Une majorité d’Européens considère que l’Europe est une chance pour leur patrimoine
On prête à Jean Monnet d’avoir dit que s’il devait recommencer l’aventure européenne, il commencerait par la culture. Les résultats de l’enquête réalisée par Ipsos et le Ministère de la Culture et de la Communication abondent dans le sens de la pensée du bâtisseur de la Communauté Européenne. Si l’Europe politique, économique et sociale font aujourd’hui encore l’objet de fortes dissensions au sein de l’UE, en revanche, l’Europe Culturelle semble être aujourd’hui une réalité véritablement ressentie par une bonne part des citoyens de l’Union Européenne qui ont été interrogés.
Les européens perçoivent leur patrimoine national très différemment d’un pays à l’autre…
Lorsqu’on demande aux citoyens européens de donner les principaux éléments qui constituent ce qu’ils estiment être le patrimoine de leur propre pays, force est de constater, dans un premier temps, qu’il existe aujourd’hui de très fortes différences d’un pays à l’autre. Les Français sont ceux qui affirment le plus que l’architecture et les monuments historiques 63%) en sont l’un des principaux éléments, loin devant l’histoire, les traditions et les modes de vie (48%) ou encore la littérature (19%). Première destination touristique mondiale, les Français renvoient là l’image d’un pays riche en monuments et que l’on « visite ». Résultat, la musique n’arrive que loin derrière (13%), tout comme la peinture (8%). Autre spécificité culturelle que nos concitoyens aiment à souligner, le cinéma est beaucoup plus cité (12%) que dans tous les autres pays. Les Français n’oublient pas non plus la place de la philosophie et des grands courants d’idée au sein de leur patrimoine (14%), qu’ils évoquent aussi plus fréquemment que tous les autres européens.
De leur côté les Allemands ont aujourd’hui une perception beaucoup plus diversifiée de leur patrimoine. Ils ne citent pas aussi massivement que leurs voisins d’outre Rhin l’architecture et les monuments historiques (38%) mais mettent beaucoup plus fréquemment en avant l’histoire, les traditions et les modes de vie (52%), la littérature (27%), la musique (22%) et dans une moindre mesure la philosophie et les grands courants d’idée (10%). Les hongrois aussi dressent le portrait d’un patrimoine très diversifié : ils citent majoritairement l’architecture (51%) mais insistent aussi sur l’importance de leur histoire, de leurs traditions et de leurs modes de vie (43%), tout comme de la littérature (25%), de la musique (28%), de la peinture (19%) ou encore de l’archéologie (9%).
De leur côté, si les italiens soulignent aussi en premier l’importance de l’architecture et les monuments historiques (38%) au sein de leur patrimoine et en second leur mode de vie (24%), c’est de façon beaucoup plus modérée comparativement aux Français, aux Allemands et aux Hongrois. L’Italie insiste en revanche plus que les autres sur la peinture (16%), l’archéologie (16%) et le cinéma (10%).
Les Finlandais sont très certainement les européens qui, parmi tous ceux qu’Ipsos a interrogé, expriment aujourd’hui la perception la plus différenciée (quoique relativement proche de celle des Allemands). Ils mettent d’abord en exergue leur histoire, leurs traditions et leurs modes de vie (42%), mais très loin devant l’architecture et les monuments historiques (28%). La littérature occupe une place de choix (26%), juste devant la musique (23%).
…et sont aussi très partagés sur la définition même du patrimoine européen
Si les citoyens européens ont aujourd’hui des perceptions très différentes des éléments constitutifs de leur patrimoine national, ils se montrent aussi très partagés sur la définition même de ce qu’est le patrimoine européen. Une courte majorité considère d’abord le patrimoine culturel européen comme l’addition des patrimoines nationaux des pays (49%). Mais cette moyenne masque des différences nettes entre les pays. D’un côté, deux pays jugent majoritairement que le patrimoine culturel européen, c’est d’abord l’addition de cultures différentes, plaidant sans doute par là pour une exception culturelle. Parmi eux, les Français le pensent tout particulièrement (58%), et les Allemands (54%). Peut-être le sentiment de leur propre spécificité culturelle est-il plus développé dans ces deux pays. Ils sont aussi les plus importants de l’ensemble des pays interrogés (démographiquement parlant).
A l’inverse, 45% déclarent que le patrimoine culturel européen est plutôt un patrimoine véritablement commun que partagent la plupart des habitants de l’Union Européenne. Cette opinion est majoritaire en Italie (48%), en Hongrie (47%), et en Finlande (50%).
Les Européens ont beau être très partagés sur leur perception de ce qu’est le patrimoine européen, il n’en reste pas moins vrai qu’ils considèrent majoritairement leur patrimoine national comme intégré, au moins pour une part, au sein du patrimoine culturel européen. Globalement, plus de huit Européens sur dix ont aujourd’hui le sentiment que leur patrimoine culturel fait aujourd’hui partie du patrimoine européen (83%), tandis que seulement 15% soutiennent l’opinion inverse. Toutefois, il convient aussi de relativiser la force de ce sentiment puisque la majorité des citoyens interrogés affirment que si leur patrimoine est un élément constitutif du patrimoine européen, ce n’est encore qu’en partie seulement (55%). Reste qu’aujourd’hui déjà, 28% des citoyens interrogés affichent une vision plus globalisante de la situation en considérant que cette intégration au patrimoine européen a été complète. Le chiffre est fort.
On note là encore certaines différences entre les différents pays européens au sein desquels l’enquête a été menée. L’Italie, traditionnellement l’un des pays les plus europhiles de l’Union Européenne, est aujourd’hui le plus optimiste sur le sujet. 85% des personnes interrogées estiment que leur patrimoine fait aujourd’hui partie du patrimoine européen et, parmi eux, près d’un Italien sur deux considère même que cette intégration est complète (52%). Nul doute que leurs réponses sont aussi légitimées par le sentiment que la civilisation romaine a rayonné sur le territoire européen. La France et l’Allemagne se positionnent en léger décalage sur le sujet puisque respectivement 86% et 89% des Français et des Allemands considèrent aujourd’hui que l’incorporation de leur patrimoine est un fait avéré. Toutefois, seuls 30% des Français et 33% des Allemands estiment que cette dernière est complète.
Enfin, logiquement la Finlande et surtout la Hongrie ont beau massivement considérer que l’intégration a eu lieu, la grande majorité d’entre eux estiment que cette dernière n’est que partielle. Les Hongrois sont aujourd’hui ceux qui se montrent les plus dubitatifs sur le sujet.
L’enquête montre que ces derniers, nouveaux entrants au sein de l’Union Européenne, sont très certainement ceux qui ont besoin d’être le plus rassurés sur la place de leur patrimoine en Europe et sur les risques que leur intégration fait peser sur lui.
L’architecture, un domaine exemplaire pour lequel les européens reconnaissent l’existence d’un véritable patrimoine commun
Ipsos et le Ministère de la Culture et de la Communication ont souhaité savoir si dans le domaine spécifique de l’architecture, les européens interrogés avaient le sentiment qu’il existait un patrimoine culturel commun. Les résultats montrent que même si bon nombre des habitants des pays de l’Union Européenne estiment qu’il est d’abord constitué par l’addition des patrimoines nationaux des pays européens, nombreux sont ceux qui considèrent aussi qu’il existe un patrimoine commun dans le domaine de l’architecture. Ainsi la majorité considère aujourd’hui que les constructions suivantes font partie d’un patrimoine commun : les églises et les édifices religieux (62%), les musées (62%), les palais, les châteaux et les places fortes (55%), les bâtiments contemporains (55%) et dans une moindre mesure les sites industriels (49%). Seuls les maisons d’habitation et les immeubles, expressions les plus fortes de la spécificité nationale, sont logiquement citées vraiment minoritairement (seulement 45%) ; On note surtout que tous les pays semblent partager cette conception, sauf un : la Hongrie.
Le patrimoine culturel européen, un moteur pour le sentiment d’appartenance à l’UE
C’est l’un des autres grands enseignements de l’enquête. Au sein des pays interrogés, une majorité de citoyens a aujourd’hui le sentiment que le fait de disposer d’un patrimoine culturel européen pourrait renforcer le sentiment d’appartenance à l’Europe (60%). Mieux, près de trois Européens sur dix considèrent que c’est certainement le cas (26%).
Dans le détail, les Italiens se montrent encore une fois les plus europhiles puisque 85% d’entre eux sont persuadés de l’impact de ce patrimoine culturel commun sur le sentiment d’appartenance. 54% d’entre eux en sont même totalement persuadés. Les Français et les Allemands sont aussi majoritairement convaincus des conséquences positives de l’existence de ce patrimoine sur l’intégration (respectivement 76% et 66%), même s’ils se montrent plus modérés que les Italiens. Les Finlandais sont aussi majoritairement persuadés de ce fait (65%). Si ce sentiment est aussi fort, c’est très certainement aussi parce que les racines culturelles de l’Europe sont plus anciennes que le projet institutionnel et politique qui ne date que de l’après-guerre.
L’Europe, une chance pour la sauvegarde des patrimoines nationaux
L’Europe est ici d’autant plus plébiscitée que la majorité des Européens interrogés ont le sentiment qu’elle ne représente pas pour le patrimoine de leur pays un risque de perte d’identité propre (63%). Mieux, la plupart des citoyens européens interrogés considèrent que l’Europe peut permettre au patrimoine de leur pays de bénéficier de plus d’aide et de sauvegarde (58%). Ces chiffres méritent d’être soulignés car ils sont l’expression du sentiment d’une majorité de citoyens. Habituellement, l’Europe et la construction européenne sont le plus souvent perçues comme des dangers pour les particularismes nationaux (par exemple dans le domaine de l’économie, du social, des services mais aussi de l’alimentation). En ce qui concerne la culture, ce n’est pas aujourd’hui le cas. Sans mauvais jeu de mot, on peut parler ici d’une certaine « exception culturelle ». Ce sentiment est partagé par la majorité au sein de la quasi-totalité des pays interrogés : l’Italie (78%), la Finlande (68%), la France (64%) et l’Allemagne (62%).
Reste que le niveau de scepticisme de certains des pays interrogés est toutefois là encore plutôt inquiétant et tend à prouver que la culture est aussi un aspect de l’Europe qu’il convient d’aider et de développer si l’on veut que le sentiment européen se renforce. A titre d’exemple, l’enquête montre que les Hongrois se montrent majoritairement inquiets sur le risque de perte d’identité propre que représente l’Europe pour leur patrimoine (59%). Par ailleurs, ils sont aussi logiquement très dubitatifs sur le fait que l’Europe permette à ce patrimoine de bénéficier d’aide pour sa sauvegarde, sa reconnaissance et sa mise en valeur (seulement 15%). la capacité du patrimoine européen à agir positivement sur le sentiment d’appartenance des Européens fait aussi l’objet de très forts doutes (seulement 11% soutiennent cette idée).
Les patrimoines culturels européens des autres intéressent de plus en plus les citoyens européens
Pour finir, l’enquête vient souligner encore une fois l’impact de la culture sur le sentiment d’appartenance à l’Europe. Aujourd’hui, la majorité relative des citoyens européens affirme avoir le sentiment de s’intéresser plus qu’avant aux patrimoines culturels des autres pays européens (44% contre 39% qui ne s’y intéressent ni plus, ni moins et 15%, moins). Dans le détail, les Allemands sont les plus nombreux à éprouver ce plus fort intérêt (52%), devant les italiens (48%), les Finlandais (46%) et les Français (43%).
Seuls les Hongrois se montrent encore une fois en retrait puisque seulement 29% disent éprouver une plus forte curiosité pour le patrimoine culturel de leurs voisins européens.
Sans doute existe-t-il donc un lien entre date d’adhésion et sentiment d’appartenance à une communauté culturelle européenne. Peut-être le fait que Florence, Berlin, Paris, Avignon, Bologne et Helsinki aient été déclarées capitales ou villes européennes de la culture, a-t-il contribué à l’émergence d’une conscience dans ce domaine en France, en Italie, en Allemagne et en Finlande. Il est prévu que Budapest le devienne au cours des prochaines années, ce qui contribuera sans doute à montrer aux Hongrois ce que l’Union Européenne peut leur apporter dans ce domaine.