Une autre campagne commencera au soir du premier tour
Le point de vue de Pierre Giacometti, directeur général d'Ipsos, sur la dernière enquête d'intentions de vote Ipos/Vizzavi – Le Point- France 2 – Europe 1. Pierre Giacometti insiste notamment sur la fragilité des intentions de vote second tour, qui reflètent de réelles tendances, mais ne doivent surtout pas être considérées comme un prédiction du résultat final (interview parue dans le numéro du 15 mars de l'hebdomadaire Le Point).
A quarante jours du 1er tour, la tendance du second tour devient pour la première fois favorable au Premier Ministre. Est-ce significatif ?
Oui, et c'est incontestable. Cette première séquence, celle qui correspond à l'entrée en campagne de Chirac et Jospin, a été mieux négociée par le Premier ministre. Le Président a perdu rapidement le capital précaire de sortant, il est apparu plus effacé et moins présent politiquement que son rival. Jusqu'à la fin de la semaine dernière, tout au moins, la propension au doute est très présente au cœur de l'électorat de droite. Au sein de l’électorat de gauche dans son ensemble, le doute sur Jospin est plus faible et sa crédibilité est momentanément intacte. Conséquence, la dynamique favorable à Jospin s'installe sur tous les fronts : le souhait, le pronostic, la détermination du choix et le jugement sur la campagne. Au-delà de l'étroitesse des écarts qui doit rendre prudent, cette nouvelle situation modifie le statut de la candidature Jospin et peut devenir à terme pour lui, un risque : les Français ne goûtent guère à l'évidence des pronostics.
La campagne est-elle lancée pour les Français ?
L’attention reste faible, les réflexes de scepticisme prédominent . La dramatisation du premier tour est quasiment inexistante, alors qu’il y a sept ou quatorze ans on s’interrogeait sur le nom de "la victime" du premier tour. La mobilisation ne progresse pas. Le niveau d'indécision reste stable depuis dix jours et il est clair qu'en cas de forte abstention au premier tour, le réservoir de mobilisation électorale pour le second tour rendra encore un peu plus aléatoire l'issue du scrutin. L'ordre d'arrivée controversé après Chirac et Jospin en est une illustration : la contradiction entre les sondages concernant l’ordre Chevènement, Le Pen, Laguiller est également très significative de le faiblesse de la structuration des choix.
Quant aux intentions de vote pour Chirac et Jospin au 1er tour, elles sont quasiment identiques à ceux mesurés avant leur déclaration de candidature. Chirac et Jospin continuent à mobiliser très imparfaitement leur propre électorat au premier tour. Leur capacité à progresser avant le premier tour est donc réelle : c’est la clef des semaines qui viennent. L’absence de dynamique de premier tour me paraît aujourd’hui beaucoup plus parlante que le rapport de force encore très virtuel des intentions de vote de second tour.
Peut-on parler sérieusement du second tour ?
La tendance favorable à Jospin est réelle mais la capacité prédictive du 51/49 d’aujourd’hui est terriblement fragile comme l’était l’avance de Jacques Chirac il y tout juste trois semaines. Les clefs de l’évolution du second tour sont d’abord sociologiques. Jospin a par exemple fortement progressé chez les jeunes générations, mais Chirac continue à disposer d’un réel avantage dans l’électorat féminin et n’apparaît pas distancé dans les milieux populaires. Enfin, n’oublions pas l’enseignement majeur des dernières élections municipales : les enquêtes d’intentions de vote étaient souvent particulièrement prédictives du résultat du 1er tour, mais souvent incapables de cerner correctement avant le premier tour les dynamiques construites à partir de ses résultats. Je suis convaincu qu’une autre campagne électorale commencera au soir du 21 avril. On constatera alors que jamais l’enjeu du rassemblement de second tour n’aura eu autant d’importance au regard de la probable dispersion des voix enregistrée ce jour là. Dans l’hypothèse où les suivants immédiats de Chirac et Jospin s’appellent Chevènement, Le Pen et Laguiller, et quel que soit leur ordre d'arrivée, la discipline au second tourde ces électeurs-là n’est pas garantie aujourd’hui. C’est le moins qu’on puisse dire …