Quelles lectures pour cet été ?
A la veille des vacances estivales, Sophie Martin, Directrice Générale d'Ipsos Insight Culture vous propose un tour d'horizon des lectures qui accompagneront votre été.
Quelles sont les tendances de cet été en matière d’édition ?
Sophie Martin :Après un début d'année marqué par la profusion d'ouvrages politiques sur les étalages des libraires, le début de l'été et l'approche des vacances apportent un souffle nouveau et marquent le grand retour du roman/polar. Grand classique de la période estivale, ce genre initialement made in USA voit ses codes revisités par une nouvelle génération d'auteurs européens. Aux côtés de Mickael Connelly ou Mary Higgins Clark, des noms comme celui de Fred Vargas ou Henning Mankel comptent aujourd’hui parmi les figures emblématiques du roman fiction/polar.
Quelles sont les meilleures ventes de la saison?
S.M. :Les enfants de la liberté de Marc Lévy, arrive en tête avec plus de 190 000 exemplaires vendus; suivi de La forteresse digitale de Dan Brown (180 000 exemplaires vendus); on retrouve en 3ème position La femme fatale de Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin (160 000 exemplaires vendus), et enfin L'élégance du hérisson de Muriel Barbery (150 000 exemplaires vendus).
Cette saison littéraire s'annonce de bon augure pour la littérature française grâce à des romans de qualité, qui marqueront sûrement les ventes de cet été et qui comme l'espèrent les éditeurs, aideront peut-être à compenser les ventes plutôt médiocres du premier semestre.
Vous dites que les ventes en littérature générale n'ont pas été satisfaisantes ce premier semestre. Comment l’expliquer ?
S.M. : La littérature générale ne se porte jamais bien en période électorale. Les nombreuses sorties d'ouvrages liées à l'actualité politique ont pénalisé les parts de marché de la littérature sans pour autant rééquilibrer le manque à gagner du segment. Ce fait ne suffit néanmoins pas à expliquer les résultats insuffisants du premier semestre.
D'autres explications sont à rechercher. A mon sens, il existe un problème global, lié à un défaut de fréquentation des deux circuits majeurs de ventes de livres : les magasins spécialisés et les hypermarchés.
Le disque et la vidéo, sont les deux produits d'appel de ces circuits. Ces marchés subissent les conséquences des nouvelles pratiques de téléchargement sur Internet. Face à cette situation, ce type de points de vente connaît aujourd'hui une baisse de fréquentation qui pénalise fortement l'industrie du livre. On constate le même problème de désaffection en hypermarché, où aucune enseigne ne connaît de croissance positive sur le segment livre depuis le début de l'année.
Ce déclin de l'industrie du livre, n'est-il pas simplement dû à un désintérêt des Français pour la lecture?
S.M. : Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un problème de goût pour la lecture, mais plutôt d'un problème d'arbitrage. Lorsque le temps passé sur Internet ne cesse d'augmenter et que celui passé devant la télévision ne diminue pas, il reste fatalement peu de place pour la lecture.
Les Français n'ont pas délaissé la lecture. La lecture de romans reste un moment de loisir valorisé. Elle devient davantage périodique.
Certains segments éditoriaux sont-ils plus prospères que d’autres ?
S.M. : Les arbitrages et contraintes de temps déjà évoqués mènent les Français à de nouveaux choix de lecture, plus pragmatiques et dont l'utilité se traduit dans leur quotidien.
Les livres pratiques connaissent un véritable succès. Fleuron du segment, les livres de coaching et les guides personnels sont aujourd'hui déclinés en plusieurs formats et plusieurs collections. "Le petit guide des paresseuses" est d'ailleurs l'une des meilleures ventes de la catégorie. Ces ouvrages destinés à la femme quarantenaire, couvrent de façon ludique toute la gamme du pratique : de la santé à la cuisine, en passant par les régimes, la décoration et l'éducation.
Aujourd'hui les lecteurs assument sans complexe leur préférence pour ce genre de lectures plus légères, qui leur permet de façon "light" et rapide de faire ou parfaire leur culture.
La littérature jeunesse est également un segment porteur et pérenne. Le parascolaire représente bien sûr une part importante de ce marché. L'achat d'ouvrages scolaires d'appoint durant l'année devient de plus en plus courant et en période estivale, l'achat de cahiers vacances se fait de plus en plus tôt (parfois dès la maternelle), ce qui contribue à consolider la croissance du segment.
Depuis le succès d'Harry Potter, le roman fantastique est un autre relais de croissance pour la littérature jeunesse, de même que les mangas, qui connaissent un succès tout particulier auprès des jeunes Français.
Chaque année, les maisons de disques pré-fabriquent ce qui deviendra "le tube de l'été". De la même manière, les éditeurs ont-ils une recette pour fabriquer le best-seller de l'été?
S.M. : Il est possible de modéliser le marché du livre, et de maximiser les ventes en fonction de la date de sortie, mais il n'existe aucune "recette miracle".
En littérature générale, les fêtes de Noël (où se font 20 à 30% des ventes de l'année), et la fête des mères sont les deux grands rendez-vous incontournables. Manquer ces rendez-vous peut parfois compromettre les ventes d'une année entière. Les ventes qui suivent la semaine de la fête des mères, constituent un bon baromètre pour l'été, sans pour autant être un indicateur infaillible.
Rien n'est jamais acquis, ni vraiment prévisible…La percée inattendue du dernier livre de Muriel Barbery, L'élégance du hérisson en atteste. La sortie très discrète de ce livre ne laissait absolument pas présager un tel succès.
Le calage des sorties sur ces deux grands rendez-vous annuels ne crée-t-il pas un phénomène d'encombrement et de saturation qui dessert au final les éditeurs?
S.M. : Noël et la Fête des mères sont effectivement deux rendez-vous à ne pas manquer pour un éditeur. Toutefois, d'autres rendez-vous rythment l'agenda de parution des nouveautés de certains segments. Par exemple, les ventes de polars se font plutôt en juin et août ; la sortie de livres pratiques dès le mois de mars; .et la sortie des livres de poche s'effectue entre septembre et novembre avec les rentrées scolaire et universitaire.
Une autre date clé est la grande rentrée littéraire précédant les prix littéraires d'automne. Pour éviter le risque d'encombrement, les éditeurs envisageraient même une deuxième rentrée littéraire en janvier.
Au-delà de ces rendez-vous immuables, un éditeur est libre de décaler la sortie d’un livre, comme cela avait été le cas en juillet 2006 pour la sortie du livre de Nicolas Sarkozy, qui grâce à la mise en place d'un dispositif colossal en hypermarché était devenu un des best sellers de la saison. Il n'est pas improbable que le phénomène se reproduise cet été.
Quel est le profil des lecteurs estivaux?
S.M. : Il s'agit d'un lectorat plutôt féminin (55% en moyenne), et cela est encore plus vrai sur le segment fictions/polars.
Dans l'actualité littéraire du moment, quels sont les incontournables? Quel livre conseillez-vous d'avoir dans son sac de plage?
S.M. : Parmi les dernières sorties, trois livres font l'unanimité auprès des critiques littéraires :
Terre des oublis, de Duaong Thu Huong, primé roman d'évasion par le Grand Prix des lectrices Elle. Mal de pierres de Milena Agus, et L'élégance du hérisson, de Muriel Barbery, succès inattendu de la saison, avec plus de 150 000 exemplaires vendus à ce jour.
D'autres ouvrages sont à surveiller; notamment Les Dames de nage de Bernard Giraudeau, La révolte des accents d'Erik Orsenna, et L'erreur est humaine de Woody Allen.
L'été sera peut-être aussi l'occasion pour Beigbeder de rattraper le démarrage décevant de son dernier livre Au secours pardon, et pour Franz Olivier Giesbert de relancer L'immortel, son dernier livre passé quasiment inaperçu.