Les Français et les humoristes

En 2010, le feuilleton aura duré plusieurs mois avant que la direction de France Inter ne décide le renvoi de Stéphane Guillon de la tranche matinale de la radio. L’événement a ranimé un vieux débat et pose une fois de plus la question : politique et humour font-ils bon ménage ? Pour beaucoup, les relations se tendent de plus en plus entre les humoristes et la classe politique. On serait passé de la moquerie et de la dérision à une culture permanente de l'agression et du ricanement dévastateur. De plus en plus de voix se font entendre pour dénoncer la place que prendraient les humoristes, celle de chroniqueurs de plus en plus virulents et dont les attaques à l’encontre des personnalités politiques seraient désormais d’une violence presque sans limite. Etat des lieux, d'après une enquête Ipsos-Logica Business Consulting réalisée pour l'hebdomadaire Marianne.

Auteur(s)
  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs
  • Emilie Rey-Coquais
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Les résultats de l’enquête Ipsos/Logica Business Consulting réalisé pour Marianne montrent que dans leur grande majorité, les Français ont non seulement le sentiment que « les humoristes sont de plus en plus impertinents et critiques avec les grands de ce monde » (67%) mais que dans le même temps « ils sont utiles au débat politique et à la démocratie » (72%).

Alors même que la méfiance vis-à-vis des personnalités politiques, des partis et des journalistes reste extrêmement forte, il semble que les humoristes gagnent en crédibilité justement parce qu’ils sont perçus par une part de la population comme étant « hors système ». Paradoxalement, la parole humoristique est peut-être en train d’être considérée par beaucoup comme d’autant plus « sérieuse » que celle des autres acteurs perd à leurs yeux une part de sa crédibilité. Les Français font d’ailleurs le lien entre la politisation des humoristes et leur méchanceté : 9 des humoristes considérés comme étant les plus politisés se retrouvent au sein du classement des 10 humoristes jugés les plus méchants. La méchanceté et l’agressivité s’exercent le plus souvent à l’encontre du politique et cela ne semble pas gêner la majorité des Français, bien au contraire : moins d’un tiers d’entre eux estime que les humoristes tirent trop le débat politique et la démocratie vers le bas (seulement 28%).

Toutefois, la campagne pour l’élection présidentielle a généré un réel clivage des opinions quant à la place des humoristes dans le débat politique. Il ne s’agit plus de rire. Si du côté des sympathisants de gauche on considère massivement que les humoristes sont utiles au débat politique et à la démocratie (84% contre 72% pour l’ensemble), on estime aussi plus fréquemment que les autres qu’ils sont de moins en moins impertinents (41% contre 33% pour l’ensemble). On attend probablement plus d’attaques de leur part à l’encontre du camp de Nicolas Sarkozy. A l’opposé, les sympathisants de droite sont plus nombreux que les autres à penser que les humoristes tirent trop le débat politique vers le bas (44% contre 28% pour l’ensemble) et qu’ils sont de plus en plus impertinents avec les grands de ce monde (74% contre 67% pour l’ensemble).

Dans le détail, la palme de l’humoriste le plus « méchant » est décernée à Stéphane Guillon (56%), juste devant Guy Bedos (43%). La troisième place du podium ne revient pas à un comique particulièrement connu pour des prises de parole concernant la sphère politique. Il s’agit de Jean-Marie Bigard (35%) dont certains sketches comme « le lâcher de salopes » ont été perçus comme extrêmement choquants, vulgaires et agressifs à l’encontre de la gent féminine. Les femmes le citent d’ailleurs plus fréquemment au sein de leur classement (39% contre 30% pour les hommes). Il est aussi probable que certaines de ses prises de position comme la négation de la réalité des attentats du 11 septembre ont pu peser pour une part sur la perception des Français. En 4ème position ex-æquo arrivent Nicolas Canteloup et Laurent Gerra (28%) dont le point commun est non seulement d’œuvrer dans le domaine de l’imitation mais aussi de moquer les personnalités politiques.

Le classement des humoristes les plus méchants ne varie pas fortement en fonction de l’âge ou du sexe des personnes interrogées. On retrouve presque toujours les mêmes humoristes au sein du classement de l’ensemble des catégories de la population française : Stéphane Guillon, Guy Bedos, Jean-Marie Bigard, Laurent Gerra et Nicolas Canteloup. La proximité partisane a par ailleurs ici un impact modéré. Que l’on se dise sympathisant de droite ou de gauche, les trois humoristes considérés comme les plus méchants restent Stéphane Guillon, Guy Bedos et Jean-Marie Bigard. Les sympathisants de droite placent toutefois Guy Bedos en 1er (54%) devant Stéphane Guillon (49%), Jean-Marie Bigard (33%) et accordent la 4ème place à Jamel Debbouze (29%) tandis que ceux de gauche citent d’abord Stéphane Guillon (56%), suivi de Jean-Marie Bigard (38%), Guy Bedos (37%) et Laurent Gerra (32%).

En ce qui concerne le classement des humoristes les plus « politisés », le 1er prix revient à Guy Bedos (56%). Stéphane Guillon (50%) prend la seconde place du palmarès, suivi de Nicolas Canteloup (46%) et Laurent Gerra (42%) qui prennent respectivement les 3ème et 4ème places du classement, loin devant Jamel Debbouze (24%), Jean-Marie Bigard (22%) et Anne Roumanoff (20%).

Le classement des humoristes les plus politisés ne varie pas fortement en fonction de l’âge, du sexe ou de la proximité partisane des personnes interrogées. On retrouve toujours les mêmes humoristes en tête des palmarès : Guy Bedos, Stéphane Guillon, Nicolas Canteloup et Laurent Gerra. Notons toutefois que Guy Bedos obtient un score plus élevé auprès des 35 ans et plus (conservant ainsi sa 1ère place au palmarès) alors que les moins de 35 ans le placent en 4ème position.

Pour autant, lorsque l’on demande aux Français de réaliser le classement des humoristes qu’ils considèrent comme étant les plus drôles, ils ne citent pas en premier ceux qu’ils considèrent être les plus méchants ou les plus politisés même si ces derniers ne sont pas absents du classement de tête. Par ailleurs, ce sont des femmes qui prennent les premières places sur le podium. C’est Florence Foresti qui est aujourd’hui l’humoriste qui fait le plus rire les Français (49%), loin devant Anne Roumanoff (39%). Laurent Gerra prend la 3ème place (36%), talonné par Omar et Fred (34%), Gad Elmaleh (33%) et Nicolas Canteloup (31%). Viennent ensuite Dany Boon (28%) et Jamel Debbouze (18%). Stéphane Guillon prend la 9ème place ex-æquo avec Frank Dubosc et Muriel Robin (17%).

Florence Foresti est la gagnante incontestée puisqu’elle arrive en tête de palmarès auprès de toutes les catégories de la population : des sympathisants de droite comme de gauche, des jeunes comme des plus âgés, des hommes comme des femmes. Après Florence Foresti, les jeunes plébiscitent en deuxième Gad Elmaleh (49%) devant Omar et Fred (45%), Dany Boon et Jamel Debbouze (27%) tandis que les 35 ans et plus  choisissent le plus souvent Laurent Gerra et Anne Roumanoff (45%), devant Nicolas Canteloup (35%). A la suite de Florence Foresti, les sympathisants de gauche plébiscitent quant à eux Omar et Fred à égalité avec Anne Roumanoff (36%) suivi de Gad Elmaleh (32%) alors que les sympathisants de droite sont plus sensibles à l’humour d’Anne Roumanoff (43%) mais aussi à celui des humoristes-imitateurs tels que Laurent Gerra (42%) et Nicolas Canteloup (39%). 

Auteur(s)
  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs
  • Emilie Rey-Coquais

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