Les raids sur la Serbie divisent l’opinion internationale

Une enquête Ipsos-le Journal du Dimanche révèle une approbation limitée et inquiète de l’intervention de l’Otan en Yougoslavie. Des Etats-Unis à la Grande-Bretagne, de l’Italie à l’Allemagne, les opinions publiques doutent de l’efficacité des frappes aériennes.

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  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
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L’opinion internationale s’interroge vivement sur le sens des frappes de l’Otan en Yougoslavie. L’ensemble des enquêtes d’opinion réalisées, dans les pays membres de l’Alliance Atlantique, depuis le début de l’intervention militaire mettent en évidence la division des réactions. L’opération " Force déterminée " est loin de disposer du large consensus dont avait bénéficié " Tempête du désert ", nom de code de la guerre du Golfe de 1991.

En France, tout d’abord, l’opinion est partagée. Sur un sujet à la fois complexe (l’imbroglio des Balkans) et passionnel (la guerre), les réponses varient naturellement en fonction de la manière dont les questions sont posées. L’enquête Ipsos-Journal du Dimanche a choisi, en ce début de conflit, les formulations les plus neutres. Il était demandé aux personnes interrogées si elles approuvaient ou désapprouvaient " l’intervention militaire de l’Otan en Yougoslavie ". Quelques jours après le déclenchement des hostilités, l’adhésion l’emportait sans qu’il s’agisse d’une majorité écrasante (57% contre 30%). Les sympathisants du PCF et du FN, conformément aux positions prises par les dirigeants de ces partis, étaient les seuls à réagir négativement. L’intervention en Serbie est proportionnellement plus soutenue par les hommes, les jeunes et les diplômés. Selon cette enquête, une majorité absolue de Français approuve " la participation militaire de la France " à cette opération. Et pourtant, une forte minorité (44%) craint que cette guerre aérienne ne provoque une " extension " du conflit à l’Europe. C’est dire si le préjugé favorable aux frappes aériennes des Alliés n’a rien d’un appui enthousiaste et dénué d’inquiétude.

Une autre enquête, réalisée par CSA pour " le Parisien " (1), met l’accent sur les dangers de cette intervention. Interrogés pendant la même période, les sondés ont répondu à la question : " Approuvez-vous ou désapprouvez-vous les bombardements aériens des forces de l’Otan contre la Serbie " ? L’accent étant mis sur la technique guerrière employée, on ne compte plus que 40% de réponses favorables contre 46% d’opposants. Curieusement, " le Parisien " compare ces chiffres avec ceux d’un sondage réalisé par le même institut pendant la guerre du Golfe qui faisait ressortir un appui de 71% de l’opinion… selon les termes de la question posée par Ipsos. Notons enfin que cinq des sept " opinions " soumises aux enquêtés par CSA, qui toutes recueillent une majorité de réponses positives, sont des arguments défavorables à l’intervention de l’Otan.

Aux Etats-Unis aussi, l’opinion semble perplexe. Une enquête ABC news réalisée le 23 mars par TNS Intersearch révélait une parfaite division : 47% approuvaient les frappes aériennes et autant les désapprouvaient. Un autre sondage, effectué le 26 mars (2), fait apparaître une évolution favorable (60% d’approbation contre 31% de désapprobation). Mais cette même étude montre qu’une majorité d’Américains (49% contre 45%) persiste à penser que " la paix au Kosovo ne vaut pas des vies américaines ". Seulement 39% des habitants des Etats-Unis considèrent que " les intérêts vitaux américains sont en jeu au Kosovo ". Un paramètre bien évidemment déterminant pour la suite des événements.

Un autre sondage, réalisé pour " Newsweek " par le Princeton Survey Research Associates (3), montre d’ailleurs que le président américain peut souffrir des conséquences de cette opération. Son taux d'approbation chute, en un mois, de 63% à 57% dans cette enquête qui révèle que la participation des Etats-Unis à l’intervention de l’Otan en Yougoslavie n’est approuvée que par une courte majorité (53%) de sondés. Une large majorité estime que les frappes aériennes ne suffiront pas à faire plier Slobodan Milosevic et une très courte majorité de personnes interrogées (48% contre 46%) considère que l’Otan devait intervenir dans ce conflit des Balkans. La crainte d’un enlisement américain en Yougoslavie est clairement exprimée par l’opinion. Outre-Atlantique, celle-ci n’est visiblement pas disposée à beaucoup de sacrifices pour sauver les Kosovars. " Combien de vies américaines seriez-vous prêts à perdre pour que les buts des Etats-Unis dans cette région soient atteints ", a-t-il été demandé dans une enquête Time-CNN ? Réponse : zéro pour 74% et " moins de cent " pour 14%…

Les Britanniques ne sont qu’apparemment plus chauds pour soutenir les frappes au-dessus de la Yougoslavie. Une enquête du Sunday Times (4) montre certes que 69% " appuient les frappes aériennes " tandis que 31% professent une opinion inverse. Mais une nette majorité de personnes interrogées (61%) ne pense pas que ces attaques vont " arrêter les massacres serbes au Kosovo ". Et aussi nombreux (44% contre 43%) sont ceux qui estiment que ces raids vont renforcer plutôt qu’affaiblir la position de Milosevic dans son pays…

Le sondage Observer-ICM (5) est un peu plus encourageant pour Tony Blair. Les deux-tiers des Britanniques (65%) pensent que le Premier ministre mène plutôt bien cette affaire. Mais une majorité nettement plus courte (56%) approuve la participation du Royaume-Uni aux raids de l’Otan. Rien à voir avec les 70% de soutien à la guerre du Golfe. Les sondés britanniques sont d’ailleurs on ne peut plus perplexes sur la capacité de l’Alliance Atlantique à atteindre ses objectifs déclarés.

Les Allemands semblent également se cantonner dans une approbation inquiète. Selon un sondage publié par " Bild Zeitung ", 57% penseraient que les frappes aériennes sont " justifiées " contre 28% d’opposants. En Italie, la tendance contestatrice l’emporte. D’après un sondage Ipsos réalisé pour le " Corriere Della Sera ", seulement 25% soutiennent les attaques militaires de l’Otan tandis que 49% de personnes interrogées les jugent injustifiées parce qu’il y aurait encore eu lieu de négocier. Ces hésitations de l’opinion internationales sont d’autant plus notables que les frappes de l’Otan n’en étaient qu’à leurs débuts au moment de ces enquêtes. Ce conflit demeurait encore assez largement abstrait. La marche des événements devrait conduire l’opinion à clarifier ses réactions. Pas forcément dans le sens des défenseurs de l’intervention alliée en Yougoslavie.

(1) 1003 personnes interrogées les 26 et 27 mars.(2) 518 personnes interrogées le 26 mars.(3) 752 personnes interrogées les 25 et 26 mars.(4) 506 personnes interrogées les 26 et 27 mars.(5) 517 personnes interrogées le 26 mars.

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  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs

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