Les Français et le "Front Républicain"

Les Français adhèrent-ils encore au « front républicain » ? S’appuyant sur les résultats de la treizième vague de l’enquête Fractures françaises, menée par Ipsos bva et son partenaire CESI école d'ingénieurs pour la Fondation Jean-Jaurès, Le Monde, le Cevipof et l’Institut Montaigne, Mathieu Gallard, directeur d’études chez Ipsos bva, et Stéphane Zumsteeg, directeur du département Politique et opinion d’Ipsos bva, dressent un tableau nuancé, qui empêche toute conjoncture : si l’adhésion au principe du barrage républicain reste forte dans les électorats de gauche et du « socle commun », sa traduction concrète dans les urnes semble, à ce stade du moins, plus incertaine.

Alors que l’hypothèse d’une nouvelle dissolution reste présente, les observateurs se perdent en conjectures sur les résultats de nouvelles élections législatives. Si une nouvelle progression du Rassemblement national (RN) est probable, une question demeure : jusqu’où serait-elle freinée, comme en 2024, par le « front républicain » ? Notre étude montre que, si l’adhésion au principe du barrage républicain reste forte dans les électorats de gauche et du « socle commun », sa traduction concrète dans les urnes semble plus incertaine : l’électorat Les Républicains (LR), parfois proche du RN sur le plan idéologique, y adhère de moins en moins, tandis qu’à gauche, l’hostilité envers Emmanuel Macron et le « bloc central » fragilise ce vieux réflexe. Mais le propre du « front républicain » est précisément de se reconstituer dans la dernière ligne droite des campagnes électorales – il est donc trop tôt pour prédire son éventuel effondrement.

Depuis le mitan des années 2010, la concomitance de la progression électorale du Rassemblement national et du passage d’un affrontement bipolaire gauche-droite à une « tripolarisation » a eu des effets majeurs sur notre système politique. Une des évolutions principales concerne la nature même des seconds tours : alors que, dans le passé, ils permettaient aux électeurs de faire un choix entre deux options idéologiques opposées, mais jugées légitimes, ils se transforment de plus en plus depuis les élections départementales de 2015 en un vote de barrage contre une force politique aussi rejetée que redoutée par une majorité de l’électorat.

Mais cette logique du « front républicain » s’est progressivement affaiblie sous le poids de la « dédiabolisation » du RN aussi bien que du fait de la lassitude des électeurs. Après avoir fonctionné à plein lors des élections départementales et régionales de 2015, puis au second tour de l’élection présidentielle de 2017, il s’est peu à peu affaibli, jusqu’à s’effondrer à l’occasion des élections législatives de 20226. Mais ce scrutin s’est avéré très spécifique : dans un contexte d’affrontement très vif entre la coalition présidentielle et le bloc de gauche qui obtenaient 25,7% chacun au premier tour, le faible score du Rassemblement national (18,7%) en avait fait un acteur secondaire du second tour aux yeux des électeurs. Dans les 206 circonscriptions où le parti conduit par Marine Le Pen s’était qualifié pour le second tour, les électeurs macronistes ont alors préféré faire barrage à la gauche qu’au RN, et les électeurs de gauche ont eu le comportement inverse, avec pour résultat l’élection d’un nombre record – 89 – de députés RN.

Deux ans plus tard, lors des élections législatives anticipées de 2024, la configuration des résultats du premier tour a conduit à une dynamique tout autre. Contrairement à ce qui s’était produit deux ans auparavant, le succès impressionnant du Rassemblement national – 33,4% des voix, 38 députés élus dès le premier tour et 451 candidats qualifiés pour le second tour – crédibilise l’hypothèse d’une majorité au moins relative pour le parti d’extrême droite. Le « front républicain » s’est alors soudainement remis en place. D’abord, au niveau des partis politiques avec des désistements massifs des candidats arrivés en troisième position dans les triangulaires et des appels à faire barrage à l’extrême droite aussi bien parmi les dirigeants de gauche qu’au sein de la coalition présidentielle. Dans un second temps, l’effet de ces stratégies des partis a eu un impact très fort sur les électeurs : certes, le Rassemblement national a obtenu un nombre record de députés (143 avec ses alliés ciottistes), mais il n’est arrivé qu’en troisième place des trois « blocs » en lice et n’avait dès lors aucune chance de former un gouvernement.  

Dans le contexte d’instabilité gouvernementale qui a vu se succéder trois Premiers ministres et quatre gouvernements en l’espace d’un peu plus d’un an, les appels à une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron se font de plus en plus pressants de la part des dirigeants politiques comme de l’opinion. Si le président de la République devait prochainement se résoudre à ce choix, de nombreux observateurs annoncent une nouvelle percée du RN qui pourrait selon eux atteindre une majorité absolue. Une telle hypothèse s’appuie néanmoins sur des données très parcellaires : dans les enquêtes d’opinion publiées depuis la fin août 2025, le Rassemblement national et ses alliés sont crédités de 29% à 36% des intentions de vote au premier tour, soit une grande stabilité par rapport au résultat (33,4%) de l’an dernier. De plus, l’hypothèse d’un effondrement du « front républicain » lié au sentiment de délitement actuel du champ politique ne s’appuie sur aucune donnée concrète en dehors de l’intuition de ces observateurs.  

 Rapport complet

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A propos de cette étude

Ipsos bva a réalisé cette étude d’opinion pour la Fondation Jean-Jaurès, Le Monde, le Cevipof et l’Institut Montaigne, auprès de 3000 personnes constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.

Auteur(s)

  • Mathieu Gallard - Directeur d'études, Public Affairs
    Mathieu Gallard
    Directeur d'Études, Public Affairs
  • Stéphane Zumsteeg - Directeur Opinion et Recherche Sociale, Public Affairs
    Stéphane Zumsteeg
    Directeur du Département Opinion et Recherche Sociale, Public Affairs

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