Pub : un doux parfum d'hier
Nous vivons une époque formidable où l’écran ultraplat de notre télé HD voit s’afficher des spots au doux parfum d’hier. Le futur proche de la pub est-il à observer dans le rétro ? Réponses de Marie-Odile Duflo, Directeur Général, Ipsos ASI.
Nous vivons une époque formidable où l’écran ultraplat de notre télé HD voit s’afficher des spots au doux parfum d’hier. Le futur proche de la pub est-il à observer dans le rétro ? Réponses de Marie-Odile Duflo, Directeur Général, Ipsos ASI.
Le cœur de la pub en ce moment bat au rythme de la nostalgie. Cela vous surprend-t-il ?
Marie-Odile Duflo : Nous avons déjà senti monter ce courant l’an dernier. J’évoquais d’ailleurs dans notre Palmarès de la pub 2009, le choix de certaines marques de se tourner vers leurs racines, leur essentialité, pour partager dans la durée des valeurs sûres avec les consommateurs. On a vu Dior réhabiliter Alain Delon, Orange ressortir Mr. Patate et Evian resservir, en le remixant, « Rapper's Delight », le vieux tube de Sugarhill Gang…La tentation du retour aux sources fait désormais la part belle aux remakes publicitaires. On parle même de « rétro marketing ».
Cette tendance « rétro » n’a-t-elle pas quelque chose d’un peu ronronnant ?
M-O. D. : Je ne pense pas. Les marques, au contraire, cherchent à réviser leurs classiques et à réciter leurs fondamentaux, tout en continuant à nous surprendre. Voyez comment année après année, par delà les crises même, les sagas font preuve d'une capacité à générer de la nouveauté dans le territoire de la marque – dans le food tout particulièrement–. Prenez Lustucru qui, pour mieux célébrer ses 100 ans, revient en force sur les territoires de la communication avec la fameuse saga Germaine et ses Martiens. La marque aux damiers bleus ne se contente pas de remettre le couvert avec les mêmes acteurs. Elle revient avec un film aux airs de blockbuster hollywoodien dans lequel vous voyez les petits hommes verts ramener Germaine sur Terre 25 ans après l’avoir enlevée ! Une version longue du film est d’ailleurs visible sur Internet. On peut même se faire de nouveaux amis comme Joe le Martien sur Facebook ou tenter des expériences de réalité augmentée sur son ordinateur ou son iPhone. Les remises au goût du jour passent aussi par des détails plus subtils. Prenez la nouvelle campagne de Mousline. Tout y est en, le petit volcan, la jolie famille, la musique, en version modernisée, avec la fillette qui chante le fameux air façon karaoké, mais surtout avec ce changement dans la signature (« Je suis sûr de ce qu’il y a dedans… ») qui colle à notre époque mais en même temps nous ramène au plaisir originel. On est dans la démonstration, dans l’illustration rassurante de l’efficacité produit.
Il y a aussi un phénomène purement vintage, très sensitif, quasi esthétique ?
M-O. D. : C’est la réappropriation d’un style comme le montre le phénomène autour des années 50-60. On le voit bien à travers la série « Mad Men » qui fait tant parler d’elle et ne laisse pas les créateurs de mode insensibles, notamment chez Vuitton. Je pense aussi à cette campagne de pub print brésilienne autour de YouTube, Skype, Facebook où l’on découvre une superbe série d’annonces vintage. C’est un rappel aux grandes années de croissance économique et de progrès technique, lorsque la grande consommation prenait son véritable essor. C’est rétro et en même temps cela permet de se projeter.
N’est-ce pas aussi une façon de retrouver ses racines ?
M-O. D. : Nous sortons d’une période incertaine, je dirais presque de doute existentiel pour les marques. Cela peut effectivement servir à réactiver ses valeurs centrales. Je pense à la récente rediffusion de ce film où l’on voit un beau jeune homme au cœur brisé sur le point d’entrer au monastère jusqu’à ce qu’il croque dans sa barre Mars. On communique sur le fond de la marque. C’est pourquoi je préfère parler d’ancrage plutôt que de recyclage. L’émotion est suscitée par le plaisir de re-visionner cette pub et d’entendre à nouveau la fameuse musique de Nirvana (vidéo de la publicité de Mars). Je pense aussi à ce remake étonnant du film Pepsi contre Coca, avec ces deux routiers représentants de chaque marque qui goûtent mutuellement leurs produits jusqu’à ce que l’amateur de Coca ne veuille plus rendre son Pepsi (aujourd’hui, c’est Coca Zero vs Pepsi Max). Pour cette version baptisée « Diner 2.0 », ils ont été rechercher le même réalisateur qu’à l’époque (Joe Pytka) ! Nous retrouvons là ce que j’évoquais à propos de Mars. On est au cœur des valeurs de la marque, on se réapproprie sa véritable identité, on affirme ses différences.
Qui cherche-t-on exactement à toucher avec ces pubs ?
M-O. D. : Sans aucun doute les baby-boomers qui sont de plus en plus la cible du marché économique et auprès desquels le ressort de la nostalgie fonctionne particulièrement bien. J’appelle ça « l’effet doudou ». On recycle, on cultive le passé pour faire du neuf et favoriser l’achat.
Cet « effet doudou » ne touche-t-il que les baby-boomers ?
M-O. D. : Il s’étend aux « adulescents », ces trentenaires mi-adultes mi-ados qui recherchent des signes de leur enfance et craquent pour Casimir et les fraises Tagada. Il y a 10 ans, le phénomène ne concernait que quelques « nostalgeeks » mais finalement, le retour en enfance est une tendance sociale lourde. C’est quelque chose qu’il va falloir suivre de près car nous avons là une génération émergeante qui recherche vraiment cet ancrage dans le passé pour pouvoir mieux se projeter dans le futur.