Une campagne en quête d'une dynamique positive
Le potentiel d'abstention a progressé de six points depuis la mi-janvier. Plus significative encore, la hausse de la tentation abstentionniste frappe certaines catégories décisives dans la construction des futurs équilibres politiques. Ainsi, l'abstention atteint son plus haut niveau chez les électeurs de moins de 25 ans et gagne, depuis le début de l'année, quinze points parmi les ouvriers.
En termes d'évolution des rapports de force, les tendances du Baromètre Ipsos se construisent plus par pulsion ou par défaut. Le phénomène de polarisation, mesuré « à chaud » au lendemain de la déclaration du chef de l'Etat, se confirme partiellement. Jacques Chirac est parvenu à mieux occuper l'espace à droite après l'impression de vide illustrée par les évolutions négatives des enquêtes d'opinion du mois de janvier.
Le chef de l'État a passé le cap, mais la clarification du 11 février n'offre pas une garantie suffisante. Ce qui compte est à venir, au moment où il lui faudra effacer de la mémoire des Français les zones d'ombre du septennat en convainquant sur une détermination politique nouvelle. Dans cette phase de transition, il y a finalement pour le président et le premier ministre plus à perdre qu'à gagner.
Les Français s'attendent depuis cinq ans au « remake » de 1995. Pour les deux acteurs, tout effet de dramatisation artificielle s'oppose donc à la pression de l'évidence. Dans ce contexte, une déclaration de candidature réussie ne peut pas être décisive : elle a pour objectif d'installer le candidat au coeur du jeu, en provoquant momentanément une meilleure mobilisation de son camp. A l'inverse, l'échec de la déclaration peut constituer un révélateur décisif, le début de « quelque chose », qui agit comme un symptôme de rupture ou d'incompréhension de candidat par rapport à l'exigence de l'élection et à l'attente du peuple : c'est « le modèle Balladur ».
Éviter « le couac » sera donc l'objectif premier de cette étape pour Lionel Jospin dans les jours qui viennent. Car le chef du gouvernement semble être touché, comme son rival en janvier, des mêmes effets de démobilisation pré-électorale.
Observée en huit jours, la forte baisse d'intentions de vote constatée au premier tour est particulièrement nette au sein des classes populaires alors que sa capacité de rassemblement auprès des sympathisants des formations de la gauche plurielle ne décolle pas des 40 %. A titre de comparaison, elle atteint près de 55 % à droite pour Jacques Chirac.
A gauche, la dispersion des choix potentiels du premier tour renvoie à des concurrences idéologiques aujourd'hui beaucoup plus vivaces qu'à droite : en témoignent l'opposition idéologique entre Jean-Pierre Chevènement et Noël Mamère ou la rivalité entre Arlette Laguiller et Robert Hue sur le terrain de la revendication sociale. Dans cette élection, si la droite doit faire face au poids de rivalités personnelles historiques, la gauche de gouvernement cherche, elle, une nouvelle identité commune.
Au-delà de ces équilibres internes, Lionel Jospin devra, comme Jacques Chirac, supporter le réflexe de scepticisme des Français à l'égard du pouvoir politique qu'il incarne depuis cinq ans. A deux mois du premier tour, le niveau d'intentions de vote cumulé Chirac-Jospin retrouve à nouveau un niveau plancher (45 %).
Le total des intentions de vote recueillies par les candidats soutenus par les sept grandes formations de gouvernement (PS-PC-Verts-UDF-RPR-DL) a baissé de huit points depuis septembre (de 70 % à 62 %). Dans la même période, l'agrégation de l'extrême gauche et de l'extrême droite (Laguiller-Besancenot-Mégret-Le Pen) se hisse de 13 % à 19 % et atteint, lui aussi, son niveau record. Menacés par « un vote de contre-pouvoir », Jacques Chirac et Lionel Jospin se voient placés devant l'obligation de réussir une très bonne campagne de premier tour. L'enquête Ipsos confirme qu'il leur faut d'abord proposer une nouvelle construction de l'avenir et non pas tenter de s'appuyer sur le passé de la période 1995-2002.
Au moment de faire leur choix, les Français, en majorité, ne veulent pas en effet privilégier le septennat de Jacques Chirac et les cinq ans d'action de Lionel Jospin à Matignon. Et lorsqu'ils sont tentés de le faire, c'est plus fréquemment un facteur de critiques. Les solutions pour garantir un avenir meilleur et les réponses concrètes à leurs inquiétudes constitueront les motivations très consuméristes des électeurs.
Au coeur de ces préoccupations, la quête d'autorité et l'angoisse face à la progression de la violence continuent à dominer. C'est bien la première attente de changement, notamment parmi les catégories sociales les plus défavorisées. De ce point de vue, l'enjeu de l'insécurité continue toujours un sérieux avantage au président sortant.
La thématique de l'ordre et de l'autorité est bien l'enjeu prioritaire décliné massivement par l'électorat de droite alors qu'à gauche, on ne cerne pas aujourd'hui une détermination symétrique de même intensité sur une thématique alternative. Ce décalage apparaît aujourd'hui comme le premier facteur explicatif de l'avance encore précaire de Jacques Chirac au second tour.
Questionné chacun sur ses faiblesses, Chirac et Jospin ne suscitent pour l'instant que peu de détermination positive. Une majorité de leurs soutiens potentiels de second tour avoue que leur vote s'explique pour l'instant d'abord par le rejet de l'adversaire. Ce qui rend l'équilibre entre les deux candidats encore aléatoire.
Le droit à l'erreur devient, de fait, limité. Chirac et Jospin sont aujourd'hui deux candidats dominants et favoris, mais leurs positions restent fragiles. Ni la valorisation des handicaps d'image de leur rival ni la revendication de leurs atouts personnels, supposés exclusifs, ne suffiront. Les Français attendent toujours de se voir proposer une dynamique positive.