[SMALL TALKS] Le digital et l'empreinte imaginaire
Vous vous présentez comme « sociologue de l'imaginaire ». Qu'entendez-vous par là ?
Michaël V. Dandrieux : Les sociétés occidentales ont eu grosso modo deux façons de répondre au mystère. Soit en le sacralisant, en produisant une religion. Soit en tentant de l'expliquer, en faisant une science. La sociologie de l'imaginaire essaie quant à elle de comprendre la part irrationnelle qui parfois surgit dans des moments de la vie quotidienne.
À l'ère de la digitalisation, les modèles, qu'il s'agisse de référents symboliques et imaginaires, ont-ils ou sont-il en train d'évoluer ?
M.D. : Si nous nous référons à l'histoire des 70 dernières années, il est bien sûr possible d'identifier différents nouveaux modèles. Sur une période un peu plus longue, l'histoire des 200, 300 ou 450 dernières années, nous constatons néanmoins qu'il y a des régularités, des grands mouvements sociaux qui se reproduisent à un moment donné. C'est ce que l'on appelle l'actualisation d'une constante anthropologique. Autrement-dit, il y un comportement qui a toujours été là, qui a toujours donné lieu à du phénomène social, et qui à un moment donné, en raison de conditions de l'air du temps, change de forme tout simplement. Ce que fait le digital. Il transforme au sens où il donne une nouvelle forme à des comportements qui sont là d'antique mémoire et que nous connaissons bien.
" Nous assistons à une transformation de la construction de l'identité "
Les fameux « réseaux sociaux », ce n'est donc pas si inédit que cela ?
M.D. : Non à ceci près, et c'est ce qui est passionnant, que nous voyons ce paradoxe de notre époque, qui d'un côté meurt d'envie de voir fleurir du neuf partout, et qui de l'autre utilise énormément de mots empruntés au vieux langage. On parle de village, de tribus, de communautés... Tous ces mots qui font penser aux organisations sociales primitives ! Nous assistons en fait à une transformation de la construction de l'identité. Cette identité qui pendant longtemps a été isolée, se remet en réseaux. De nombreuses sociétés, notamment matriarcales, reposent sur le modèle du réseau social avec lesquels nous avions peu ou prou perdu le contact, auxquelles nous avons substitué le modèle de la civilisation et de l'institution.
Comment le digital transforme-t-il l'imaginaire social ? L'assèche-t-il ou au contraire le nourrit-il ?
M.D. : C'est un peu tout ça à la fois. On voit le pire et le meilleur. Dans le digital, il y a cet idée fondamentale de relation, de mise en contact. Pas forcément avec les autres mais avec soi-même. Ce sont des translations plus métaphoriques que mécaniques. Le digital participe de cela, étrangement. C'est aussi lui qui a ramené cette sensibilité à la magie qui est partout autour de nous. Où la magie n'est plus seulement l'œuvre de la folie mais aussi une manière de vivre le quotidien d'une façon plus paisible. Je pense que s'il y a une possibilité que le digital transforme aujourd'hui les phénomènes sociaux, ce serait par leur ré-enchantement du quotidien !
" L'irrationnel est partout "
Quel est le pont avec les marques ?
M.D. : La marque n'est qu'un imaginaire. On peut acheter très cher une paire de chaussures qui rationnellement ne vaut pas ce prix. Ce que l'on va acquérir c'est une participation à l'époque. Et pour pouvoir être dans son époque, pour avoir envie d'y participer, il faut sentir que c'est la chose dont on veut être. Cette volonté, cette pulsion « d'en être », ce n'est rien d'autre que de l'imaginaire, le sentiment de faire partie d'un ensemble d'images qui nous englobent, nous ressemblent, dans lequel nous sommes bien. Je peux vous dire, qu'il y a 15 ans nos clients étaient des gens du luxe qui savaient qu'ils étaient sur un marché irrationnel. Aujourd'hui, viennent frapper à notre porte des banquiers, des assureurs, des marques de grande consommation qui savent que l'irrationnel est partout.
Comment avez-vous vécu cette expérience des Small Talks, c’est-à-dire de converser pendant une bonne heure avec un cercle de clients et de qualitativistes à l’espace OH31 ?
M.D. : Une belle expérience, pour moi, c’est vraiment le triomphe de la curiosité.