé à la réforme varie notablement. Les hommes, les personnes disposant des revenus les plus élevés ou encore les électeurs de droite sont sensiblement plus nombreux à juger cette réforme tout à fait indispensable.
Les Français restent aujourd'hui très partagés quant aux objectifs poursuivis par la réforme. 51% n'y voient qu'un objectif de limitation des dépenses de santé ; 41% perçoivent une recherche double de limitation des dépenses de santé et d'amélioration de la qualité des soins. 4% seulement devinent derrière la réforme une volonté unique d'amélioration de la qualité des soins.
Perception des objectifs de la réforme en fonction de la proximité politique

Le clivage gauche-droite qui s'exprime clairement sur ce point est à l'évidence à relier aux niveaux d'adhésion enregistrés à l'égard de la réforme.
4. Une majorité de la population favorable à la réforme
Malgré l'adhésion générale aux grands principes qui doivent guider l'évolution du système de santé, l'image de la réforme reste en demi-teinte : 55% en ont une image positive ; 39% affichent une opinion négative. Les opinions sont souvent médianes, peu exacerbées (les opinions très positives ou très négatives affichent des niveaux respectifs de 3% et de 6%). Les résultats observés sur l'ensemble de la population s'articule ici encore autour du clivage gauche-droite : l'image de la réforme a un solde très positive parmi les sympathisants de droite (65% de bonnes opinions contre 28% de mauvaises), et légèrement négatif à gauche (49% contre 46%).
Le niveau de revenu entretient une relation étroite avec l'image de la réforme : si les hauts revenus sont 61% à avoir une bonne opinion de la réforme (contre 32%), les bas revenus ne sont que 48% à exprimer un avis positif, contre 45%.
5. Des niveaux d'adhésion variable selon les mesures proposées
C'est un semi paradoxe : si la réforme dans son ensemble n'obtient qu'un solde légèrement positif dans l'opinion, certaines des mesures prévues suscitent un véritable potentiel d'adhésion, parfois très marqué. Ce décalage s'explique sans doute à la fois par le relatif flou qui entoure encore la réforme dans l'esprit du public, là où les mesures citées sont au contraire concrètes. Ce caractère tangible semble par ailleurs moins laisser de prise au clivage gauche-droite, les différences observées à ce titre étant tantôt absentes, tantôt fortement atténuées.
Parmi les mesures qui suscitent une adhésion importante, on relève le contrôle des arrêts de travail (89%), la création du dossier médical partagé (87%) et le développement des médicaments génériques (86%). Sur ces différents points, hommes et femmes mais aussi gauche et droite se situent sur une même ligne, à un niveau équivalent d'adhésion. Et si le pourcentage d'individus qui avaient une très bonne opinion de la réforme restait on s'en souvient résiduelle, la proportion de la population très favorable à ces axes d'évolution est forte, supérieure à ceux qui y sont plutôt favorables.
Le contrôle par l'Assurance Maladie du bien-fondé de certaines prescriptions de médicaments ou d'examens est la quatrième mesure la plus appréciée (74% s'y montrent favorables), avec dans ce cas une adhésion supérieure parmi les hommes et les sympathisants de droite.
Mesure phare et forme de révolution dans l'esprit et les pratiques de certains patients, le choix d'un médecin traitant unique suscite l'adhésion de 63% de la population (contre 36% qui y sont défavorables), au même plan que le niveau variable de remboursement en fonction de l'utilité des médicaments (62% contre 36%).
La mesure la plus contestée reste le versement de l'euro non remboursé pour chaque consultation médicale : 52% y adhèrent, tandis que 47% y sont opposés. Ici, des différences politiques marquées se font jour ; aux 69% de sympathisants de droite favorables à cette mesure (contre 28%) s'opposent 59% de sympathisants de gauche qui s'y disent défavorables (contre 40%).
Socialement, certaines mesures comme le développement des génériques, la création du dossier médical partagé ou le choix du médecin traitant apparaissent largement consensuelles. Il n'en va pas de même d'autres axes de la réforme, perçues comme ayant un impact économique immédiat, tels que les niveaux variables de remboursement des médicaments ou plus encore le versement d'un euro non remboursé qui laisse apparaître un clivage social marqué : dans le cas de l'euro non remboursé, si 65% des hauts revenus s'y déclarent favorables, ce n'est le cas que de 45% des bas revenus.
6. Une population largement disposée à faire évoluer ses comportements
L'évolution des normes se traduit dans les faits par une disposition élevée de la population à l'idée d'adapter ses comportements : 92% s'y disent prêts, contre 7% qui, ouvertement, n'y sont pas disposés. On est plus encore frappé de la proportion importante de ceux qui se déclarent tout à fait prêts à ces évolutions.
Evolution comportementale plutôt qu'effort financier : seuls 58% (contre 41%) adhèrent en revanche à l'idée d'un effort financier personnel pour équilibrer le système de santé. Au-delà des changements progressifs observés en termes de normes, tout se passe comme si l'adaptation des comportements constituait le prix à payer pour éviter un sacrifice financier qu'on redoute : en somme, oui aux génériques plutôt qu'à la baisse des taux de remboursement des médicaments ; oui à une diminution des arrêts de travail plutôt qu'au 1 euro non remboursé …
Ainsi la hiérarchie des évolutions de comportements que la population se dit prête à adopter situe en tête la possibilité de différer ou d'éviter des consultations dans le cas de maladies bénignes (78% s'y disent prêts), devant la limitation des arrêts de travail (77%). Le passage obligé par un généraliste avant une consultation de spécialiste suscite l'adhésion de 61%, le payement d'un euro par consultation, de 59%. 52% se disent encore disposés à différer ou à éviter certains examens médicaux.
Pour faire évoluer les comportements, la voie de la responsabilisation reste privilégiée à l'imposition de règles et de sanctions par une large majorité de 68%, contre 28%.
7. Des avis partagés quant à l'impact de la réforme
Les discours récurrents sur les déficits de l'Assurance Maladie ont certainement contribué à faire évoluer les attitudes des assurés sociaux. Ils fondent probablement en même temps le relatif scepticisme qui anime la population au moment de porter un jugement sur l'impact de la réforme.
Les avis restent à ce titre extrêmement partagés. 49% pensent que la réforme permettra d'assurer durablement l'équilibre financier de l'Assurance Maladie, contre 47% qui adoptent l'opinion contraire. Parmi les interviewés qui ont entendu parler de la réforme, les avis négatifs dominent légèrement : 53% contre 43%.
Dans la plupart des catégories, une forme d'incertitude subsiste, à un niveau variable. L'optimisme est néanmoins nettement majoritaire parmi les moins de 35 ans (61 %) et, dans une moindre mesure, parmi ceux qui se sentent bien informés par la réforme (54%). Enfin, on observera que les assurés sociaux qui voient dans la réforme un double objectif de réduction des dépenses et d'amélioration des soins sont plus optimistes à cet égard que ceux ne mettent derrière la réforme qu'une volonté de réduction des déficits.
Conclusions
De toute évidence, une partie non négligeable de la population a encore été peu exposée à l'information sur la réforme de l'Assurance Maladie. Sa notoriété peut encore progresser et une large majorité des assurés sociaux se sentent encore mal informés sur les évolutions à venir.
L'évolution des attitudes en matière de santé paraît un terreau favorable à une adhésion à cette réforme. Pour autant, son image reste mitigée, et son effet en terme d'équilibre financier laisse dubitatif une partie non négligeable des assurés sociaux.
Pour autant, quand on considère individuellement un certain nombre de mesures, non exhaustives, elles recueillent toutes une adhésion majoritaire, certes variable selon que les actions sont de nature à avoir un impact sur les comportements ou sur l'équilibre financier des foyers. Dans ces derniers cas, les réticences voire les craintes des foyers à bas revenu reste une réalité importante.
Fiche technique :
Etude réalisée pour : "Les Echos" et "Panorama du médecin"
Période d'enquête : Les 15 et 16 octobre 2004.
Echantillon : 1001 personnes représentatives de la population française âgée de 15 ans et plus.
Méthode : Interviews réalisées par téléphone au domicile des personnes interrogées. La représentativité est assurée par la méthode des quotas de sexe, d'âge, de profession du chef de famille après stratification par région et catégorie d'habitat.