Mise en place de l'Euro : les banquiers résolument optimistes

Ipsos a profité de l'Interbancario, rassemblement annuel des professionnels du secteur bancaire, pour interroger les banquiers européens sur leurs perception de la mise en place de l'Euro. Ces derniers ont une vision très positive de la monnaie unique, même s'ils soulignent un manque de préparation des autres acteurs et des consommateurs. Xavier Guéroux, directeur du pole "Corporate" d'Ipsos Opinion, commente cette enquête en répondant  aux questions de Canal Ipsos.

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
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I. Les Européens et l'euro
II. Les banquiers et l'euro

I. LES EUROPEENS ET L'EURO

Canal Ipsos : A moins d'un an de la mise en place de l'euro, les européens sont-ils prêts ?

Xavier Guéroux : Ce qui est évident, c'est que nous sommes aujourd'hui à un moment charnière du rapport entre l'opinion et l'euro.Il faut se souvenir que depuis le début de l'année 1999, les deux forces principales que les européens attribuaient à l'euro ont perdu de leur réalité :- On attendait un euro très quotidien, donnant une vraie réalité à l'Europe et à sa construction mais cet euro est pour l'instant resté cantonné aux marchés des changes.- On espérait l'euro fort, et les signaux donnés régulièrement par les marchés financiers étaient ceux d'un euro en chute par rapport au dollar.

Conséquence directe : l'opinion globale des européens à l'égard de la mise en place de la monnaie unique s'est dégradée lentement mais régulièrement.Les européens sont aujourd'hui presque aussi nombreux à avoir une mauvaise opinion de l'euro que ceux qui en ont une bonne opinion. Ces mauvaises opinions se transforment même parfois en remise en cause de l'utilité même de l'instauration d'une monnaie unique dès l'année prochaine.

C.I. : Effet sur les prix et les salaires et pas seulement sur la conversion ?

X.G. : Le salaire n'apparaît pas aujourd'hui au centre des préoccupations, sans doute parce que l'on ne connaît pas le montant de son salaire en euro.Les principales craintes de l'euro concerne avant tout les éventuels tracas de la vie quotidienne mais également la crainte d'une augmentation des prix. La thématique de l'euro qui baisse est parfois amplifiée, on craint une baisse de valeur de l'euro voire une crise économique secouant l'Europe. La thématique du nivellement par le bas est également présente : les pays les plus riches de l'Europe devant s'aligner sur les pays les moins avancés, ce qui entraînerait une dégradation du niveau de vie.

C.I. : Une affaire de riches ?

X.G. : Au cours de la période 1997-1999, tous les efforts de communication et d'information ont porté en particulier sur les cibles sensibles, les plus rétives à l'idée même de changer de monnaie : les plus âgés, les moins diplômés, les moins aisés, les plus isolés. Ces efforts avaient porté leurs fruits : les écarts constatés en 1997 entre les différentes catégories de la population se sont sensiblement réduits jusqu'en 1999.

Mais il est vrai que depuis, ce sont de nouveau ces catégories qui ont le plus vite "décroché du peloton". De nouveau, les efforts de communication et d'accompagnement, cela a été annoncé un peu partout, vont se concentrer sur ces catégories "sensibles" afin de leur permettre de revenir dans la course.

On ne peut pas vraiment parler de "fracture sociale", mais simplement d'un phénomène classique entre des catégories plus réceptives et celles qui hésitent à basculer dans un nouveau système.

C.I. : Tous les pays réagissent-ils de la même manière ? Peut-on parler de pays plus euro-enthousiastes et d'autres où les sceptiques sont plus nombreux ?

X.G. : Depuis le début de nos observations, on note des différences d'appréciation notables entre les pays au sein desquels Ipsos réalise une enquête trimestrielle sur l'opinion à l'égard de l'euro :- Les pays du sud, Italie et Espagne, ont toujours été et sont aujourd'hui encore dans un état d'esprit très majoritairement positif à l'égard de l'euro.- A l'opposé, les pays du nord comme l'Allemagne et - même si elle est évidemment concernée de manière différente - l'Angleterre, sont aujourd'hui retombés dans un scepticisme majoritaire.- La France, se situe comme depuis plus de 3 ans, dans une attitude proche de celle de la moyenne européenne, plutôt favorable.

C.I. : Plus on informe, plus le scepticisme s'accroît ?

X.G. : Non, encore une fois entre 1997 et 1999, la communication fut intense et les évolutions de l'opinion à l'égard de l'euro ont montré un vrai impact positif des messages envoyés vers le public.

Le scepticisme dont vous parlez est plutôt aujourd'hui dû à un manque de communication et aussi un manque de réalité concrète avec la monnaie. On a évidemment plus de mal à croire à quelque chose de virtuel et dont on ne vous parle plus beaucoup.On est peut-être parti un peu rapidement dans la communication. Celle-ci doit s'appuyer sur du concret, ce qui ne fut pas le cas.

C.I. : Que doit-on faire aujourd'hui pour que les citoyens et les consommateurs basculent vers l'euro sans trop de difficultés ?

X.G. : D'évidence, la communication vers les consommateurs doit avoir 3 caractéristiques principales, celles de la communication pédagogique :- Elle doit s'inscrire dans la durée : ne pas prendre le consommateur par surprise ou lui donner la peur de sa vie à quelques jours de la date fatidique, mais plutôt l'accompagner tout au long de cette année.- Elle doit être précise : aujourd'hui, le consommateur se réfugie un peu derrière des dates encore un peu imprécises et cela lui permet de remettre " à plus tard " le basculement psychologique vers l'euro.- Elle doit être concrète : les consommateurs ont aujourd'hui besoin de voir, de toucher, de prendre la réalité de cette monnaie pour lui éviter de s'enfoncer encore dans le virtuel et lui permettre de prendre une vraie réalité.

C.I. : Au total, doit-on être inquiet ou confiant ?

X.G. : Le fait d'en parler aujourd'hui, de connaître les attentes et les besoins des citoyens et des consommateurs sont de vraies armes que peuvent utiliser tous ceux qui sont engagés dans cette "bataille pour l'euro".Aujourd'hui, le plus important peut-être est de redonner à ces consommateurs une vraie "envie d'euro", que cette envie et que les avantages qui y sont attachés leur permettent de mieux accepter les efforts qui devront être faits par tous.

II. LES BANQUIERS ET L'EURO

C.I. : A l'occasion de cet Interbancario, Ipsos a profité du rassemblement inhabituel de banquiers pour les interroger sur leurs perceptions de l'euro. Avant de vous demander quelles sont leurs perceptions de la mise en place de l'euro en janvier 2002, dites-nous si ces banquiers se sont prêtés au jeu et on répondu à votre questionnaire ?

X.G. : Nous devons tout d'abord féliciter les personnes qui ont contribué à l'organisation de la consultation. En deux jours, 529 questionnaires ont été recueillis, soit un taux de participation global de 39%. Merci aussi à l'ensemble des personnes ayant répondu.Félicitons encore une fois les Français qui ont été les plus assidus : 70% de participation.Les Allemands 56%Et les Italiens 27 %.

C.I. : On sent donc les européens inquiets face à cette échéance importante, les banquiers sont-ils dans le même état d'esprit ?

X.G. : Eh bien non, les résultats de la consultation sont très encourageants.

Les banquiers ont une vision très positive de l'euro. Ils sont très largement optimistes à l'égard de la mise en place de la monnaie unique (81%, 16% de très optimistes et 65% de plutôt optimistes).On mesure également une vision nettement plus positive à propos des évocations de la monnaie unique. En effet, ils déclarent à 90% avoir une vision positive de la monnaie unique, soit 37 points de plus que le Grand Public.

Enfin, un indicateur complémentaire les positionne comme de réels prescripteurs de la monnaie unique. Plus du tiers d'entre-eux (36%) déclarent avoir déjà utilisés l'euro pour effectuer des paiements, alors que seulement 7% du grand public est déjà passé à l'acte.

Les banquiers se sentent prêts pour le passage à l'euro…Ces résultats sont d'autant plus encourageants que les banquiers affichent un sentiment de préparation optimale (87% des interviewés déclarent que les Banques sont plutôt bien préparées).

…mais soulignent un manque de préparation des autres acteurs et des consommateurs.Interrogés également sur le sentiment de préparation des autres acteurs, les banquiers ont un jugement plutôt négatif à l'égard des entreprises (51% plutôt mal préparées contre 46%) et à l'égard des commerçants (58% plutôt mal préparés contre 37%). Ils soulignent également de manière très significative le faible niveau de préparation des consommateurs (77% contre 19%).

Les professionnels du secteur bancaire affichent également de fortes dispositions à pouvoir aider le consommateur pour la mise en place de la monnaie unique, que ce soit pour leur fournir une information détaillée (77% se sentent plutôt bien préparés) ou encore pour changer les pièces et les billets de la monnaie locale en euro (72%).

C.I. : En tant qu'experts, très exposés à la vie économique de leur pays et au marché des entreprises comme des particuliers, quel impact attendent les banquiers de la mise en place de l'euro ?

X.G. : Le principal impact aujourd'hui pressenti se situe avant tout sur les différents modes de paiement qui seront utilisés.Plus de la moitié d'entre-eux prévoient une augmentation de l'utilisation des cartes bancaires (54% contre 11% une diminution).A l'inverse, ils envisagent une baisse d'utilisation des billets et pièces (35% plutôt une diminution contre 17% une augmentation) et des chèques (39% contre 13%).

Cette tendance confirme les différents éléments que l'on peut recueillir lors d'enquête qualitative, où les consommateurs souhaitent avant tout une simplification des moyens de paiements, grâce à l'utilisation de la monnaie électronique.Il semblerait donc ici, selon la vision des banquiers, que la monnaie fiduciaire européenne n'apparaisse pas comme un élément de simplification de paiement prioritaire.

C.I. : Et au-delà de l'impact sur les citoyens et les consommateurs, quel effet les banquiers attendent-ils pour leur métier, pour leur quotidien professionnel de la mise en place de l'euro ?

X.G. : A propos de leur métier, les banquiers identifient également un impact positif de l'euro.

L'euro apparaît avant tout comme un accélérateur de la puissance des banques européennes.Pour plus de 8 sur 10 d'entre-eux (82%), l'euro est plutôt une bonne chose pour le développement des banques européennes.Que ce soit au niveau mondial : 90% déclarent que l'euro sera un atout pour les banques européennes dans la compétition mondiale ou encore au niveau européen : pour 70% l'euro va accentuer la concurrence entre les banques en Europe.Enfin, ils sont encore plus des deux tiers (68%) à penser que l'euro va renforcer l'émergence et le développement des banques à distance.

Ils identifient également un effet positif sur le développement économique de votre pays.Impact positif sur les marchés financiers (87% plutôt une bonne chose vs 10%) ou encore sur l'emploi et le progrès social (72% vs 24%). Ils sont d'ailleurs sur ce dernier point toujours plus positifs que l'ensemble des européens auprès desquels nous identifions pour un peu plus de la moitié de la population (52%) que l'euro est une bonne chose pour l'emploi et le progrès social.

Lorsque l'on interroge les professionnels du secteur bancaire à propos de l'impact de l'euro sur leur propre vie, leurs opinions sont plus partagées et se rapprochent ainsi de celles du grand public.Une majorité absolue d'entre-eux déclare que l'euro sera plutôt une bonne chose pour leur niveau de vie et leur pouvoir d'achat (53% vs 41%, respectivement 43% vs 36% auprès du grand public). Ils sont enfin nettement plus partagés à propos de l'impact sur leur carrière (53% plutôt positif vs 35% plutôt négatif).

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  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs

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