Présidentielle US : la dynamique de fin de campagne est favorable à Kerry

Dans une interview réalisée par Yahoo Actualités que nous reproduisons, Pierre Giacometti, Directeur Général d'Ipsos, décrypte à la veille du scrutin les dernières tendances de la campagne. Il évoque le comportement des jeunes électeurs et des indécis qui devrait constituer l'une des clefs du résultat de l'élection. George W. Bush et John Kerry sont à égalité dans les sondages, avec une dynamique de fin de campagne favorable au candidat démocrate.

Auteur(s)
  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)
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Après un début de campagne raté Kerry semble désormais à nouveau talonner Georges W. Bush dans les sondages. A quoi doit-on attribuer cette remontée du candidat démocrate dans la campagne ?

Les derniers débats télévisés ont sans doute constitué une étape importante dans ce redressement du candidat démocrate. Même si elles ne sont pas décisives pour l'évolution des intentions de vote, ces confrontations télévisées peuvent en revanche contribuer à installer un climat dans la campagne. Or Kerry a profité au maximum de ces débats pour montrer sa connaissance des sujets et sa capacité à s'imposer comme un candidat crédible. C'était très important pour lui. La deuxième raison de ce retournement est aussi à aller chercher du coté du climat politique de la campagne. Sur le front de la politique économique et de la politique étrangère de nombreux évènements défavorables à Georges Bush sont en effet survenus ces derniers jours. Le Président sortant est désormais souvent sur la défensive, comme l'a montré l'épisode du vol d'explosifs. On a enfin l'impression que sur certains groupes stratégiques qui peuvent faire l'élection comme les nouveaux électeurs et les indécis, les choses ont évolué en faveur de Kerry. Désormais, il semble aussi capable de gagner dans un certain nombre d'états clefs.

Quelles sont les principales attentes des électeurs américains aujourd'hui ?

Jamais depuis la guerre du Vietnam une campagne n'avait été aussi marquée par la situation internationale. Toutes les enquêtes montrent une effet que la politique étrangère restent bien l'enjeu majeur des élections 2004. Bien évidemment on le doit au fait qu'il s'agit de la première élection depuis le 11 septembre 2001. Cet événement continue à marquer les esprits d'une population dont la première préoccupation est la lutte contre le terrorisme. Durant la première phase de la campagne, Bush, sur ce sujet, a d'abord bénéficié d'un avantage sur son rival démocrate. Aujourd'hui, la situation s'avère beaucoup plus incertaine. Sur ces deux terrains la position du Président sortant est devenue très fragile dans l'opinion.

L'économie a-t-elle été oubliée ?

On ne dit bien évidemment jamais aux Etats unis que l'économie est un sujet secondaire dans une élection présidentielle. De nombreux indicateurs aujourd'hui montrent une baisse de confiance économique des Américains dans l'avenir économique de leur pays. Pour autant, l'économie, contrairement à ce qui a pu se passer lors des élections ultérieures ne semble pas être au coeur de la campagne. Sans être décisifs, des sujets traditionnels comme la santé et l'éducation ont aussi eu une importance relative beaucoup plus significative que lors des derniers scrutins.

Les deux candidats pour l'instant semblent surtout avoir mobilisé leur électorat respectif. L'un deux est-il en capacité de convaincre les indécis ?

La part importante des indécis est sans aucun doute l'une des raisons pour lesquelles nous avons assisté ces dernières semaines à autant d'instabilité dans les enquêtes d'intentions de vote. Aujourd'hui, trois grands groupes de populations sont devenus stratégiques pour Kerry et Bush. Regroupées ensemble, ces catégories n'ont sans doute jamais autant pesé dans une élection américaine. Le premier de ces groupes est d'abord celui des indécis classiques. Ceux-ci représentent à peu près 15 à 20% de la population électorale. Il est probable que les derniers événements qui sont survenus en Irak aient une influence sur cette catégorie d'électeurs. Second enjeu : le groupe des nouveaux électeurs qui se sont inscrits à l'occasion de cette élection. Il semble avoir pris une importance considérable et pourrait, le cas échéant s'il allait voter, favoriser un record de participation. Ces jeunes électeurs d'après nos enquêtes penchent pour l'instant majoritairement en faveur de John Kerry. Du comportement et de la décision d'aller voter de ces jeunes électeurs dépend sans doute, en partie, le résultat de l'élection dans de nombreux Etats. Les abstentionnistes classiques continuent enfin à représenter une part non négligeable de l'électorat américain. Socialement au bas de l'échelle, peu éduqués et sans véritable affiliation partisane, ces électeurs sont sensibles aux évènements spectaculaires et restent encore très marqués par le 11 septembre et les enjeux du terrorisme international. Une partie des abstentionnistes traditionnels pourrait cependant faire une irruption dans cette élection. Celle-ci, d'après nos indications et dans une proportion assez limitée, est encore favorable à Bush.

Dans ce domaine, la récente implication de Bill Clinton dans la campagne peut-elle avoir un effet ?

Durant les dernières phases de campagne, les meetings font intervenir des personnalités politiques de premier plan. Le retour de Bill Clinton répond à deux objectifs : consolider le niveau de mobilisation de l'électorat démocrate et convaincre d'aller voter les contingents d'électeurs indécis.

A quelques jours du scrutin quelle tendance voyez-vous se dessiner ?

Les chiffres que nous avons confirment d'abord une baisse de la popularité de Georges W. Bush. Avec 47 % d'opinions favorables, l'image de Bush ces dernières semaines s'est détériorée. Le Président sortant a cessé d'incarner cette personnalité apte " à faire face " qu'une grande majorité d'Américains plébiscitait encore il y a plusieurs mois. Plus de 70 % des électeurs américains pensent aujourd'hui que la situation des Etats unis se détériore. C'est un point qui va peser dans les derniers jours de la campagne et qui peut être très important dans la dynamique de vote des indécis. L'une des questions de fond de ces prochains jours est bien entendu de savoir si Kerry sera en mesure de profiter de cette baisse de confiance à l'égard du Président sortant. Si le candidat démocrate n'a que partiellement résolu son problème d'image personnelle notamment auprès de catégories issues de classes moyennes et populaires, il n'en demeure pas moins qu'il est aujourd'hui en train de gagner du terrain et d'être de plus en plus en mesure de gagner mardi prochain.

Propos recueillis par Mathieu Guilsou

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  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)

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