Reflux de la sensibilité écolo

Avec la crise, les préoccupations environnementales sont en recul dans l'opinion, reléguées loin derrière les problématiques économiques et sociales, et la question du pouvoir d'achat. Le point de vue d'Etienne Mercier,  Directeur Adjoint du département Opinion d'Ipsos Public Affairs, interviewé pour le dernier numéro d'Ipsos Flair.

Auteur(s)
  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs
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Les Français rencontrent-ils une crise de foi environnementale ?

Depuis un peu plus d’un an, on assiste à une conjonction de phénomènes qui laissent à penser que dans le domaine de la lutte pour la préservation de l’environnement, les opinions voire même les comportements des consommateurs sont en train d’évoluer. Une crise de foi se propage. Les Français se montrent moins préoccupés par le futur de la planète (–8 points depuis 2006) tandis que le niveau de scepticisme quant à la gravité des menaces environnementales progresse (+6 points) : désormais 43% estiment même qu’elles sont exagérées. Cette crise de foi se nourrit pour une part d’une véritable défiance à l’égard des discours des autorités. Ainsi, seule une minorité de Français fait aujourd’hui confiance aux scientifiques pour dire la vérité sur les résultats et les conséquences de leurs travaux dans le domaine du réchauffement climatique (48%). Ce phénomène de doute et de remise en cause des prises de position des experts est global, il ne concerne d’ailleurs pas seulement les enjeux climatiques. Pour l’environnement, il s’explique aussi en partie par le scandale du climat-gate, la controverse suscitée par Claude Allègre sur la réalité du réchauffement climatique ou encore par les échecs des sommets de Copenhague, voire de Durban. Mais pas seulement. Le manque de ressenti direct des dégradations environnementales nourrit aussi le doute et suscite des interrogations : « existent-elles vraiment ? », « En quoi me concernent-elles directement ? », « Ne sont-elles pas exagérées ? ». La plupart des Français estiment que là où ils habitent, l’environnement est de bonne qualité (le chiffre n’évolue pas depuis 2006), tandis que le niveau de gênes ou de troubles liés à la pollution atmosphérique a régressé de 9 points (28%, son plus bas niveau). Pour l’opinion, si la qualité de l’environnement se détériore, c’est donc au niveau planétaire mais certainement pas local. Bien entendu, la crise économique est aussi l’un des principaux catalyseurs de la relative perte d’intérêt des Français à l’égard des enjeux environnementaux et de la consommation durable. Le pouvoir d’achat est aujourd’hui leur première préoccupation personnelle (citée par 55% d’entre eux), loin devant l’environnement (seulement 9%). Avec la crise économique, ils privilégient logiquement les enjeux immédiats au détriment de ceux qui sont perçus comme plus lointains, comme l’environnement. De fait, l’impact sur l’opinion d’une conférence internationale sur le réchauffement climatique avec des échéances à 20 ou 50 ans est aujourd’hui sans comparaison possible avec celui des sommets européens qui se succèdent et dont l’objectif affiché est de sauver la zone euro avant mars ou avril.

La catastrophe de Fukushima n’a pas vraiment changé la donne

Même dans un contexte de catastrophe environnementale comme Fukushima, les Français semblent de plus en plus privilégier l’intérêt économique immédiat. Son impact sur l’opinion est indéniable : la crainte qu’une catastrophe semblable se produise en France existe. Pour autant, la grande majorité des Français ne se prononce pas aujourd’hui en faveur de l’abandon du nucléaire. D’ailleurs, quelques semaines après la catastrophe, les facteurs prioritaires aux yeux des Français pour définir la future politique énergétique de la France évoluent, mais pas dans le sens dans lequel on aurait pu le croire. Le respect de l’environnement arrive certes en 1ère position (preuve que les craintes suscitées par une éventuelle catastrophe existent vraiment), mais continue de s’éroder fortement, enquête après enquête, tandis que le prix du kilowattheure progresse tout comme la sécurité des approvisionnements. On serait tenté de penser que les annonces des augmentations des prix du gaz et de l’électricité ont aujourd’hui un impact plus fort et plus direct qu’un accident, voire une catastrophe nucléaire qui se déroule à des milliers de kilomètres de là.

La nécessité de privilégier désormais l’égo et l’éco dans le domaine de la consommation durable

La crise de foi et la crise économique nourrissent aussi un début de crise de confiance des consommateurs. Le niveau de défiance vis-à-vis de l’information concernant les produits les plus respectueux de l’environnement atteint son plus haut niveau depuis 1997 (seulement 31% considèrent qu’elle est scientifiquement fondée, –13 points), les Français affirmant de plus en plus qu’ils n’utiliseront pas l’affichage environnemental lorsqu’ils feront leurs courses (46%, +8 points). Pour un produit ou un service, la seule promesse d’être plus respectueux de l’environnement que les autres n’est plus suffisante et c’est sans remords que de nombreux consommateurs avouent qu’elle ne les convainc plus. La profusion des logos, labels et appellations a aussi engendré une certaine confusion.

De plus en plus pragmatiques, ils attendent désormais des bénéfices directement mesurables des produits qui leur sont présentés comme plus écologiques que les autres (des gains pour leur santé, pour leur pouvoir d’achat ou encore pour le développement durable). A chaque renoncement doit correspondre un bénéfice. Le « sans » doit s’accompagner d’un « plus ». Chaque produit dans lequel on supprime un ingrédient pour des raisons « responsables » doit proposer un bénéfice indéniable (les produits bio en restent le meilleur exemple). Dans ce contexte, c’est toute la communication développement durable qui doit faire sa révolution. Car l’information des Français reste lacunaire et beaucoup ont du mal à la comprendre : seule une minorité a une idée précise de ce qu’est le développement durable (46%), la performance énergétique (36%) ou le bilan carbone d’un produit (32%). Que peuvent-ils comprendre lorsqu’un constructeur leur déclare qu’une automobile ne rejette que 120 g de CO2 ? En quoi cela les concerne-t-ils directement ?

En apprenant quel bénéfice durable on peut retirer d’un produit ou d’un service, chacun doit avoir les moyens de sa responsabilité, sans avoir à assimiler des informations trop complexes. Certains acteurs semblent d’ores et déjà avoir pris conscience de ce mouvement de l’opinion.Ainsi, lorsque les magasins U affirment, dans l’une de leurs dernières campagnes, privilégier les produits locaux dans une démarche de développement durable, ce n’est plus pour concourir à la diminution des émissions de carbone dues au transport, mais bien pour privilégier l’emploi local et lutter contre le chômage, tout en diminuant le prix des produits puisque les coûts de transport sont moindres. Plus que la planète, c’est l’ego et l’éco que les Français souhaitent désormais privilégier grâce à la consommation durable.

Auteur(s)
  • Etienne Mercier Directeur Opinion et Santé - Public Affairs

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