Les tensions du système de santé existent aussi dans l’opinion

L'enquête que vient de réaliser Ipsos pour France 2 et le Figaro fait le point sur l'état de l'opinion publique française face à son système de santé. L'avenir du système, la santé au quotidien, l'hôpital public, la recherche, les enjeux moraux, sont les principaux thèmes balayés par cette étude, que présente pour Canal Ipsos Patrick Klein, directeur d'Ipsos santé.

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
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Les Français sont régulièrement exposés à deux types de discours, médiatiques et politiques. Le premier vient affirmer que leur système de santé serait un des plus performants. Idée positive entre toutes, la population l'a depuis longtemps intégrée et elle fait l'objet d'une réelle fierté. Le second vient régulièrement soulever les menaces qui pèsent sur le système : notion plus cruelle, donc moins audible, mais qui semble peu à peu s'ancrer dans les esprits, affectant tout autant la perception de la protection sociale au sens large que celle de la santé en particulier. Qu'on en juge : une large majorité - près de 6 personnes sur 10, s'accorde aujourd'hui à dire que la qualité du système de santé va se dégrader dans les années à venir. A l'inverse, 15% seulement pensent qu'elle s'améliorera.

De tels résultats ne peuvent relever du simple constat ou d'un fatalisme froid, quand on sait l'attachement de la population à l'égard de tout ce qui touche à la santé. On assiste bien aujourd'hui à la montée d'une inquiétude assez partagée, culminant parmi les actifs salariés, les personnes âgées de 45 à 60 ans, et les plus forts consommateurs de soins ou de services médicaux. Les progrès de la science, de la prévention et des thérapeutiques font émerger espoirs et revendications. Ils font également naître la crainte sourde de ne pas en bénéficier lorsque le besoin s'en fera sentir. Cette prise de conscience progressive par l'opinion publique de la fragilité du système, qui traverse largement les clivages politiques, joue sans doute en faveur de l'adhésion à l'égard de mesures récentes ou annoncées. Elle constitue également un levier susceptible d'aider les patients à reconsidérer leurs propres comportements de santé.

Du côté des mesures impulsées par les autorités de santé, trois personnes interrogées sur quatre approuvent aujourd'hui le remboursement de certains médicaments sur la base du prix de leur générique . Mais le déremboursement de produits dont le bénéfice thérapeutique n'est pas suffisamment établi ne recueille quant à lui l'adhésion que de 45% des Français. Le médicament incorpore on le sait une part de magie, et de sérieux efforts d'explication seraient sans doute nécessaires pour que la population se détourne de certains produits auxquels elle est habituée. Quant à l'augmentation récente du tarif de la consultation à 20 €, elle est largement approuvée sans toutefois faire l'unanimité.

Quand il s'agit de ses propres attitudes, la population adhère de façon variable à l'idée de faire évoluer ses comportements. Très ouverts, au moins sur le principe, à la prescription par leur médecin d'un générique en lieu et place de leur médicament habituel (89%), les Français le sont un peu moins au droit de substitution par leur pharmacien. S'ils se déclarent très majoritairement disposés à " faire venir moins souvent le médecin à domicile ", ils sont cependant beaucoup plus partagés à l'idée qu'il soit " plus difficile de consulter un spécialiste " sans avoir vu un généraliste au préalable (56% y sont favorables contre 45%). Quant à une augmentation des cotisations d'assurance maladie, elle serait beaucoup plus fraîchement accueillie, les taxes sur le tabac et l'alcool constituant une source de financement beaucoup mieux acceptée.

Que les opinions évoluent, c'est probable. Que le population se déclare prête à certains efforts pour préserver le système de santé, cela semble une évidence. Mais il subsiste clairement des résistances, ainsi qu'un décalage entre les déclarations d'intention et la réalité des pratiques. Car s'il y a par exemple quasi unanimité sur le fait qu'on consomme trop de médicaments en France (pour 9 personnes sur 10 environ), les interviewés sont presque autant (87%) à estimer ne pas trop en consommer eux-même. Fascinante inversion, et phénomène classique : le mauvais usage, c'est du côté de l'autre qu'il faudrait le chercher. Au titre des pratiques contestables, 42% admettent ainsi avoir déjà pris de leur propre initiative des médicaments normalement sur prescription ; mais seuls 19% disent avoir déjà incité leur médecin à leur prescrire des produits spécifiques, et à peine plus d'une personne sur 10 concède avoir déjà consulté un médecin alors que ce n'était pas vraiment justifié. Des données que viennent sérieusement nuancer d'autres études menées, notamment auprès des médecins. La prise de conscience des patients n'est encore que partielle en ce qui concerne leurs comportements personnels.

L'évolution du système de santé et celui des comportements personnels sont donc des thèmes de mieux en mieux compris et acceptés. Mais l'attachement de la population à cette santé, qui n'a pas de prix n'est pas sans générer certaines tensions bien compréhensibles dans l'opinion et les attitudes de ceux qui sont tour à tour patients, consommateurs, bénéficiaires, contributeurs et citoyens.

Patrick Klein
Directeur d'Ipsos Santé

Consultez l'ensemble des résultats de l'enquête :

L'inquiétude manifestée à l'égard d'une dégradation du système de santé apparaît plus importante encore parmi les catégories d'actifs salariés, plus particulièrement dans le secteur public, ainsi que parmi les 45-60 ans. Chez ces derniers, la crainte d'une dégradation renvoie sans doute à celle du système de protection sociale dans son ensemble, ainsi qu'à l'avenir des retraites.

Les mesures destinées à permettre des économies de dépenses de santé sont logiquement reçues de façon très variable selon les catégories sociales et la situation économique des ménages. Ainsi, le remboursement de médicaments sur la base du prix de leur générique suscite-t-il une approbation bien supérieure parmi les plus hauts revenus. Il en va de même de la perspective de déremboursements. Les femmes désapprouvent quant à elles beaucoup plus que les hommes les hypothèses de déremboursement (63% contre 43%), se sentant sans doute plus concernées par certaines classes thérapeutiques visées. Il en va de même de même des personnes qui ont le plus recours au médecin - plus d'une personne sur dix consulte en moyenne au moins une fois par mois. Ceux-ci admettent le plus fréquemment des formes de sur-consommation médicale. Seront-ils les premiers à adapter leurs comportements ? Rien n'est moins sûr.

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  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs

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