Présidentielle 2022 | Le scénario se précise
La huitième vague de l'Enquête Électorale 2022 réalisée par Ipsos et son partenaire Sopra Steria pour le Cevipof, la Fondation Jean Jaurès et Le Monde montre qu'à deux semaines et demi du scrutin, la situation se décante. Notre sondage fait le point sur des confirmations - la campagne présidentielle qui intéresse moins que la précédente, le primat du pouvoir d'achat sur les déterminants du vote, le statut de favori d'Emmanuel Macron pour l'accession au second tour - et deux incertitudes, le niveau de participation et le second qualifié.

Un moindre intérêt pour la campagne électorale
A moins de trois semaines du premier tour, 75% des électeurs se déclarent intéressés par l'élection présidentielle, pour 18% "moyennement intéressés" et 7% "pas intéressés". Le niveau d'intérêt est inférieur de quatre points par rapport à 2017, à même échéance du scrutin. Les trois raisons les plus souvent évoquées sont "l'impression d'entendre toujours les mêmes choses depuis longtemps, il n'y a rien de nouveau" (41%), "la situation en Ukraine, qui fait qu'il est difficile de s'intéresser à la campagne" (26%), et l'absence de suspens ("les jeux sont déjà faits, il n'y a pas de suspens sur le résultat", 22%). Le ton de la campagne ("il y a trop de polémiques, de conflits, d'agressivité", 21% de citations) et l'éloignement par rapport aux sujets abordés ("les candidats ne parlent pas assez des sujets qui nous préoccupent", 21%) sont également évoqués.
Une participation sans doute moins forte qu'en 2017
Les Français ont du mal à se passionner pour la campagne, mais avec 67% d'électeurs "certains d'aller voter" et 11% de "presque certains", on est dans des taux assez proches de ceux que nous mesurions en 2017 à trois semaines du premier tour (69%). A l'époque toutefois, le taux de "certains d'aller voter" avait fortement progressé dans les derniers jours précédant le scrutin, pour atteindre 73% à une semaine du premier tour et 78% sur la dernière mesure réalisée à deux jours du vote (pour une participation réelle au premier tour 2017 de 77,7%). Vu l'intérêt en demi-teinte pour la campagne cette année il serait surprenant qu'on assiste à un tel sursaut de mobilisation. Il est donc très probable que la participation le 10 avril prochain soit inférieure à celle enregistrée en 2017 et il est même possible qu’elle se situe à un niveau comparable, voire inférieur, à celle de 2002 (72%)
Le pouvoir d'achat, premier déterminant du vote
La tendance mesurée depuis le début de la guerre en Ukraine se confirme : on assiste au reflux des préoccupations vis à vis du conflit. De façon générale, "quand ils pensent à la situation du pays", un peu plus d'un Français sur trois (36%) placent la guerre parmi les trois sujets qui les préoccupent le plus, quand ils étaient 44% de cet avis il y a dix jours et à 50% aux premières heures de l'invasion russe. Plus précisément par rapport à l'élection présidentielle, la proportion d'électeurs citant la guerre en Ukraine parmi les trois sujets qui compteront le plus dans leur choix de vote a baissé à 23%, pour 27% il y a dix jours et 33% au début du conflit. Dans la hiérarchie des déterminants du vote, la guerre est passée derrière la question des retraites (24%), l'immigration (24%), l'environnement (25%), le système de santé (27%) et surtout le pouvoir d'achat, "le" sujet prioritaire pour près de six électeurs sur dix (58%).
Emmanuel Macron, bien placé pour se qualifier
A 28% d'intentions de vote premier tour, Emmanuel Macron dispose toujours d'une avance confortable sur tous ses concurrents. Son score est en légère baisse par rapport à la mesure réalisée dans les premiers jours du conflit ukrainien (30,5%), sans qu'on soit retombé au niveau d'avant-guerre. A ce stade, près de 70% de ses électeurs au premier tour de 2017 s'apprêtent à revoter pour lui cette année, rejoints par un bon tiers (35%) de l'électorat 2017 de François Fillon. Dans le détail du vote par catégorie d'électeurs, Emmanuel Macron est en tête chez les hommes, les femmes, dans toutes les catégories d'âge et dans toutes les catégories socioprofessionnelles testées dans notre enquête, à l'exception des employés et des ouvriers où il est devancé par Marine le Pen.
De tous les candidats, Emmanuel Macron est celui qui bénéficie du socle électoral le plus solide. Plus des trois quarts (77%) de ceux qui ont l'intention de voter pour lui déclarent que leur choix est "définitif". Emmanuel Macron bénéficie en outre d'une meilleure image, nettement plus consensuelle que tous ses concurrents. Deux Français sur trois (65%) considèrent qu'il a "l'étoffe d'un Président", pour 39% de cet avis concernant Marine Le Pen et 27% pour Jean-Luc Mélenchon. Deux tiers des électeurs pensent également qu'il est capable de "faire face à une crise grave" (64%) ou qu'il donne "une bonne image de la France à l'étranger" (63%), alors que tous les autres candidats se situent sous le tiers de bonnes opinions sur ces deux questions. Emmanuel Macron est aussi le candidat qui suscite le plus de "sympathie", chez 32% des électeurs pour 29% en ce qui concerne Marine Le Pen, 25% pour Jean Lassalle, 20% pour Jean-Luc Mélenchon et moins de 20% pour tous les autres. Enfin, plus de la moitié (56%) de l'électorat potentiel d'Emmanuel Macron motive son choix par la confiance que suscite le chef de l'État, pour 31% qui le choisissent par rapport aux idées et 5% "pour barrer la route à un autre candidat". Cette primauté de la confiance par rapport aux idées dans les motivations du vote ne se retrouve chez aucun autre candidat.
Dynamique de campagne favorable à Marine Le Pen…
A 10,5 points derrière Emmanuel Macron, Marine Le Pen occupe la seconde position. Elle bénéficie de 17,5% d'intentions de vote, soit le meilleur score enregistré pour elle depuis la première vague de l'Enquête Électorale 2022 d'octobre 2021. Dans un jeu de vases communicants avec l'électorat potentiel d'Éric Zemmour, Marine Le Pen retrouve un niveau de soutien important (61%) auprès de ceux qui l'avaient choisie au premier tour en 2017. La tendance est favorable et le socle électoral se consolide : près des trois quarts (73%) de ses électeurs potentiels assurent à présent que leur choix est définitif.
En termes d'image, si Marine Le Pen est loin du Président sortant sur les critères de présidentialité, elle l'emporte en revanche sur les notions de proximité : 46% des électeurs estiment qu'elle "comprend bien les problèmes des gens comme nous" (pour 27% de cet avis concernant Emmanuel Macron), 59% jugent "qu'elle veut vraiment changer les choses" (42% en ce qui concerne Emmanuel Macron). En bémol, Marine Le Pen souffre d'un déficit de présidentialité et "inquiète" un électeur sur deux (51%).
… ainsi qu'à Jean-Luc Mélenchon
La qualification pour le second tour n'est toutefois pas assurée, avec la concurrence de Jean-Luc Mélenchon qui bénéficie lui aussi d'une dynamique de fin de campagne particulièrement favorable. Il est mesuré sur cette vague à 14% d'intentions de vote, en progression de 2 points en deux semaines, ce qui constitue également le meilleur score de la série. La méthodologie particulière de l'Enquête Électorale 2022, où nous interrogeons vague après vague le même panel de plus de 13 000 électeurs, nous permet d'identifier les transferts de vote d'une mesure à l'autre. L'étude des "changeurs" révèle que Jean-Luc Mélenchon profite d'un vote utile à gauche, avec un gain de 1,5 points d'intentions de vote dans les électorats de Fabien Roussel (0,5), de Yannick Jadot (0,5) et Anne Hidalgo (0,5). Les 0,5 points restants résultent d'une plus forte mobilisation de ses électeurs.
Même si l'on n'est pas tout à fait au niveau d'Emmanuel Macron ou de Marine le Pen, Jean-Luc Mélenchon voit petit à petit son socle électoral de 2017 se reconstituer. Alors qu'en janvier dernier, "seulement" 37% de ses électeurs de 2017 envisageaient de voter pour lui cette année, cette proportion est aujourd'hui de 55%.
Avantage Marine Le Pen
Les deux candidats étant en progression, la deuxième place qualificative pour le second tour pourrait donc bien se jouer entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Rien n'est joué mais entre les deux, la candidate du Rassemblement National a tout de même aujourd'hui l'avantage. En premier lieu de par ses 3,5 points d'avance dans les intentions de vote, qui constituent tout de même une petite marge de sécurité. Ensuite, Marine Le Pen est en avance sur la bataille des classes populaires : 25% d'intentions de vote pour elle auprès des employés pour 17% à Jean-Luc Mélenchon ; 35% d'intentions de vote auprès des ouvriers, pour 14% à Jean-Luc Mélenchon. Elle bénéficie aussi d'un électorat un peu plus solide, avec 73% d'électeurs "sûrs de leur choix", pour 60% parmi ceux qui ont l'intention de voter pour Jean-Luc Mélenchon. Ses réserves de voix enfin semblent plus importantes que celles du leader de la France Insoumise : 57% des électeurs hésitants d'Éric Zemmour affichent un second choix pour Marine Le Pen, ce qui lui offre un potentiel de vote utile plus fort que celui dont pourrait bénéficier Jean-Luc Mélenchon. Une question sur les candidats pour lesquels les Français ne pourraient pas voter en donne une autre illustration : 43% de ceux qui ont l'intention de voter pour Anne Hidalgo, 36% des électeurs potentiels de Yannick Jadot et 29% des électeurs potentiels de Fabien Roussel excluent de voter pour Jean-Luc Mélenchon. Du côté de l'électorat Zemmour, seuls 8% excluent de voter Marine Le Pen ; 70% éprouvent au contraire de la sympathie pour la candidate.
Éric Zemmour, Valérie Pécresse, Yannick Jadot en difficulté
Avec une campagne axée sur le contexte international et le pouvoir d'achat, moins sur l'immigration, Éric Zemmour est en recul dans les intentions de vote. Quatrième à 11,5% d'intentions de vote, il enregistre sur cette vague son moins bon score depuis octobre, essentiellement du fait de transferts d'intentions de vote vers Marine Le Pen. A deux semaines et demi du scrutin, cette tendance paraît difficile à inverser.
Valérie Pécresse est également en recul à 10% d'intentions de vote. Candidate jugée la plus éloignée des préoccupations des Français, elle pâtit d'une fuite importante de son électorat naturel - les électeurs 2017 de François Fillon - vers Emmanuel Macron. Depuis février, tous ses traits d'image se sont dégradés : - 10 points sur "donne une bonne image de la France à l'étranger", -8 points sur "veut vraiment changer les choses", -14 points sur "à l'étoffe d'une Présidente".
Quant à Yannick Jadot, il reste stable à 7% d'intentions de vote, malgré la troisième place de l'environnement dans la hiérarchie des déterminants du vote. Au delà des idées, le candidat écologiste souffre d'un important déficit de notoriété : sur chaque trait d'image, plus d'un électeur sur cinq déclare ne pas le connaître assez pour se prononcer, des taux sans commune mesure avec ceux mesurés pour les autres candidats.
Retrouvez notre dossier spécial Présidentielle 2022

Fiche technique : sondage mené par Ipsos et son partenaire Sopra Steria pour le Cevipof, Le Monde et la Fondation Jean Jaurès menée du 21 au 24 mars 2022 auprès de 13 269 personnes, constituant un échantillon national représentatif de la population française, inscrite sur les listes électorales, âgée de 18 ans et plus.
