Les mauvaises pubs et celles qui font l’opinion

Lors de la convention de Boston (26–29 juillet), les Démocrates ont choisi John Kerry pour porter leurs couleurs dans la course à la Présidence. Un choix fondé sur l’« éligibilité » du candidat en tant que Démocrate et héros de guerre, sur fond de conflit en Irak. Kerry n’a-t-il pas passé quatre mois dans la Marine au Vietnam ? Le 9 août, sur les bords du Grand Canyon, Kerry explique aux journalistes que si c’était à refaire et en dépit de tout ce qu’il sait alors, il voterait à nouveau la résolution en faveur de la guerre en Irak. Beaucoup pensent qu’il aurait mieux fait de se jeter dans le canyon ce jour-là. S’il confirme aujourd’hui son adhésion au projet de guerre et s’il est vraiment le vétéran militaire médaillé que l’on décrit, pourquoi concourt-il contre le Président Bush?

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  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
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Le camp de Kerry a mesuré l’ampleur de l’erreur commise lors de cette interview. Pendant les cinq semaines qui ont suivi, Kerry a refusé de répondre aux questions des journalistes. Peut-on imaginer une seconde remporter une élection sans jamais s’exprimer dans la presse ! Kerry comptait davantage sur sa campagne publicitaire – près de cent millions de dollars dépensés dans la campagne pro-Kerry et anti-Bush entre mars et août – pour relayer son message.

Kerry a mené le type de campagne que les Américains ont baptisé «Rose Garden Strategy» (la stratégie de la roseraie) : celle que les présidents en exercice adoptent volontiers en se promenant dans la Roseraie de la Maison Blanche pour éviter de répondre à la presse.

Les publicités de Kerry étaient mauvaises: un mélange de souvenirs de guerre de Kerry au Vietnam, sur fond sépia et verdâtre, et de vagues promesses sur un nouveau programme de santé. La stratégie de la roseraie implique également de renoncer à trop attaquer son opposant (ce qui ne serait pas digne d’un président). Kerry n’attaquera donc pas Bush sur ses principaux points faibles, sa politique guerrière. A la mi-août, les cercles médiatiques et politiques s’accordaient, par conformisme, à voir dans la campagne de Kerry « une course à la défaite ».

Les sondages réalisés par Ipsos Public Affairs d’Ipsos, en partenariat avec Associated Press, révèlent que Kerry qui bénéficiait de trois points d’avance début août (48 % Kerry, 45 % Bush) cumulait un retard de huit points début septembre (51 % Bush, 43 % Kerry).

La stratégie adoptée par Kerry lui a coûté onze points: il est passé d’une position de force qui aurait pu lui permettre de mener une campagne efficace à une position de probable perdant.



Le battage publicitaire de Bush et Kerry à la télévision entre mars et août s’est avéré parfaitement inefficace: ni les intentions de votes, ni l’image des candidats n’ont évolué.

C’est alors qu’un groupuscule – les Swift Boat Veterans for Truth – décide de lancer une petite campagne publicitaire, assortie d’une brillante stratégie de relations publiques. Cette campagne, qui bouleverse le rapport de force entre les candidats, repose sur trois éléments:

1. Un encart publicitaire dans trois Etats pour vendre un livre dans lequel des personnes ayant servi aux côtés de Kerry critiquent ses faits d’arme au Vietnam et racontent comment il a protesté contre la guerre à son retour aux États-unis. L’achat d’espace s’élève à peine à 400 000 dollars et les coûts de production ne dépassent pas 3 300 dollars! Bien sûr, aucune dépense n’a été engagée en amont pour tester la publicité. Si elle représente moins d’1% des dépenses totales de la campagne, cette publicité a pourtant eu plus d’impact que toutes les autres réunies, soit 99 % de l’argent investi par Bush, Kerry et leurs alliés.

2. Une campagne de relations publiques qui contourne les grands médias tout en les contraignant à relayer les accusations des Swift Boat Veterans. Cette campagne s’est appuyée sur les Blogs, ces sites Web individuels assortis de commentaires et opinions personnels. Ses effets sont immédiats : les grands médias sont contraints de se faire l’écho du mouvement des Swift Boat Veterans. Une stratégie payante : un sondage indique que 60 % des électeurs reconnaissent avoir vu ou entendu parler de cette publicité. Sans la couverture des grands médias nationaux, il est vraisemblable que seuls 5% des électeurs l’auraient vue. Cette campagne au départ discrète a finalement explosé les barrières médiatiques pour pénétrer l’inconscient des électeurs. Les Blogs ont d’ailleurs démontré à nouveau leur force de frappe lorsqu’en septembre il ont dénoncé l’authenticité des documents produits par Dan Rather sur CBS News pour prouver que le président Bush n’a pas servi honorablement la patrie comme réserviste durant la guerre du Vietnam. CBS et Rather ont finalement dû admettre que ces documents étaient des faux.

3. Les critiques des Swift Boat Veterans sur les mauvais états de service de Kerry au Vietnam – qui n’intéressent pourtant personne-deviennent une charge violente contre lui
lors de la convention républicaine. Dans les publicités et lors de la convention démocrate, Kerry se présente comme un héros de la guerre du Vietnam. Or les Swift Boat Veterans l’accusent de mentir sur son passé militaire et rappellent qu’il s’est opposé à la guerre de retour aux États-unis. Et alors? Tout ceci date d’il y a 35 ans. Pour porter, l’argument des Swift Boat Veterans se devait épingler la personnalité de Kerry, et démontrer quel type de président il serait. La campagne de Bush ressemblait davantage à celle du challenger qui tente d’enfermer Kerry dans sa prétendue stratégie de la roseraie. Les Swift Boat Veterans avaient semé le doute :Kerry, héros de guerre était devenu l’opportuniste avide de médailles, un fervent adversaire de la guerre. Un héros est un combattant courageux et déterminé. En salissant l’image de Kerry, ses détracteurs, y compris Bush, l’ont fait passer pour l’inverse : quelqu’un qui ne se connaît pas, un opportuniste et un instable.

Personne ne veut d’un président indécis or c’est exactement ce à quoi ressemblait Kerry à la fin de ce terrible mois d’août. En septembre, deux fois plus d’électeurs considéraient que Bush était plus apte à prendre des décisions que Kerry.

La publicité doit entrer dans la vie des téléspectateurs et des électeurs, sinon c’est de l’argent jeté par les fenêtres. Une minuscule campagne publicitaire, à peine un spot à l’écran, a bouleversé la campagne présidentielle américaine. Une fois les dommages constatés, Kerry a recruté une nouvelle équipe de campagne. Il a quitté la Roseraie et a commencé à se comporter en challenger, en se mettant en avant au lieu de ne compter que sur la publicité. Cela suffira-t-il à changer la donne ?

Premier débat télévisé opposant Bush et Kerry, le 30 septembre 2004.

Vétéran des sondages, Thomas Riehle est Président d’Ipsos Public Affairs aux Etats-Unis. Il a participé, avec succès, à un grand nombre de campagnes électorales, de campagnes de communication ou de relations publiques. Il a mis au point des programmes d’études stratégiques et opérationnelles, pour de grandes sociétés, des gouvernements, des candidats, des groupes d’intérêt et des associations, aux Etats-Unis et dans le monde. 

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  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs

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