Violences et incivilités dans la publicité: ce qui choque les Français
Il ne se passe quasiment plus une semaine sans que ne soient évoqués des images ou des propos médiatisés et perçus comme « choquants » par nos concitoyens. Le débat n’est pas nouveau et il est sans cesse réactivé par l’actualité. Des images du tsunami à celles des banlieues qui brûlent, de l’affiche du film Amen à celle de Rainbow Attitude Expo, des émissions de télé-réalité et leurs « dérapages » aux inondations de La Nouvelle-Orléans, les mêmes question se posent : Qu’a t-on le droit de dire et de montrer ? Où doivent s’arrêter les libertés d’expression et de création ? Quelles sont les règles et les conditions qui doivent être respectées ? Quelles conséquences ont les images et les propos sur la psyché du grand public et notamment des populations présentées comme plus « fragiles » ?
Le débat rebondit encore et toujours et génère aujourd’hui de réels moments d’introspection de la part des médias, des pouvoirs publics et du grand public. L’enquête réalisée par IPSOS et le BVP auprès de nos concitoyens avait pour objectif de connaître et de comprendre leurs perceptions et leurs attentes dans le domaine de la publicité, et plus spécifiquement en ce qui concerne les incivilités et la violence.
Les résultats de l’étude montrent d’abord que quoi qu’on en pense, nos concitoyens avouent majoritairement aujourd’hui être « souvent » choqués par ce qu’ils voient ou entendent au sein de certains des plus grands vecteurs médiatiques actuels. Toutefois, la publicité n’apparaît pas (ou plus) comme l’un des supports qui les choque le plus souvent. Il n’en reste pas moins vrai que les résultats de l’enquête montrent aussi que nos concitoyens restent extrêmement attentifs à ce que la publicité peut et ne peut pas montrer ou dire. Plus spécifiquement, il apparaît aujourd’hui clairement que leur sensibilité est telle que, pour la majorité, les comportements inciviques ou violents ne peuvent être « utilisés » par la publicité qu’en respectant impérativement certaines règles dans leur présentation.
Les Français ressentent majoritairement un fort sentiment d’exposition à des propos ou des images choquants dans leur vie quotidienne : un phénomène au sein duquel la publicité n’a pas aujourd’hui un très fort impact.
Lorsque l’on demande à nos concitoyens s’il leur arrive d’être choqués par ce que disent ou montrent certains des principaux vecteurs médiatiques actuels, près de 6 Français sur 10 répondent qu’il leur arrive souvent de l’être par un ou plusieurs d’entre eux. Quelles que soient les interprétations et les explications que l’on en donne, le chiffre apparaît comme élevé. De fait, les termes utilisés sont forts (on leur demandait s’il leur arrivait d’être « choqués ») et les niveaux de réponses sont importants (59% disent l’être « souvent »).
Pour autant, au sein de l’ensemble des supports soumis à leur jugement, on note que la publicité n’est pas aujourd’hui perçue comme l’un de ceux qui les choquent le plus souvent, loin s’en faut. Elle arrive derrière les émissions de télé-réalité (dont 39% des Français affirment qu’elles les choquent « souvent ») et les reportages d’informations (22% de « souvent »).
Aujourd’hui, 17% des Français affirment être souvent choqués par ce que montre ou dit la publicité. En cela, elle se positionne à un niveau presque identique à celui des émissions de divertissement (16%), des films ou des séries diffusés (16%) ou encore des couvertures de journaux ou de magazines (15%). Seules les affiches de cinéma se détachent fortement de ces derniers (seulement 5% des Français se disent fréquemment choqués par ces dernières).
Il n’est pas évident d’interpréter ces chiffres et de montrer les évolutions qui ont eu lieu sans avoir de points de repères. Toutefois, il est probable que depuis un certain nombre d’années, la publicité s’est fortement assagie et qu’elle a beaucoup moins tendance à susciter la réaction, la polémique ou le scandale. Dans le même temps, de nouveaux supports ont vu le jour (comme les émissions de télé-réalité) qui ont et continuent de mettre mal à l’aise une proportion importante de Français. De la même façon, le débat sur la violence à la télévision et ses répercutions sur ses différents publics est devenu de plus en plus prégnant. Au même moment, on a aussi connu un fort développement de la presse people, avec des unes souvent très « accrocheuses » (utilisant fréquemment la nudité et des images ou des propos à forte connotation sexuelle).
Ces évolutions participent très certainement pour une part importante au fait que la publicité est aujourd’hui perçue comme certainement moins choquante qu’avant et à des niveaux équivalents des unes des journaux et des magazines ou des films diffusés à la télévision. Les enquêtes réalisées sur le sujet montrent d’ailleurs pour la plupart que le débat concernant ce vecteur a aussi fortement tendance à évoluer et à concerner désormais « sa masse ». Les attaques réalisées contre la publicité concernent de plus en plus le fait qu’il y en a trop. Les débats actuels sur le nombre de coupures publicitaires ou encore sur le publipostage n’en sont que quelques illustrations. Son omniprésence, réelle ou supposée est aujourd’hui largement ressentie. Une enquête réalisée par Ipsos et Australie en décembre 2004 avait montré que les Français estiment très majoritairement qu’elle était aujourd’hui envahissante (73%) et que son volume a augmenté (97%), voire largement augmenté (64%).
Il est aussi assez intéressant de noter que certaines catégories de la population se montrent traditionnellement beaucoup plus choquées que les autres sur ce qu’elles entendent ou voient sur l’ensemble de ces vecteurs médiatiques. Ce sont notamment les femmes (63% d’entre elles affirment être souvent choquées contre 55% pour les hommes) et les personnes les plus âgées (62% des plus de 35 ans contre 54% des moins de 35 ans).
En ce qui concerne la publicité, elle est l’un des supports qui choque le moins souvent les plus jeunes (seulement 9% des moins de 35 ans disent l’être par ce qu’elle montre ou dit) avec les affiches de cinéma. Ils sont en revanche plus critiques vis-à-vis des émissions de télé-réalité (36% de souvent choqués), des reportages d’information (25%), des émissions de divertissement (14%), des couvertures de journaux ou de magazine (14%) ou encore des films diffusés à la télévision (13%).
Lorsque la publicité choque aujourd’hui, c’est plus souvent par l’utilisation de certaines situations violentes, misogynes ou inciviques que par celle de la sexualité, de la nudité ou de la religion.
Si la publicité choque relativement peu les Français dans l’ensemble, certaines situations sont toutefois perçues comme heurtant la sensibilité d’une certaine proportion d’entre eux. Ainsi, près de 4 Français sur 10 affirment avoir été « souvent » choqués ces derniers temps par des publicités qui montraient ou utilisaient la femme objet (39%) ou encore la violence (38%). L’utilisation de la vulgarité aurait aussi « souvent » heurté 34% des personnes interrogées.
Il est très probable que ces chiffres ne reflètent pas totalement la réalité, notamment en ce qui concerne la violence. Il est aujourd’hui extrêmement rare de voir passer une publicité utilisant ce thème dans les médias. Nul doute que le débat sur les éventuels dérapages et dérives de la télévision dans ce domaine, rejaillit pour une part sur la publicité. Si une proportion minoritaire mais non négligeable de Français considère qu’elle montre des images ou tient des propos violents, c’est aussi très certainement pour lui donner une part de responsabilité dans la violence diffusée à la télévision, puisqu’elle utilise beaucoup ce support. Par ailleurs, comme on le verra plus loin, la grande majorité des Français ne s’oppose pas aujourd’hui à ce que des situations violentes, inciviques ou vulgaires soient montrées dans une publicité à condition qu’un certain nombre de règles soient respectées. Dans ce cas, ils estiment pour la plupart ce qui serait montré ou dit ne les heurterait pas.
Là encore, on note que les populations traditionnellement les plus sensibles se montrent beaucoup plus fréquemment heurtées. Ainsi, les femmes affirment plus souvent avoir été choquées par une publicité utilisant la violence (45% contre 31% pour les hommes), la femme objet (46% contre 31%) ou encore la vulgarité (38% contre 30%). De la même façon, les plus âgés affichent aussi une sensibilité bien plus importante, que ce soit pour la violence (45% disent avoir été souvent choqués par une publicité récente contre 26% pour les moins de 35 ans), pour la femme objet (41% contre 34% pour les moins de 35 ans) ou encore la vulgarité (40% contre 23% pour les moins de 35 ans).
Sur les autres thèmes, les Français sont encore moins nombreux à se déclarer avoir été « souvent » choqués ces derniers temps par une publicité les montrant ou les utilisant, que ce soit l’impolitesse (seulement 28%), la nudité (22%), la sexualité (20%), les clichés ethniques (17%), la mort (16%) ou encore la religion (12%).
Il est intéressant de noter que pour la plupart des thèmes testés, la « consommation » importante de médias - notamment la télévision - influe quelque peu sur le sentiment d’être exposé à des situations ou propos choquants dans la publicité. Ainsi, les plus gros consommateurs de télévision (notamment ceux qui la regardent plus de trois heures par jour) sont plus nombreux à se déclarer souvent choqués par ce qu’ils voient dans une publicité. Le discours sur la banalisation induite par une forte exposition médiatique semble donc invalidé par cette étude qui tend à montrer qu’au contraire, une plus forte exposition conduit également à une plus forte probabilité d’être confronté à des images ou propos choquants, et donc à une plus grande sensibilité sur le sujet.
Si en matière d’incivilité et de violence, la publicité peut se permettre quelques audaces créatives c’est en respectant impérativement certaines règles.
En matière de publicité, il semble que la situation soit aujourd’hui complexe pour les gens du métier. Toutes les enquêtes le montrent, les Français ont aujourd’hui le sentiment qu’elle est plutôt une source d’ennui et attendent d’elle qu’elle soit plus distrayante mais sans heurter leur sensibilité et celle des autres.
Pour autant, au vu des résultats de l’enquête il ne semble pas que le niveau de sensibilité des Français interdise par principe l’utilisation de situations violentes ou inciviques par les publicitaires, à partir du moment où certaines précautions sont respectées.
Ainsi, la grande majorité d’entre eux considèrent qu’il est acceptable de montrer dans une publicité une personne qui met ses pieds sur la banquette d’un train ou d’un bus. Parmi eux, 20% estiment que cela est acceptable sans conditions et 62% que cela l’est sous certaines conditions. Seulement 17% affirment que cela est toujours inacceptable, quelles que soient les conditions. Les Français se positionnent de façon quasiment identique sur d’autres situations telles qu’une personne en train de taguer un mur (17% acceptable sans condition, 65% sous certaines conditions et 17% toujours inacceptable) ou un personnage qui donnerait un coup de poing à un autre (14% acceptable sans condition, 68% sous certaines conditions et 18% toujours inacceptable). Il en va presque de même si la publicité voulait montrer un adolescent qui répond mal à ses parents (13% acceptable sans condition, 69% sous certaines conditions et 17% toujours inacceptable), une personne qui rote ou qui crache (12% acceptable sans condition, 69% sous certaines conditions et 18% toujours inacceptable), une fusillade comme dans un film policier (21% acceptable sans condition, 62% sous certaines conditions et 16% toujours inacceptable) ou encore une personne qui trompe son conjoint (24% acceptable sans condition, 58% sous certaines conditions et 15% toujours inacceptable). Quelles que soient les situations testées, on est surpris par l’homogénéité des réponses puisque pour chacune des situations « testées », le niveau d’acceptabilité (avec ou sans conditions) est toujours supérieur à 80%.
Reste à identifier les principes qui rendent la publicité acceptable pour les personnes qui estiment que ces dernières sont nécessaires. Là encore, on est surpris par l’homogénéité des réponses données. La condition la plus fréquemment mentionnée est que la publicité soit mise en scène de façon humoristique. C’est aussi bien le cas pour une publicité qui montrerait une personne en train de taguer un mur, que pour celle qui mettrait en scène un personnage qui donnerait un coup de poing à un autre ou une fusillade comme dans un film policier. L’humour est perçu comme rendant chacune de ces scènes acceptables par 69% des personnes. Dans des proportions presque identiques, le fait que la publicité inclue une sanction ou une dénonciation du comportement choquant est aussi considéré comme un moyen de la rendre acceptable. Quelle que soit la scène considérée, ce facteur est perçu comme une condition d’acceptabilité par au moins 66% des personnes. En fait, à partir du moment où on se moque, où l’on sanctionne et où l’on dénonce, la très grande majorité des Français affirme ne pas être choquée par les incivilités et les violences.
Reste toutefois qu’une proportion non négligeable de la population considère que la mise en situation de ce type de situations est toujours inacceptable. Au sein de cette population plus réfractaire, les catégories de personnes précédemment identifiées comme plus sensibles sont surreprésentées. Dans la plupart des cas, les femmes et les personnes âgées sont plus nombreuses à juger que quel que soit le traitement proposé il est inacceptable de montrer dans une publicité des situations violentes ou inciviques.
Par ailleurs, l’enquête montre aussi que l’utilisation de situations violentes ou inciviques est majoritairement perçue comme inacceptable si elle se contente de les traiter de façon visuellement moins choquante ou dans un style moins réaliste. Ainsi, le fait de présenter le sujet sous la forme de bandes-dessinées ne passe pas. S’il n’est pas explicitement mentionné que ce traitement « différent » ne comporte pas une dénonciation de la violence ou de l’incivisme du comportement, les Français considèrent alors qu’il est alors inacceptable. Le ton peut être décalé mais en tout état de cause, il doit clairement critiquer d’une façon ou d’une autre ce qu’il montre. C’est à cette condition et uniquement celle-là que les Français accepteront l’utilisation de ces comportements au sein de la publicité.