Les jeunes Français et le surpoids : interview d’Hélène Roques

A l’occasion de la trente-troisième journée mondiale de l’alimentation, Doing Good Doing Well, entreprise sociale engagée dans la prévention de l’obésité, sort une véritable radiographie de la vie intime des jeunes Français.Ci-dessous, l’interview d’Hélène Roques*, fondatrice de Doing Good Doing Well, commentant les résultats de l’enquête réalisée par Ipsos.

Auteur(s)
  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs
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Pour vous, quels sont les principaux enseignements de cette enquête ?

Hélène Roques : Nous savions depuis longtemps que les jeunes mangeaient mal. Cette enquête dresse un état des lieux préoccupant de la santé des jeunes. Plus d’un jeune sur 2 déclare vivre un stress élevé,  près d’un jeune sur 3 avoue être angoissé, voire à bout. Malgré leur hyper-connectivité, beaucoup sont très seuls. Leur hyper-connectivité le jour entame aussi la qualité de leur sommeil. Côté alimentation, notre constat n’est guère plus rassurant puisque les jeunes sont de plus en plus nombreux à être en surpoids ou en état d’obésité : à 30 ans, les choses basculent et 44% des 30-35 ans se retrouvent confrontés à ce problème !

Le plus nouveau, n’est-ce pas que personne n’est à l’abri et notamment  les jeunes parents ?

On pensait qu’à l’occasion de la naissance de leur enfant beaucoup de parents réapprenaient les vertus des « vrais » repas équilibrés et consommaient plus de fruits et légumes. C’est au contraire un facteur probablement aggravant : de leur propre aveu, leurs repas sont trop caloriques et trop gras. Ils ne consomment pas vraiment plus de fruits et de légumes et expédient le petit-déjeuner en 10 minutes, tout comme le déjeuner et le dîner, auxquels ils accordent moins d’une demi-heure. Malgré la présence des enfants, les écrans ont une importance prépondérante durant les repas. Par manque de temps, ils pratiquent moins souvent que les autres une activité sportive. En 2013, près de 4 jeunes parents sur 10 se retrouvent en surpoids ou en état d’obésité.

Selon vous, quelles en sont les conséquences ? 

Le manque d’activité physique, le manque de sommeil, l’alimentation déséquilibrée, le stress, l’hyper-connectivité : ce sont des facteurs d’obésité, qui se transmettent de parents à enfants.

Si les parents lisent des livres, les enfants liront des livres. Si les parents lisent des mails, les enfants liront des mails. Si les parents mangent devant un écran, les enfants le feront aussi.

Ce que les parents ignorent peut-être, c’est à quel point manger devant un écran favorise la consommation de nourriture trop salée, trop sucrée, trop grasse. Lorsque l’on est devant un écran, on prête beaucoup moins d’attention à ce que l’on mange.

Ce que les jeunes parents doivent savoir, c’est que prendre moins de 3 repas par jour augmente les risques d’obésité et que sauter le petit-déjeuner augmente de 27% le risque de crise cardiaque. Cela favorise l’hypertension, le fort taux de cholestérol et de diabète. L’OMS affirme que la prise quotidienne d’un petit-déjeuner semble être l’un des éléments les plus protecteurs contre l’obésité chez l’adolescent. C’est pareil pour le manque de sommeil : il aggrave les risques d’obésité et de diabète à cause du dérèglement des hormones de l’appétit.

Selon vous, que faut-il faire face à cette situation ?

Il faut d’abord que chacun veuille préserver sa propre santé et essaie d’adopter des habitudes de vies plus saines. Mais encore faut-il savoir et pouvoir le faire. Le message d’espoir peut venir des entreprises. On parle toujours de la responsabilité sociale de l’employeur qui doit rendre compatible carrière et vie familiale. Mais l’employeur idéal 2.0, c’est celui qui permet d’allier carrière, vie de famille et santé.

N’est-ce pas un peu utopique ?

Non, c’est une bataille qu’il faut mener et gagner. C’est d’abord une culture qu’il faut diffuser dans les entreprises, exactement comme on diffuse le fait de ne pas imprimer trop de papier, de trier ses déchets ou de jeter ses piles au bon endroit. C’est un cap à passer. Et les entreprises savent passer des caps, adopter des nouvelles dimensions.

Au XXème siècle, les entreprises ont dû apprendre à travailler avec des pays étrangers. On a nommé des directeurs à l’international. Ensuite, elles ont dû apprendre à travailler avec Internet. On a alors créé des postes de webmaster, de directeurs IT.

Au XXIème siècle, s’il faut apprendre à adopter une vie plus saine dans l’entreprise, on doit créer le poste correspondant. On les appelle comme on veut, mais l’idée c’est de faire de la santé physique et psychique une priorité, tout en haut de la pile. Des directeurs du « Manger Bouger ».

Concrètement, en France, si un salarié dit qu’il a réservé deux heures pour son sport, entre 13 et 15 heures, on le regarde de travers. Or dans de nombreux métiers c’est possible, si l’entreprise le prévoit, si elle a voulu que cette flexibilité soit possible, si cela fait partie de ses priorités, de sa culture. Ce sont des choses simples, mais installer des douches peut faire choisir de faire du sport, ou juste de « bouger » à l’heure du déjeuner, par exemple.

La santé c’est un nouveau marché pour les entreprises ?

Le Ticket restaurant dans plusieurs pays met en avant son programme Ideal Meal pour une alimentation plus saine. Leader Price se bat avec Jean-Pierre Coffe pour une offre plus saine à des prix imbattables. Mais beaucoup reste à faire et beaucoup auprès des salariés. Les entreprises s’y retrouveront, parce que manger sainement, avoir une activité physique, augmente la performance. Elles s’y retrouveront d’autant plus qu’elles seront incitées par l’Etat à développer des actions pour le bien-être de leurs salariés.

Le coût de l’obésité est colossal, plus de 10 milliards d’euros par an, c'est le coût direct, pour l'Etat, sans parler du coût de l’absentéisme pour les entreprises. Un jour, peut-être, l’Etat diminuera les charges sociales pour les entreprises qui affichent des résultats incontestables en termes de bien-être des salariés. Ce serait un juste retour des choses car aujourd’hui, 1 décès sur 10 dans le monde (soit autant que le tabac) est lié au manque d’activité physique.

* Hélène Roques a fondé en 2009 la société Doing Good Doing Well après sept années à la tête de la Direction Développement durable du groupe Accor, où elle a créé et accompagné des projets dans cent pays. Auparavant, elle a occupé diverses fonctions au service de l'Etat (Ministère de l'Industrie, Ministère des Affaires Etrangères), du Conseil Régional d'Ile-de-France et chez Publicis Consultants, où elle a conseillé des groupes industriels européens et américains.

Auteur(s)
  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs

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