Pub et digital : tendances et influences
Le Web vit désormais au diapason de la société comme le montre le contenu du Palmarès Ipsos de la Pub. Cette année, deux prix distincts vont au digital. Un pour récompenser l’excellence d’une communication « brand culture ». L’autre pour saluer une communication de « brand utility ». Agnès Gilbert, Directeur Digital chez Ipsos ASI et Rémy Oudghiri, Directeur du département Tendances & Insights, Ipsos Public Affairs, décryptent pour nous ce palmarès.
Agnès Gilbert : les marques maîtrisent et s'approprient de mieux en mieux les codes de l'Internet. C'est une tendance très nette cette année dans le panorama publicitaire digital. C'est aussi vrai des mécanismes de mise en œuvre des publicités digitales que de leurs finalités. Nous observons de plus en plus fréquemment des communications dédiées, pensées et réalisées pour le digital. Elles s'inscrivent en complément – ou non – d’autres médias qui ciblent des populations différentes avec un discours spécifique. Leur but est clair : engager le consommateur en le divertissant ou en lui rendant service. Ce sont les deux leviers clefs sur Internet.
Un des signes de ce réel tournant est que les marques se sont mises à nous parler d’intimité dans leurs communications sur la Toile. C'est très vrai dans le luxe où elles nous laissent de plus en plus investir leur sphère intime. En nous ouvrant grand les portes de leurs maisons, ces portes que nos consommateurs n’aurions peut être pas eu l’occasion ou l’audace de pousser dans la vraie vie, les grandes marques de luxe nous rendent accessible l’inaccessible. Elles mettent l’exceptionnel à portée de main. L'outil Internet leur permet d'attiser encore plus le désir et l’envie de luxe. Elles jouent à plein le registre de l’évocation et de l’évasion qui véhiculent leurs valeurs aspirationnelles pour nous faire voyager avec elles. C’est du pur « brand culture ». L’utilisation à travers le Web d’une tribune universelle pour dire : « Voilà qui je suis et où j’ai envie de vous emmener. Laissez-moi vous surprendre. »
Rendre accessible l'inaccessible
Rémy Oudghiri : c’est un fait. Depuis 2007, le luxe ne cesse d’être valorisé en France, comme un peu partout dans le monde. On le voit très bien dans l’observatoire que nous conduisons en France auprès des clientèles du luxe. De plus en plus de Français le perçoivent comme un des secteurs les plus innovants de la période (50% des personnes interrogées en 2012 contre 42% en 2007). Face à une conjoncture qui s’est soudainement assombrie, les Français expriment un grand désir d’évasion. Ils ont envie qu’on les conduise ailleurs, dans un espace-temps libéré des contraintes et des duretés de la vie quotidienne. Aujourd’hui, 65% des Français attendent des marques de luxe des « produits intemporels ». En s’introduisant de plus en plus dans le monde d’Internet, après s’en être méfié, les marques de luxe répondent à ce désir d’expérience hors du temps. Elles se rapprochent des consommateurs, tout en respectant totalement les codes qui font la force et la spécificité du luxe : mise en scène de l’exception, esthétique extrêmement soignée, refus du réalisme. En se rapprochant ainsi des consommateurs, elles ne se dévalorisent pas. Elles offrent un peu plus de rêve tout en restant inaccessibles, car dans le même temps, les prix de leurs produits sur le marché n’ont pas baissé, bien au contraire.
A. G. : les marques de grande consommation et de services sont aussi dans le registre de l’intime. Plus précisément, elles nous parlent de notre intimité. Elles ont compris que pour parler à un internaute de façon pertinente et opportune, il faut adopter sa voix, lui parler d’égal à égal. Être dans la vérité du consommateur. Du coup, c’est une tendance qui se dégage des publicités cette année : celle de programmes traitant de la vie de tous les jours et du quotidien, qui mettent en scène des gens comme vous et moi, leur famille et leurs amis. Des pubs qui parlent de la vie avec ses bonheurs, ses tracas et qui montrent comment les marques aident les consommateurs à s’en sortir. L’exceptionnel n'est pas la règle. On recherche au contraire le plus grand dénominateur commun. On parle à tout le monde, car tout le monde fait face aux mêmes situations. Les annonceurs ont compris que pour être entendu sur Internet, il ne faut pas parler de soi. On parle de ce qu’on peut faire pour son consommateur. Ce qui se joue alors c’est le rôle de la marque au moment décisif de la vérité consommateur. L’utilité de la marque, sa proximité avec les consommateurs et ses besoins, sa « brand utility ».
Être dans la vérité du consommateur et apporter des solutions concrètes
R. O. : cette tendance de la communication sur le Net s’inscrit dans un mouvement de fond perceptible depuis 2008. Depuis plusieurs années, les Français ont envie d’entendre parler de solutions. Dans les enquêtes que nous conduisons, ils ne cessent d’exprimer leur désir de proximité. Ce mot très en vogue depuis 2008 résume de vraies aspirations : besoin de contacts personnalisés avec les marques, demande de services qui facilitent l’appropriation des produits, plébiscite des solutions pratiques comme le drive, le click and collect, etc. Ce désir de proximité qui se renforce encore avec les récents scandales sanitaires, est l’exact contemporain de la crise des institutions qui continue de prévaloir en France. Les Français se méfient de ce qui est lointain. Ils s’en sont toujours méfiés, mais aujourd’hui la défiance atteint des niveaux record. Dans ce contexte, pour être écouté, il faut donc montrer que non seulement on a bien compris les problèmes des Français, mais que l’on est porteur de solutions simples et incontestables. Derrière cette envie de solution, il y a aussi une envie de positif. Aujourd’hui, être positif, c’est apporter des solutions concrètes.
A. G. : tout cela a été rendu possible par le fait que les marques ont adopté les codes et les fonctionnalités techniques du digital. Les marques de luxe peuvent ainsi prendre plus de temps et d’espace online qu’ils ne le pourraient dans les médias off line. Internet leur confère une gestion différente du temps, dans la durée et dans la fréquence. Il leur permet de prendre la parole selon leurs modalités. Nous voyons aussi les banques et les services adopter les codes et l’esprit du Net pour communiquer, façon blog vidéo, en scénarisant le quotidien avec de l’humour, du décalage du second degré, de l’outrance… Elles ont même souvent recours à des intervenants réels du Web pour le faire en jouant la carte de l’autodérision et du décalage. Et puis surtout le mantra, c’est d’en rire et d’en faire rire. On dédramatise avec la surprise, l’humour, voire l’absurde. Le langage publicitaire a ainsi adopté les codes de la société on-line. La publicité digitale a même intégré la contrainte chronologique du Web. Désormais, c’est l’internaute qui est le maître du temps. C’est lui qui décide. D’où la pertinence de lui donner rendez-vous, ce qu'illustre le format « webisode ». Dans ces épisodes courts diffusés sur le Web, le consommateur internaute et sa vérité sont plus que jamais au cœur du dispositif digital. Il inspire l’histoire. Il en propose le scénario. Il est à la fois acteur, public et critique ! Si l’expérience lui plaît, il la fera vivre en s’engageant auprès d’elle et de la marque. Il en parlera et permettra à d’autres d’y participer. Les publicités digitales ont intégré tout cela. Toutes n'y réussissent pas. Mais il y a là-dedans une véracité et un ton inédits.
Le langage publicitaire s'approprie les codes de la société on-line
R. O. : ce qui est frappant dans les codes du Web à l’heure actuelle, c’est leur côté hybride. La période que nous traversons est propice à l’hybridation. Les écrans se multiplient et les pratiques s’hybrident naturellement. La TV s’inspire d'Internet et inversement, le Web importe les codes de la TV, produisant du même coup une culture nouvelle, mélange de plusieurs genres et de plusieurs identités (interactive, réaliste, horizontale, ironique…). D’une manière générale, de plus en plus d’innovations sont hybrides. En période de crise, l’innovation combine des éléments connus pour produire de l’inconnu. Le connu rassure. L’inconnu procure l’émotion de la surprise. Il y a de nombreuses illustrations de ce phénomène dans l’évolution de la consommation. Ainsi, dans l’alimentaire, la restauration rapide s’inspire de la restauration classique de qualité et inversement (Hippopotamus avec son réseau RED, BOCO, avec son concept de restauration rapide en partenariat avec les chefs étoilés). Dans l’univers de la décoration, Habitat ouvre aux puces de Saint-Ouen un magasin dédié à ses meubles conçus dans les années 60. Dans la cosmétique, L’Oréal commercialise du petit électroménager de beauté (brosses nettoyantes). Partout on décloisonne, on mélange, on inverse les hiérarchies. Partout on réinvente. Plus que jamais, l’hybridation est source d’innovation et la diffusion de la culture Web n’est évidemment pas étrangère à cette dynamique. Le Palmarès digital est à l’image de cette évolution.
A. G. : au milieu des années 2000, quand Internet avait su se mettre à la porté du plus grand nombre en simplifiant son accès et son utilisation, on avait parlé de révolution 2.0. Gageons que la publicité vient de faire sa révolution 2.0 et que ce n’est qu’un début.