L'hôpital public en crise
A l'occasion des 6èmes Rencontres Financières des Décideurs hospitaliers, Ipsos a diffusé les résultats d'une enquête réalisée pour Dexia Crédit Local, sur l'état d'esprit et les attentes de ces décideurs. Les Directeurs Généraux d'hôpitaux de plus de 350 lits interrogés ont une vision très pessimiste de l'état, actuel comme futur, de l'hôpital en France.
La perception globale
Une perception très pessimiste de l'état actuel et futur de l'hôpital en France…
Interrogés sur leur perception de la situation actuelle des hôpitaux en France, les directeurs interrogés dressent un constat largement négatif : 82% estiment que la situation des hôpitaux est actuellement " plutôt " (64%) ou " très " (17%) mauvaise. On notera que ce constat, majoritaire quelle que soit la catégorie de l'établissement, est particulièrement négatif chez les directeurs d'établissements de tailles moyennes (400 à 500 lits, avec 95% d'opinions négatives).
Le pronostic quant à l'évolution des choses est parallèlement fortement négatif : 66% des directeurs se déclarent pessimistes quant à la situation des hôpitaux en France dans 5 ans (contre 29%). Aucune catégorie ne déroge à cette anticipation négative, mais certaines catégories se montrent volontiers plus pessimistes encore que l'ensemble. De ce point de vue, les directeurs d'établissements de petites tailles (moins de 400 lits) se montrent particulièrement pessimistes (76%, contre 66% pour l'ensemble).
… Toutefois plus équilibrée s'agissant de leur propre établissement
Les directeurs d'hôpitaux se montrent toutefois moins critiques lorsqu'ils considèrent leur propre établissement. Cette distorsion de perception est d'ailleurs un phénomène classique dans les enquêtes d'opinion : l'évaluation de l'environnement global est souvent plus négative que celle de l'environnement proche. Le constat, cette fois ramené à l'établissement dont ils ont directement la charge, est ainsi plus nuancé. Un peu plus de la moitié des directeurs d'hôpitaux (58%) juge ainsi que la situation de leur propre établissement est aujourd'hui bonne, mais on relève que la quasi-totalité des réponses porte sur l'item " plutôt bonne " (56%). L'ancienneté dans le poste occupé constitue un critère ici particulièrement discriminant : si 71% des directeurs d'établissements en poste depuis 10 ans et plus considèrent que la situation de leur établissement est aujourd'hui bonne, cette proportion n'est plus que de 49% chez ceux en poste depuis moins de 5 ans. En revanche, on ne constate pas de différences d'évaluation en fonction de la taille de l'établissement ou de sa localisation géographique.
Les sujets de préoccupation actuels sont dominés par les questions financières, la sécurité sanitaire et les questions organisationnelles
Les décideurs hospitaliers témoignent d'un niveau de préoccupation très élevé à l'égard de la situation et des perspectives financières de leur établissement. La " santé financière de leur établissement " et " la capacité à investir " sont ainsi les deux premiers sujets de préoccupation des directeurs interrogés, respectivement 69% et 62% s'estimant actuellement " très préoccupés " par le sujet. D'autres points préoccupent toutefois fortement les décideurs hospitaliers. On citera ici " les risques et la mise en cause de la sécurité sanitaire à l'hôpital " (61%), " la conduite des restructurations " (59%), " la gestion des 35 heures " (51%).
En revanche, les autres domaines testés - " l'accréditation et les démarches 'qualité' " (43%), les " problèmes d'assurance " (35%), " le climat social " (26%) - s'ils constituent des sujets de préoccupation importants, se situent à des niveaux moindres. Enfin la légitimité face au corps médical n'est un sujet de forte préoccupation que pour 12% des décideurs hospitaliers.
La multiplicité des sujets de préoccupation rejaillit sur la manière même d'appréhender la fonction de décideur hospitalier :
" J'ai une multitude de sujets à traiter en simultané incroyable : les questions de sécurité, les questions sanitaires, les risques, les urgences… " (CHU).
" La diversité des problèmes " auxquels les décideurs hospitaliers sont confrontés est en soi un facteur de préoccupation très important pour près de la moitié d'entre eux (49%). Parallèlement, 38% se déclarent très préoccupés par le manque de temps dont ils disposent pour mener à bien leurs missions.
Cette hiérarchie des préoccupations actuelles est toutefois sous-tendue par quelques évolutions de fond par rapport au passé proche tel que restitué par les décideurs hospitaliers. On constate ici qu'un certain nombre de dimensions qui n'apparaissent que secondairement dans la hiérarchie des préoccupations actuelles enregistre des montées en puissance importantes, au premier rang desquelles les questions d'assurance ou de risques sanitaires dans le cadre hospitalier.
Questions :
Pour chacun des points suivants, et en pensant à votre fonction en tant que Directeur d'Hôpital, dits-moi s'il s'agit pour vous d'un sujet qui vous préoccupe actuellement beaucoup, plutôt, pas vraiment ou pas du tout :
[Réponses " Très préoccupés "]
Pour chacun de ces sujets, par rapport à il y a quelques années, diriez-vous que ce sujet vous préoccupe aujourd'hui plus qu'il y a quelques années, moins qu'il y a quelques années ou autant qu'il y a quelques années :
[Réponses " Vous préoccupe plus qu'il y a quelques années "]
Préoccupations actuelles | Evolution du niveau de préoccupation | |
La santé financière de votre établissement | 69% | 57% |
La capacité à investir | 62% | 59% |
Les risques et la mise en cause de la sécurité sanitaire à l’hôpital | 61% | 81% |
La conduite des restructurations | 59% | 62% |
La gestion des 35 heures | 51% | 72% |
La diversité des problèmes auxquels vous êtes confrontés (humains, administratifs, financiers, judiciaires…) | 49% | 64% |
L’accréditation et les démarches ‘qualité’ | 43% | 68% |
Le manque de temps pour mener à bien vos missions | 38% | 65% |
Les problèmes d’assurance | 35% | 81% |
Le climat social | 26% | 35% |
Votre légitimité face au corps médical | 12% | 19% |
L'hôpital public en crise ?
En phase avec ces résultats, la quasi-totalité des décideurs hospitaliers s'accorde à considérer que l'hôpital est aujourd'hui, en France, en crise (98%). Pour la très grande majorité d'entre eux, cette crise est structurelle (82%) plutôt que conjoncturelle (16%). Les plus critiques à cet égard sont les dirigeants d'hôpitaux dont l'ancienneté est la moins importante (89% des directeurs en poste depuis moins de 5 ans estiment qu'il s'agit d'une crise structurelle).
Cette crise concerne différents domaines : le climat social, les capacités d'investissement ou encore le recrutement, complexifié par la mise en place des 35 heures.
Une perception majoritairement négative du climat social
En tout état de cause, la perception du climat social dans les hôpitaux est plutôt négative. Les trois quarts des décideurs hospitaliers (77%) estiment ainsi que, " d'une manière générale ", le climat social dans les hôpitaux en France est " assez mauvais ". Là encore, on note que l'appréciation portée sur l'établissement dirigé est nettement moins critique : 65% de ces mêmes directeurs indiquent que le climat social, dans leur établissement, est cette fois " plutôt bon ". Le constat est toutefois nettement plus mitigé dans les CHU ou CHR (51%) et plus globalement dans les établissements les plus importants en taille (52% dans les établissements de 1.000 lits et plus).
Des capacités de financement de l'investissement jugées aujourd'hui insuffisantes
Enfin seul un quart des directeurs d'hôpitaux (22%) a le sentiment de disposer, aujourd'hui, de capacités de financement de l'investissement suffisantes. :
" On a un manque cruel d'autofinancement. On pourrait trouver des modalités pour ne pas trop alourdir les investissements. Il faut renforcer la capacité d'autofinancement par des subventions ou bien par des emprunts à long terme " (CHU).
Les directeurs de CHU et de CHR sont ici sensiblement plus critiques que l'ensemble, seulement 6% d'entre eux se satisfaisant des capacités qui sont les leurs aujourd'hui. La solution pour remédier à cette situation passe d'abord, pour les responsables concernés, par une augmentation des subventions d'investissement (76%) et des dotations d'exploitation (76% - solution avancée par 86% des directeurs de CHU et de CHR), devant l'augmentation de l'emprunt (36%).
En définitive, face à ces contraintes observées, les décideurs hospitaliers ont visiblement décidé de hiérarchiser leurs décisions budgétaires :
" Moi je priorise. Comment voulez vous que je fasse autrement ? Ce qui n'est pas sans conséquence, à terme, sur la qualité des soins ! " (CH)
" Je pense que je fais comme tous mes confrères : je priorise évidemment " (CHU).
Ressources humaines : recrutement et 35 heures
Des difficultés de recrutement de personnels médicaux partagées par une très grande partie des directeurs d'établissement
D'une manière générale, et sans invoquer ici l'impact des 35 heures, la question du recrutement, notamment de personnels médicaux, est un souci pour un nombre important de directeurs. 82% d'entre eux ont des difficultés pour recruter des médecins, 73% des infirmières. En revanche, le recrutement de personnels administratifs n'est un problème que pour 28% des directeurs.
Le critère géographique, plus que la taille de l'établissement, s'avère ici discriminant. Si les établissements situés en Ile de France enregistrent peu de difficultés en matière de recrutement de médecins par rapport aux établissements de province, le recrutement de personnels infirmiers s'avère plus problématique :
" Mon établissement n'est pas dans une région attirante comme le sud ou Paris, c'est principalement pour ça que j'ai des problèmes de recrutement. J'ai du mettre en place des politiques particulières même pour recruter des infirmières " (CH).
Seuls les établissements situés dans le sud-ouest déclarent n'avoir aucune difficulté pour recruter cette catégorie de personnels.
Les raisons invoquées par les directeurs concernés par ces difficultés de recrutement tiennent d'ailleurs en premier lieu à la localisation géographique des établissements (50%) et à la mise en œuvre des 35 heures (50%). Il est par ailleurs à noter que pour 44% d'entre eux, l'absence de dispositifs d'intéressement individuels (du type épargne salariale) est également un facteur explicatif.
La concurrence du secteur privé (33%), le désintérêt du grand public pour les professions de santé (26%) ou encore l'attrait pour la médecine de ville (22%) ne sont que plus rarement cités.
Un bilan globalement négatif de la mise en place des 35 heures
L'enquête qualitative a permis de relever l'expression d'un certain nombre de critiques relatives à la gestion organisationnelle de l'hôpital, au premier rang desquelles les 35 heures.
" On diminue le temps de travail et on cherche en même temps à augmenter la qualité des soins ! ? il y a quelque chose qui ne va pas ! " (DG CHU)
" On demande d'améliorer la qualité des soins et en même temps on baisse le temps de travail ! C'est un souci organisationnel, on n'a pas les moyens de faire aussi bien qu'avant." (DG CH).
Pour 83% des directeurs d'hôpitaux interrogés, la mise en place des 35 heures est aujourd'hui " plutôt un échec ". Là encore, l'évaluation de l'impact est sensiblement moins négative lorsque les directeurs sont interrogés sur leur propre établissement. On notera toutefois qu'une très forte proportion d'entre eux (45%) considère que sa mise en place est, y compris au niveau de leur établissement, " plutôt un échec " (47% considérant qu'il s'agit au contraire " plutôt d'une réussite ").
Pour une majorité des directeurs d'hôpitaux, la mise en place des 35 heures dans leur établissement a eu des conséquences préoccupantes sur leur budget (74%, 78% au sein des centres hospitaliers), le recrutement de personnels (61%, 81% au sein des CHU ou CHR) et dans une moindre mesure le climat social de leur établissement (58%, 75% au sein des CHU ou CHR).
Dans certains cas, les 35 heures ne sont pas un problème en soi, mais l'articulation avec la crise du recrutement peut générer des dysfonctionnements importants.
" Chez moi, nous avons bien su gérer ça dans l'organisation, ça s'est plutôt bien passé. Les 35 heures, c'est difficile mais pas impossible. La difficulté c'est le recrutement " (CH).
Quelles solutions ?
Assouplir les processus commerciaux
Interrogés sur les propositions qu'il conviendrait de mettre en place ou de généraliser, les directeurs d'établissements se déclarent très favorables à une simplification de processus commerciaux, qu'il s'agisse d'un " assouplissement du Code des Marchés Publics " (79%) ou d'une " simplification des procédures d'achat " (76%). Directeurs de CHU et de CHR comme directeurs de centres hospitaliers s'accordent sur ces sujets. Les procédures ont souvent été qualifiées lors des entretiens qualitatifs de " trop rigides " :
" Il faut assouplir les procédures afin d'être plus réactifs " (DG CHU).
Plus globalement, on ne constate pas de différences notables. Il est toutefois intéressant de noter que leur perception diffère quelque peu s'agissant d'autres propositions formulées. " Le développement des liens entre le public et le privé " reçoit ainsi un accueil sensiblement plus favorable chez les directeurs de centres hospitaliers (41%, contre 21% chez les directeurs de CHU et de CHR). A l'inverse, les fusions et les restructurations d'hôpitaux, jugés très favorablement par ces derniers (43%) sont appréhendées de manière plus circonspecte par les directeurs de centres hospitaliers.
Question:
Voici une liste de propositions concernant l'hôpital. Pour chacune d'entre elles, dites-moi si vous êtes personnellement très favorable, plutôt favorable, plutôt défavorable ou très défavorable à leur mise en place ou à leur généralisation :
[Réponses " très favorables "]
Ensemble | Type d’établissements | ||
CHU ou CHR | Centres hospitaliers | ||
Un assouplissement du Code des Marchés Publics | 79% | 72% | 79% |
La simplification des procédures d’achat | 76% | 87% | 75% |
Le développement des liens entre le public et le privé | 38% | 21% | 41% |
La contractualisation interne | 34% | 42% | 35% |
Les Groupements de Coopération Sanitaire | 31% | 24% | 33% |
Les fusions et les restructurations d’hôpitaux | 28% | 43% | 26% |
La tarification à la pathologie | 20% | 25% | 20% |
La décentralisation des compétences sanitaires au niveau local | 11% | - | 14% |
La maîtrise d’ouvrages privée, qui permet de confier à des groupements privés des investissements, ces groupements les remettant aux hôpitaux dans un second temps | 9% | 6% | 9% |
On ajoutera à ces axes d'optimisation un souhait, très fortement exprimé lors des entretiens qualitatifs, celui d'une " pause " dans la production des textes administratifs.
Pour un moratoire réglementaire
" Les moyens dont nous disposons actuellement sont en totale inadéquation avec les objectifs politiques souhaités ! ". Le discours proposé n'est évidemment pas sans lien avec ce qui a été dit précédemment. L'élément principal mis en avant reste celui du manque de temps pour effectuer toutes les missions qui sont imparties au Directeur Général notamment face à la " véritable prolifération de textes et de lois, dont on ne sait que faire au bout d'un moment ! ".
Les réactions verbales peuvent dès lors être assez caricaturales :
" La vraie solution face à cela : ne pas produire de textes pendant au moins 5 ans ! " (CH)
" Moi j'ai donné le mot d'ordre suivant à tous mes cadres : cette année il faut que ce soit une année de sédimentation " (CH).
Le grief principal touche au trop grand nombre de dispositifs imposés aux décideurs hospitaliers. Il apparaît que ce ne sont pas ces dispositifs en eux-mêmes qui sont mis en cause mais leur superposition. Dès lors, le discours relève des critiques classiques relatives à la gestion étatique 'à la française' : " la hiérarchisation des décisions étatiques est un frein à l'amélioration " (CHU), d'où un manque de lisibilité et de cohérence dans les dispositifs et les objectifs à entreprendre.
Corrélativement c'est le désir d'une volonté politique réaffirmée qui s'exprime, notamment pour " savoir où l'on va " ou bien pour " redonner confiance en matière d'investissement par exemple ". Cette absence de visibilité et de lisibilité dans les dispositifs est donc vécue comme un manque d'objectifs politiques concrets et de volonté de mise en œuvre. On observe d'ailleurs et de manière récurrente l'expression d'un manque de crédibilité des institutions et des décisions politiques ainsi qu'une perte de confiance très nette dans ces dernières : " je n'y crois plus [aux institutions] ". Interrogés sur les partenaires dans lesquels ils ont aujourd'hui le plus confiance " pour améliorer la situation " de leur établissement, il est symptomatique de constater que si 67% citent les Agences Régionales de l'Hospitalisation, 52% déclarent compter sur " eux-mêmes ", loin devant la Direction de l'Hospitalisation et de l'Organisation des Soins (25%), les régions (20%), les villes (7%) ou encore les partenaires privés (5%).
Positionner l'hôpital en tant qu'enjeu de société
Cette perte de confiance dans les institutions en matière de gestion des problématiques hospitalières se traduit par un questionnement global sur le sens de la stratégie médicale. Les discours s'inscrivent ici dans une représentation plus large liée à la thématique du " choix de société ". Pour montrer qu'effectivement la question hospitalière relève d'une décision globale et que la stratégie médicale dépend du modèle de société souhaité, le discours s'établit fréquemment sur des sujets actuels comme les retraites ou l'Education nationale :
" C'est comme la question des retraites aujourd'hui. Le choix de l'hôpital, c'est un choix collectif... Il faut savoir ce que l'on veut et vers où on va " (DG CH).
A travers ces représentations globales liées à des sujets " sensibles ", on peut percevoir une réelle angoisse quant à l'avenir des directions prises pour l'hôpital.
Consultez les tableaux de l'étude :
Ressources humaines : recrutement et mise en place des 35 heures