L'individu, le politique et l'inconscient

Pour sa dernière revue, "l'Émotion, fiction ou vérité ?", INfluencia a donné la parole à Brice Teinturier, Directeur Général Délégué France d'Ipsos, sur les politiques et l'émotion. Retrouvez sa tribune.

Auteur(s)
  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)
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Propos recueillis par INfluencia.net

Il y a d’un côté la politique, qui est un art, et il y a de l’autre l’expertise technique ou technocratique, certes importante, certes nécessaire, mais qui ne saurait s’y substituer. En effet, la fonction du politique est triple : représenter les Français et la Nation ; proposer une explication du monde et de son évolution - ce que l’on appelle communément une vision ; élaborer enfin les solutions aux problèmes immédiats et à venir.

Les experts, les technocrates, sont là pour aider à élaborer le meilleur programme et les meilleurs solutions possibles. Celles qui, rationnellement, objectivement, en dehors de toute émotion, sont les plus adaptées à la situation. Mais ce champ ne constitue qu’une partie de la politique et les solutions technocratiques n’ont pas vocation à être mises en œuvre telles quelles. Tout simplement parce que « dans la vraie vie », il y a autre chose que la pure rationalité et notamment, les émotions, les conflits, les fantasmes. La démocratie est née dans l’agora grecque chez les Sophistes, et la sophistique est une école qui vise à tirer toutes les ficelles possibles de la rhétorique pour convaincre. Platon détestait les sophistes mais Platon n’a jamais été partisan de la démocratie.

« Leur point clé, c’est cependant de mettre en place un combat, dont le candidat est le héros, et des ennemis imaginaires qui s’opposent au graal »

Tous les candidats jouent donc sur les émotions, lesquelles sont de tout temps au cœur de la politique. Mais ces émotions constituent une palette très large et peuvent être adaptées à différents publics.

Leur point clé, c’est cependant de mettre en place un combat, dont le candidat est le héros, et des ennemis imaginaires qui s’opposent au « graal » que cherche à atteindre le héros. Cette structure narrative très ancienne, qui emprunte au conte, reste en effet au cœur des campagnes électorales. Et elle relève tout autant, voire davantage de l’émotion que de l’argumentation rationnelle.

Le graal peut par exemple être le peuple ou la pureté retrouvée d’une nation – que l’on songe à Marine Le Pen et à son combat à la fois contre l’immigration et la mondialisation, qui dilueraient et détruiraient l’essence même de ce que nous sommes – ou la Justice – le graal privilégié de la gauche – ou la force – le graal de Nicolas Sarkozy en 2012, dont le slogan était « la France forte », et qu’il n’a cessé de jouer ensuite, en l’opposant à la supposée faiblesse de François Hollande.

« L’intérêt de ces structures narratives est de favoriser l’adhésion et l’engagement le plus fort possible, au détriment de la rationalité »

Les ennemis imaginaires peuvent être aussi bien les étrangers que la finance, le conservatisme, l’esprit de mai 68, l’assistanat, etc.

L’intérêt de ces structures narratives, qui jouent essentiellement sur des émotions et des archétypes, est de favoriser l’adhésion et l’engagement le plus fort possible, au détriment de la rationalité, forcément plus critique, évaluative et mesurée. La raison compte et arbitre, pas les émotions, qui génèrent un engagement beaucoup plus total. C’est tout leur intérêt… et leur danger !

Mais il y a émotion et émotion. Faut-il privilégier des émotions positives, comme la fierté, le rassemblement ou l’espoir, ou des émotions négatives, comme la colère, le rejet ou le dégoût ? Il n’y a pas de règles car tout dépend du combat qui a été choisi par le héros, de son graal et de ses adversaires. En revanche, incontestablement, certains candidats ont un usage limité du registre émotionnel tandis que d’autres y abondent.

Pour les premiers, des personnalités telles que, par exemple, Alain Juppé, François Fillon, Lionel Jospin ou François Hollande, qui cherchent avant tout à convaincre rationnellement, sont de bons exemples. Le registre privilégié est celui de la démonstration. Les métaphores sont peu abondantes, tout comme les anecdotes ou le registre personnel. Le positionnement est celui du sérieux, de la responsabilité et de la crédibilité. Au risque d’apparaître ennuyeux.

Pour les seconds, on peut penser à des responsables politiques tels que Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Ségolène Royal et d’une certaine manière Emmanuel Macron. Non qu’ils renoncent à la rationalité, bien entendu mais parce qu’ils cherchent avant tout à entrer en relation avec le public plus encore qu’à le convaincre, et à susciter l’engagement le plus intense possible. La colère, l’éloge de la force, l’insoumission et la séduction sont donc souvent mobilisés, cette stratégie permettant en général de s’assurer d’un socle solide - tout l’enjeu étant ensuite de parvenir à l’élargir.

2017 offre en tous cas une distribution de toutes ces figures chez les candidats déjà déclarés ou potentiellement à venir et permettra à nouveau de mesurer l’intérêt et les limites du registre émotionnel.  

Auteur(s)
  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)

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