Régionales : les cinq enseignements d'un scrutin
L’enquête réalisée le 15 mars par Ipsos pour le Point apporte de nouveaux enseignements sur ce qu’on voulu exprimer par leur vote régional les électeurs.
Si elles ont provoqué, dans les jours qui ont suivi, un véritable séisme à droite, les élections régionales du 15 mars 1998 ont été un scrutin somme toute assez paisible. L’enquête réalisée, le jour même, par Ipsos pour le Point montre d’abord que ce scrutin intermédiaire atypique a été dominé par un climat plutôt favorable au pouvoir. Un peu plus nombreux (38%) ont été les électeurs qui ont souhaité, ce jour-là, exprimer leur " soutien au gouvernement " que ceux qui ont entendu manifester leur " opposition " (35%). Rien à voir avec l’état d’esprit des Français au premier tour des législatives de juin 1997, lorsque 51% des votants étaient bien décidés à sanctionner le pouvoir en place. Très logiquement, une majorité relative (39% contre 33%) d’électeurs du 15 mars espérait, dans sa région, " la victoire de la gauche ". Un souhait que les manoeuvres post-électorales que l’on le sait ont parfois interdit d’exaucer...
Une analyse détaillée de cette enquête Ipsos-le Point permet de dégager cinq grands enseignements.
1/ L’abstention a pénalisé d’abord la majorité. La gauche a dominé la droite aux élections régionales en dépit du fait qu’elle a été la première victime du taux d’abstention élevé. Par rapport aux législatives de 1997, l’électorat de gauche a été, le 15 mars, plus abstentionniste que celui de droite. L’apathie civique s’est d’ailleurs davantage développée chez les électeurs les plus jeunes et parmi les ouvriers. Tout se passe comme si une partie de l’électorat majoritaire, confiante dans la victoire de son camp et pas réellement enthousiasmée par la politique gouvernementale, avait boudé les urnes. Ce sont peut-être les mêmes qui se sont réveillés pour le second tour des cantonales, permettant à la gauche de gagner plus de départements que prévu.
2/ La stratégie unitaire a payé à gauche. Le choix de former des listes communes à toutes les formations participant au gouvernement était risqué : la gauche s’interdisait de ratisser large, comme on le dit peu élégamment. Finalement, Les listes d’union ont largement mobilisé un électorat de gauche qui prise le " tous ensemble ". Elles ont obtenu les suffrages de 79% des électeurs socialistes des dernières législatives de 1997, mais aussi 81% des votes communistes d’alors. La déperdition est plus forte du côté écologiste puisque la " gauche plurielle " ne retrouve que 54% des votes de cette sensibilité politique. La dynamique unitaire a même attiré 33% d’électeurs ayant voté à l’extrême-gauche en 1997 !
Pour autant, l’électorat de gauche continue à s’embourgeoiser. La " gauche plurielle " a progressé de six points chez les cadres supérieurs et professions libérales où elle culmine avec 45% des votes. Aux régionales de 1992, le vote de gauche n’avait été que de 30% dans cette catégorie ! Elle recueille le même score parmi les professions intermédiaires tandis que son audience est nettement plus modeste chez les employés (37%) et les ouvriers (38%).
3/ L’émergence d’une gauche radicale. Cette dynamique n’a pas empêché la progression sensible de l’extrême-gauche. Sortant de la marginalité en plusieurs endroits, ses listes ont su capter un électorat jeune (6% dans les tranches d’âge allant de 18 à 44 ans) et populaire (9% chez les ouvriers et 7% parmi les chômeurs). Soulignons que les progrès de l’extrême-gauche sont les plus forts (quatre points par rapport aux législatives) chez les 35-44 ans, la génération actuellement la plus marquée à gauche et la plus inquiète de sa situation socio-économique. Ses avancées sont également particulièrement sensibles en milieu ouvrier.
Deux mouvements de nature différente semblent avoir nourri cette progression de l’extrême-gauche. D’abord, la fraction la plus radicale de l’électorat classique de gauche a refusé de soutenir la " gauche gouvernante " : 13% des sympathisants communistes et 10% de ceux qui se situent eux-mêmes " très à gauche " ont voté pour les listes de Lutte Ouvrière ou de la Ligue Communiste Révolutionnaire. Par ailleurs, une partie du vote protestataire dont bénéficiait il y a peu le FN semble s’être déportée vers l’extrême-gauche. Significativement, le parti d’extrême-droite perd neuf points chez les électeurs de situant " très à gauche " et six points chez les ouvriers.
La nouvelle " extrême-gauche " n’est cependant autant opposée à la gauche officielle qu’on aurait pu le croire. Seulement 28% de ses électeurs ont manifesté leur " opposition " au gouvernement Jospin tandis que 46% ont souhaité le " soutenir " ! Et, le 15 mars, cet électorat voulait massivement (77%) " la victoire de la gauche ". Tout se passe comme si ces électeurs exigeaient du pouvoir qu’il aille plus loin dans le changement au lieu de le condamner déjà pour trahison droitière.
4/ Un Front national droitisé et vieillissant. Le parti de Bruno Mégret a beau avoir tenu la vedette dans les jours suivant le scrutin, l’examen détaillé de ses performances n’est pas particulièrement encourageant pour son avenir. Pour la première fois, l’extrême-droite perd d’abord sérieusement pied dans la jeunesse où (chez les hommes) il avait naguère enregistré de bons scores. Le FN n’a obtenu que 8% des votes des 18-24 ans, (moins quatre points par rapport aux législatives) et 11% chez les 25-34 ans (moins huit points). Rappelons que Jean-Marie Le Pen avait recueilli 15% des suffrages dans la tranche d’âge la plus jeune aux présidentielles de 1988 et encore 14% en 1995.
Autre mouvement notable : pour la première fois depuis longtemps, le FN entame un mouvement de " déprolétarisation " relative. Certes, 26% des ouvriers ont voté en sa faveur. Mais l’extrême-droite a perdu six points par rapport à 1997 dans cette catégorie sociale. Symétrique, le FN progresse d’une manière non négligeable auprès des agriculteurs et des artisans, commerçants, chefs d’entreprise.
Le FN dispose désormais d’un électorat beaucoup plus ancré à droite que précédemment. Il est significatif que près de la moitié des anciens électeurs de Philippe de Villiers l’ont soutenu le 15 mars. Le " gaucho-lepénisme " n’est apparemment plus qu’un souvenir.
5/ L’UDF et le RPR toujours rejetés par les salariés. Les déboires de l’opposition ne sont pas seulement stratégiques. Ils tiennent aussi à une faiblesse idéologique qui se traduit par une dramatique étroitesse sociologique de sa base électorale. La coalition UDF-RPR ne dépasse la " gauche plurielle " que chez les agriculteurs (50%) et les artisans, commerçants, chefs d’entreprise (37%) ! Son audience est très modeste sur l’ensemble de l’arc salarial, des ouvriers (seulement 18%) aux cadres supérieurs (pas plus de 35%). Une vraie refondation de la droite passerait vraisemblablement par la reconquête d’une large partie du salariat.
Le manque d’attraction de l’opposition se lit dans sa faible capacité à fidéliser son électorat. Seulement 75% des sympathisants de l’UDF de 1997 et 72% de ceux du RPR ont cette fois voté pour les listes UDF-RPR. Une partie de l’électorat de droite a glissé vers le FN. La porosité entre la droite et son extrême n’est pas un phénomène limité aux calculs et aux ambitions de certains notables locaux.