L’évolution de la relation à l’autre dans la société française

La Fondation du Judaïsme Français présente la vague 2 de son baromètre dans le cadre de son Observatoire pour répondre à une double question : Comment évolue la relation à l’autre et aux minorités au sein de la société française ? Les attentats qui ont lourdement frappé l’ensemble de la communauté nationale accentuent-ils les crispations ? L’étude montre que les crispations identitaires restent fortes mais ne progressent pas, malgré les dernières vagues d’attentats. Le racisme ou les opinions négatives envers l’immigration ne rencontrent quasiment pas plus d’écho en 2016 qu’en 2014.

Auteur(s)
  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)
  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs
  • Mathieu Gallard Directeur d'Études, Public Affairs
Get in touch

Réalisée du 4 au 14 novembre 2016, la seconde vague de l’étude réalisée par Ipsos pour la Fondation du Judaïsme Français sur L’évolution de la relation à l’autre au sein de la société français s’est déroulée dans un contexte profondément bouleversé par les attaques terroristes des deux années passées. De nombreux observateurs s’attendaient à un fort accroissement des tensions au sein de la société française, avec un renforcement du rejet de l’« autre » et une montée des préjugés et des idées reçues à l’égard des minorités. L’étude montre néanmoins que, tout en restant très élevées, le repli sur soi et la méfiance à l’égard de « l’autre » restent très limitée. Le racisme ou les opinions négatives envers l’immigration ne rencontrent quasiment pas plus d’écho en 2016 qu’en 2014 : la part des Français qui rejette le lien entre l’immigration et l’insécurité (59%, -2), qui récuse l’opinion selon laquelle les immigrés bénéficient de plus d’aide que les Français (44%, -3) ou qui pense que l’on a tendance à rejeter sur les immigrés la plupart des difficultés du pays (69%, -1) ne recule que très légèrement. Parallèlement, les préjugés envers la plupart des minorités (juifs, Roms, asiatiques) ont tendance à reculer, souvent de manière assez nette. Enfin, on constate que dans leur vie quotidienne, le rapport des Français aux personnes d’origine ou de religions différentes est très serein et ne se dégrade pas en deux ans. Une nette majorité des personnes interrogées côtoie régulièrement des personnes d’autre origine (75%), religion (75%) ou couleur de peau (73%) que la leur, et leurs relations sont très largement apaisées.

Le constat en ce qui concerne la perception par les Français de l’islam et des musulmans est plus complexe, même si on ne relève pas non plus une forte dégradation de la plupart des indicateurs. Globalement, les relations au quotidien entre l’ensemble des Français et leurs concitoyens musulmans ne se sont pas tendues : 61% (+1 point) entretiennent de bonnes relations avec les « personnes de confession musulmane » dans leur vie quotidienne, contre 16% de mauvaises (+2 points). On ne constate pas non plus de montée des jugements défavorables envers l’islam en tant que tel ou envers les musulmans dans leur ensemble : 24% des Français jugent que « la grande majorité des personnes de confession musulmane est bien intégrée », en recul de 3 points. Toutefois, sur deux aspects, on note une progression sensible des crispations qui tranche dans ce climat relativement serein. Tout d’abord, la visibilité de l’islam dans l’espace public pose plus problème qu’en 2014 : le rejet du voile intégral (87%, +4) ou des « tenues traditionnelles » musulmanes pour les hommes (52%, +4) se renforce, et les « accommodements » possibles entre l’islam et la République (la construction de mosquées par exemple) font de moins en moins consensus. D’autre part, on note une inquiétude diffuse vis-à-vis des hommes musulmans, comme s’ils étaient porteurs d’une menace potentielle plus palpable que leurs coreligionnaires femmes. Ainsi, alors que l’acceptation du mariage d’un de ses fils avec une musulmane progresse (51%, +3), on enregistre un recul en ce qui concerne le mariage de sa fille avec un homme musulman (42%, -2), à rebours de la tendance générale sur toutes les minorités testées dans le questionnaire. Le constat est le même en ce qui concerne un mariage avec un homme d’origine maghrébine (47%, -6). Les peurs des Français ne se concentrent donc pas sur l’islam ou les musulmans en tant que tels, mais elles se portent de plus en plus sur la figure symbolique de l’homme musulman

Le contexte d’attaques terroristes a aussi affecté la perception de la minorité juive par les Français. Certes, les préjugés et les idées-reçues antisémites restent très largement répandues dans le grand public, mais cette adhésion régresse parfois sensiblement : 57% des personnes interrogées pensent que « les juifs sont plus attachés à Israël qu’à la France » (-1), 51% que « globalement, les juifs sont plus riches que la moyenne des Français » (-5), 49% qu’ils ont « beaucoup de pouvoir » (-7), etc. Parallèlement, une très grande majorité des personnes interrogées (89%) continue à penser que les juifs sont bien intégrés en France. Surtout, à la faveur des attentats, on constate dans l’opinion une empathie accrue envers les craintes ressenties par les juifs : 51% des Français considèrent désormais que les juifs ont « des raisons d’avoir des craintes de vivre en France », un chiffre en hausse de 16 points par rapport à 2014. De même, le départ de Français juifs pour l’étranger est un phénomène beaucoup mieux appréhendé qu’il y a deux ans (26% le jugent « massif » ou « important », +8 points), et il est désormais fréquemment perçu comme lié à la montée de l’antisémitisme : 70% des Français pensent que les juifs qui émigrent en Israël le font « par crainte de la montée de l’antisémitisme » (+29 points). Pour autant, ces départs laissent la majorité des Français indifférente : 60% jugent que ces départs ne sont « ni d’une bonne, ni d’une mauvaise chose », 33% « une mauvaise chose », 7% « une bonne chose ».

Quel est le profil des personnes qui rejettent le plus « l’autre » ? Les catégories populaires (ouvriers et employés, personnes ayant un revenu modeste) se montrent sensiblement plus enclines à partager des attitudes hostiles. Tout au long de l’étude, c’est toutefois le niveau de diplôme qui semble être le facteur le plus explicatif de l’adhésion aux préjugés ou du rejet des minorités. Etant donné la corrélation entre le vote et la position sociale, on trouve sans surprise une dimension politique très forte à ce rejet. Ainsi, les sympathisants du FN et dans une moindre mesure ceux de la droite modérée sont plus enclins à faire état d’attitudes et de comportements méfiants voire hostiles à l’égard de l’« autre ». Une logique sociale qui est d’ailleurs la même quelle que soit les minorités qui sont testées : ce sont les mêmes catégories, et très probablement les mêmes individus qui rejettent les musulmans, les juifs, les Roms, les homosexuels, etc. Reste cependant qu’une minorité non négligeable de Français diplômés de l’enseignement supérieur ou sympathisants de gauche témoigne de positions ethnocentristes, signe que les logiques sociales et politiques ne sont pas les seules à jouer.

Enfin, nous voulions voir dans quelle mesure le rapport des jeunes de 18-30 ans à l’« autre » se distingue de l’ensemble des Français. Les différences sont généralement limitées : contrairement à certaines idées reçues sur une jeunesse diverse et multiculturelle, ils ne côtoient pas plus de personnes ayant une religion ou une origine différente de la leur que la moyenne des Français. Leurs relations avec ces personnes sont aussi bonnes que pour l’ensemble du grand public. Parallèlement, ils ne se montrent pas moins sensibles aux opinions racistes ou hostiles à l’immigration que l’ensemble de la population. Ils sont toutefois significativement plus tolérants que la moyenne envers l’islam, que cela concerne sa visibilité dans l’espace public (sur l’aspect vestimentaire comme sur les mesures testées) ou l’éventualité du mariage d’un enfant avec un(e) musulman(e). D’autre part, ils sont un peu moins sensibles aux préjugés antisémites, même si bon nombre d’entre eux les partagent tout de même : 60% des 18-30 ans pensent qu’il est faux de dire que « les juifs ont beaucoup de pouvoir » (9 points de plus que l’ensemble), 64% jugent erronée l’affirmation selon laquelle les juifs « sont trop présents dans le secteur financier et bancaire » (8 points de plus). 


Pour plus d'informations, le rapport d'étude complet et une note d'analyse approfondie sont disponibles en téléchargement ci-dessous.

Fiche technique :
Ipsos a interrogé en ligne un échantillon de 1400 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus selon la méthode des quotas appliquée au sexe, à l’âge, à la profession de la personne de référence, à la région et à la catégorie d’agglomération, dont 562 jeunes âgés de 18 à 30 ans.

Auteur(s)
  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)
  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs
  • Mathieu Gallard Directeur d'Études, Public Affairs

Société