Sarkozy en campagne : une dynamique encore hésitante

Une semaine après l'entrée en campagne du Président sortant, Brice Teinturier ne constate pas de rebond significatif, concernant notamment les intentions de vote du deuxième tour. Il reste 60 jours pour que la situation s'inverse, mais le directeur général délégué d'Ipsos voit dans cette absence de dynamique l'abandon d'une frange important des électorats qui avaient assuré le succès de Nicolas Sarkozy en 2007. Une analyse publiée dans la revue l'Hémicycle, que nous reproduisons.

L’arithmétique est toujours mauvaise et la dynamique a du mal à se mettre en place. A 60 jours du 1er tour et alors qu’il est maintenant officiellement déclaré et en campagne, Nicolas Sarkozy peine à rééquilibrer un rapport de force qui lui est toujours extrêmement défavorable : 25% des intentions de vote dans le dernier baromètre Ipsos Logica Business Consulting, réalisé avant le meeting de Marseille mais après sa déclaration de candidature sur TF1 et celui d’Annecy. Face à lui, François Hollande continue de caracoler à plus de 30% et les seconds tours demeurent dans la zone des 58%. Depuis quelques semaines, le chef de l’Etat a remobilisé et solidifié son socle UMP mais il peine à élargir.

A ce jour, tous les indicateurs restent donc relativement stables et faibles pour le Président, comme si l’équation maintes fois rappelée ici-même ne variait pas : une crise du résultat et un bilan qui jouent toujours à son détriment ; une impopularité qui demeure à un niveau record (60% de jugements défavorables dans le dernier baromètre Ipsos Le point) ; une insincérité toujours massivement perçue (68% estiment qu’il n’est pas sincère), doublée d’une hostilité personnelle forte (68% également qu’il n’est pas sympathique) ; un manque de proximité évident (25% seulement estiment qu’il est capable de comprendre les problèmes des gens comme vous, 75% qu’il ne l’est pas) ; enfin, une difficulté absolue à convaincre qu’il pourrait améliorer la situation du pays s’il était réélu : 48% des Français estiment même que dans cette hypothèse, la situation de la France se détériorerait, 20% seulement qu’elle s’améliorerait et 32% qu’elle ne changerait pas. Sans être mirobolants, ces chiffres sont cependant de 36% de Français qui pensent qu’en cas d’élection de François Hollande, la situation se détériorerait, 34% qu’elle s’améliorerait et 30% qu’elle ne changerait pas.

En termes de crédibilité comparée, le chef de l’Etat continue de l’emporter massivement sur les dimensions les plus régaliennes (insécurité, immigration, capacité à faire face à une crise grave, capacité à mieux faire fonctionner l’Europe) mais il est tout aussi massivement écrasé par François Hollande sur les dimensions économiques et sociales (chômage, pouvoir d’achat, retraite, santé, éducation, inégalités sociales, etc.), lesquelles restent clairement les plus importantes pour les Français.

La sociologie du vote Sarkozy porte la marque de cette situation d’opinion : au second tour, les moins de 60 ans sont 63% à indiquer un vote en faveur de François Hollande et Nicolas Sarkozy ne l’emporte que chez les plus de 60 ans - et à 52% seulement, grâce notamment aux plus de 70 ans. La coupure avec les milieux populaires reste également massive : les ouvriers vont au 1er tour prioritairement vers Marine Le Pen et François Hollande (31% et 28%) et très faiblement vers le Président : 13%. Au second tour, ils sont prêts de 60% à désigner le candidat socialiste. Les cadres supérieurs sont plus nombreux encore à le faire: 68%. Enfin, Nicolas Sarkozy ne récupère au 1er tour que 65% environ de ses électeurs de 2007, ce qui porte bien la marque d’une certaine déception, voire d’une rancœur chez certains.

Dans un contexte aussi difficile, que peut faire le Président ? Il était en 2007 le candidat de la rupture, du peuple et de l’ouverture. Aucun des éléments de ce triptyque n’existe à nouveau en 2012.

Tout d’abord et en tant que sortant, il lui est impossible d’apparaître comme le candidat de la rupture. Reste donc la question du peuple. Estimant que la société française s’est « droitisée » - ce qui est selon nous inexact – et prenant acte de son image de Président « d’en haut » et « des puissants », Nicolas Sarkozy tente donc de redevenir le candidat du peuple par d’autres moyens que ceux mis en œuvre en 2007, notamment un recours accru au référendum et une réactivation extrêmement volontaire des valeurs telles que le travail, le mérite et la responsabilité - systématiquement opposées à l’assistanat. Or, le bonapartisme teinté de césarisme a toujours su accompagner l’autorité de la question sociale et c’est se tromper sur ce qu’est et vit le peuple que de s’imaginer qu’on peut ainsi le reconquérir en en faisant fi : en 2006/2007, le respect de l’autorité s’accompagnait ainsi d’un « travailler plus pour gagner plus » ; en 2012, le pouvoir d’achat reste la première préoccupation personnelle des Français …mais le Président candidat propose une augmentation de la TVA. L’équation peut difficilement fonctionner.

Enfin, l’ouverture à gauche de 2007 était le point ultime d’une question centrale : la capacité à incarner la mystique du rassemblement, à être ce « fils de sang mêlé » porteur de la France de tous et pour tous. Une France qui englobait donc les Cathédrales et la République ; une France capable, apparemment, de lier Jaurès, Blum, Péguy et Barrès en un même mouvement. Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy est perçu comme celui qui clive. Or, il y a une différence radicale entre se différencier de la gauche au niveau des valeurs et des concepts et cliver entre les personnes. Dans le 1er cas, cela est aux yeux des Français légitime et souhaitable, surtout si l’on sait parallèlement subsumer ces différences dans une histoire nationale globale ; dans le second, opposer des catégories de personnes à d’autres est mal perçu, et cela plus encore quand on est Président de la République. La difficulté pour Nicolas Sarkozy est donc de donner le sentiment moins de cliver des valeurs que d’opposer des Français à d’autres Français. On est en tous cas loin de la synthèse de 2007.

Sur ce triple registre de la rupture, du peuple et du rassemblement, les marges de reconquête semblent donc difficiles et limitées pour Nicolas Sarkozy, même s’il peut sans doute affaiblir le FN à défaut de le réduire.

Il ne reste donc que la piste de l’inversion du référendum anti-Sarkozy en cherchant à construire… un référendum anti-Hollande ! Cela suppose un procès en incompétence et en faiblesse tant sur le fond que sur l’homme d’une grande violence pour espérer faire bouger et craquer les lignes. Nicolas Sarkozy a pour lui un avantage indéniable en termes de stature présidentielle et de capacité à prendre des décisions difficiles. Mais le risque est, sur une telle ligne, d’apparaître comme extrêmement brutal, ce qui lui est déjà reproché, et de donner le sentiment qu’il joue son va tout sur l’homme plutôt que les actions passées et les propositions pour l’avenir.

Les prochaines semaines permettront de dire si une telle stratégie, qui fut celle de Georges Bush dans la conquête réussie de son second mandat, peut réussir en France.

Auteur(s)

  • Brice Teinturier, Directeur Général Délégué France, Ipsos
    Brice Teinturier
    Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)

Articles liés

  • Ipsos | Sun'Agri | Agrivoltaïsme
    Energie Evènements

    Événement 24/02 | Ipsos et Sun'Agri au Salon de l'Agriculture 2025

    A l'occasion du Salon de l'Agriculture, Ipsos et Sun'Agri présenteront les résultats du Baromètre Agrivoltaïsme 2025.
  • Ipsos partenaire du Forum du Commerce Durable
    Société Evènements

    ÉVÉNEMENT - 21/01 | Ipsos partenaire du 1er Forum du Commerce Durable 2025

    Le mardi 21 janvier, le Palais de la Bourse à Lyon accueillera la première édition du Forum du Commerce Durable. Cet événement rassemblera 250 marques et plus de 50 experts du commerce durable. Ipsos, partenaire de l'événement, tiendra à cette occasion une conférence sur l'accompagnement stratégique en matière de développement RSE et business.
  • Ipsos Médias en Seine
    Société Evènements

    ÉVÉNEMENT - 14/01 | Ipsos partenaire de Médias en Seine 2025

    Ipsos participe à la 7ème édition de Médias en Seine qui se tiendra le 14 janvier à la Maison de la Radio et dans les locaux des Echos-Le Parisien. Cet événement rassemble experts, journalistes et spécialistes des médias pour débattre autour des enjeux du secteur. Cette année, le thème "Médias : l'ère des défis" interroge ses acteurs sur le rôle qu'ils jouent dans les dynamiques démocratiques, économiques et technologiques.