Les Français veulent à la fois plus et moins d'Europe
Le sondage Ipsos/Logica Business Consulting réalisée dans le cadre du deuxième colloque organisé par Le Monde et France Inter en région révèle une opinion publique ambivalente par rapport à l'Europe. Les Français restent très attachés à l'Europe et souhaitent le renforcement des pouvoirs de l'UE, mais son incapacité à faire face à la crise suscite craintes et déceptions.
Les Français restent attachés à l’Europe…
Six Français sur dix se disent attachés à l’Europe. Ils sont même 25% à s’y dire très attachés. Seule une minorité d’interviewés – minorité non négligeable toutefois – affirme le contraire (39%).
Pour les Français, la paix entre pays membres (50%) et la possibilité de circuler librement (46%) sont les deux principales réussites de la construction européenne. 34% évoquent également les échanges culturels et universitaires entre citoyens (50% chez les 18-24 ans, qui considèrent qu’il s’agit de la principale réussite de l’Europe) et 30% la création de la monnaie unique. En revanche, ils ne sont que 16% à mentionner le développement économique de l’Union européenne et des pays membres et l’influence politique et diplomatique de l’Europe dans le monde.
Le manque d’harmonisation entre pays membres sur le plan fiscal et social constitue selon eux le principal échec de la construction européenne (60%), devant l’incapacité à créer une véritable Europe politique dotée d’un gouvernement central (42%), le maintien d’un haut niveau de chômage (39%), le développement d’une technocratie déconnectée des citoyens (29%) et l’affaiblissement de l’identité de chaque pays (21% ; 40% chez les sympathisants FN).
L’Europe est donc pour de nombreux Français synonyme de paix et de liberté. Ils se montrent en revanche nettement plus sceptiques sur la réussite économique et politique de la construction européenne.
…mais l’incapacité de l’UE à faire face à la crise suscite craintes et déceptions
Le jugement des Français à l’égard de l’Union européenne dans le contexte actuel de crise est sans appel : un interviewé sur deux (49%) estime ainsi que l’appartenance de la France à l’UE a plutôt tendance à aggraver les effets de la crise sur les Français, tandis que seuls 27% estiment que cela les protège et 19% que cela n’a pas d’impact.
Dès lors, il n’est pas étonnant de voir que les sentiments négatifs à l’égard de la construction européenne sont en nette progression depuis dix ans. Ainsi, lorsqu’on leur parle de construction européenne, 34% des interviewés ressentent de l’espoir (soit trois points de moins qu’il y a dix ans), mais une part quasiment égale d’interviewés ressent surtout de la crainte (31% ; +6 points depuis 2001). Ils ne sont plus que 13% à être avant tout confiants (soit 8 points de moins qu’en 2001) alors qu’à l’inverse la proportion d’indifférents augmente (12% ; +5). Les sentiments plus extrêmes demeurent marginaux : la construction européenne inspire ainsi de l’enthousiasme à 5% des interviewés (-1) et de l’hostilité à 4% d’entre eux (+1). Les évocations négatives (47%) font donc quasiment jeu égal avec les évocations positives (52%) alors qu’en 2001, le positif (64%) l’emportait largement sur le négatif (35%). En dix ans, force est de constater que le scepticisme à l’égard de la construction européenne a progressé.
En définitive, les Français se montrent partagés lorsqu’il s’agit de faire le bilan de l’adhésion de la France à l’Union européenne : 50% pensent que c’est une bonne chose, tandis que l’autre moitié s’interroge, soit pour considérer qu’il ne s’agit ni d’une bonne, ni d’une mauvaise chose (34%), soit, pour près d’un interviewé sur cinq, pour affirmer qu’il s’agit d’une mauvaise chose (16%).
Pour autant, les Français ne rejettent pas l’Union européenne. De manière générale, ils ont même plutôt tendance à se montrer favorables à un renforcement de ses pouvoirs (notamment dans le domaine environnemental mais aussi, à une courte majorité, dans le domaine budgétaire). Ils sont également favorables à l’élection d’un président de l’UE au suffrage universel (61%). Mais le contexte actuel de crise les rend plus sceptiques et lorsqu’on leur demande quelle solution leur paraît la plus efficace pour faire face efficacement à la crise, ils se montrent partagés. Ainsi, 41% répondent qu’il faut renforcer les pouvoirs de décision de l’Union européenne, même si cela conduire à limiter ceux de la France, mais à l’inverse, 48% estiment qu’il vaut mieux renforcer les pouvoirs nationaux, même si cela doit conduire à limiter ceux de l’UE.
En fait, ces résultats partagés traduisent une fracture de plus en plus nette – et sans doute exacerbée par la crise – dans la population française entre pro et anti Européens.
Sur toutes ces questions, les réponses sont très clivées selon le profil sociologique et politique des interviewés
D’un côté, les personnes de plus de 60 ans, les cadres, les diplômés du supérieur ou les sympathisants de PS, de l’UMP et du Modem sont très largement attachés à l’Europe et à l’adhésion de la France à l’Union européenne. Ils ressentent surtout des sentiments positifs quand ils pensent à la construction européenne. Une majorité relative de personnes âgées, de cadres et de diplômés estiment par ailleurs que l’appartenance de la France à l’UE a plutôt protégé les Français des effets de la crise. Ils se prononcent par ailleurs majoritairement pour un renforcement des pouvoirs de l’UE face à la crise.
De l’autre côté, les ouvriers, les personnes qui n’ont pas de diplôme, les sympathisants du Front de gauche et surtout du Front national s’illustrent par leur euroscepticisme, voire leur franche hostilité à l’égard de l’Europe. Leur attachement à l’Europe est modéré et la construction européenne évoque surtout pour eux des sentiments négatifs. Ils considèrent très majoritairement que l’appartenance de la France à l’UE a aggravé les effets de la crise et se montrent favorables à un renforcement des pouvoirs de décision de la France pour faire face efficacement à la crise, même si cela doit limiter les pouvoirs de l’UE.