Attraits du premium : valeurs et ressorts psychologiques

« L’ascenseur social est en panne, il faut prendre l’escalier », selon la formule bien connue. Dans cet escalier, comment se faire plaisir ? Réponse d’Yves Bardon, Directeur de la prospective Ipsos France.

Le shopper français veut de la qualité et du haut de gamme tout en fréquentant le hard discount. Comment les marques gèrent-elles ce paradoxe ?

Yves Bardon : D’un point de vue marketing, on y verra plutôt l’occasion d’identifier les familles de produits et les secteurs des marchés auxquels les gens associent une valeur ou pas. Avec d’un côté, les biens ou les produits auxquels on attribue une valeur croissante, ceux qui vont le plus susciter d’envie, de désir. Et de l’autre, les articles pour lesquels le désir de marque ne s’exprime pas ou peu.

Du plus cher au moins cher donc ?

Y. B. : Pas forcément dans la mesure où la notion de prix et notre rapport au prix ont beaucoup changé. Traditionnellement, avant d’acheter un produit quel qu’il soit, vous aviez trois lieux physiques de distribution : le magasin de proximité, la grande ou moyenne surface et la vente par correspondance. Aujourd’hui, vous trouvez les circuits des discounters, et surtout Internet qui permet de comparer l’offre tarifaire en temps réel. Le Web qui fait le lit du low cost et de la vente privée. Le Web qui favorise la (re)vente aux (entre) particuliers, le troc, etc. Le produit est ainsi amené à changer plusieurs fois de prix, et de vie. Le consommateur se retrouve en situation de revendeur. Il ne se projette plus dans la durée de l’usage de l’objet parce que pour lui, la revente est la condition d’accès au produit suivant. Nous sommes dans une déculpabilisation totale à l’égard de la notion même de revente. Ce sont autant de changements fondamentaux sur ces notions de prix.

Un choix et des prix plus avantageux, ça tombe bien au moment où les Français ont mal à leur pouvoir d’achat…

Y. B. : Il est imprudent de généraliser la notion de baisse de pouvoir d’achat. D’abord, ce n’est pas ce que disent les indices officiels. Même s’il est clair que la structure de consommation des ménages modestes est plus exposée à la hausse des prix que celle des hauts revenus. J’aurais plutôt envie de raisonner en terme de gestion de la trésorerie disponible, d’arbitrage, quand cela reste possible bien sûr.

Justement, comment arbitrer ?

Y. B. : J’ai faim, je mange. Besoin basique. Je ne compte pas sur un riz sélectionné hors de prix. Je cherche d’abord un riz standard à cuisson minute qui va me rassasier, régaler mes enfants et me faire gagner du temps. Ne raisonnons pas comme si nous étions dans les années où le triptyque entrée-plat-dessert était fondamental. C’est quand même un système de représentation sociale et culturelle qui n’est plus du tout le même. Les systèmes de valeurs changent. Si l’on transpose aux situations quotidiennes, il n’y a pas de raison majeure d’acheter des produits premium quand leur valeur n’est pas connectée à celle de la situation de consommation. Quelle est l’utilité d’un riz premium dans une consommation familiale, journalière, qui va au plus simple et au plus rapide ? Pourquoi se priver d’acheter un produit efficace au prix le plus attractif, lorsqu’il est distribué dans un système qui sécurise la distribution et garantit la confiance ?

Mais la valeur associée n’est pas toujours aussi objective. Que faites-vous d’autres ressorts plus psychologiques ? Pourquoi, par exemple, s’acheter une magnifique machine à café à capsules plutôt que la bonne vieille cafetière de grand-mère premier prix ?

Y. B. : Parce qu’au-delà de l’aspect pratique, moderne, esthétique, c’est la machine qui correspond le mieux à votre besoin par rapport à la situation de dégustation, au sens de gastronomie, que vous entendez créer, vis-à-vis de vous-même et des autres. Là, nous allons retrouver tous les produits dont l’image premium est construite par la technologie, les smartphones, les tablettes PC, les jeux vidéo, etc. Tous ces objets transversaux qui vont répondre aux aspirations et aux situations actuelles. Non seulement, ils sont utiles mais vous entrez clairement dans les catégories de l’envie, du désir, de la différenciation. D’autant plus quand il s’agit d’innovations fortes.

Vous parlez de « valeur ». On est bien là dans la valorisation de soi…

Y. B. : Être le « premier » à posséder quelque chose, il n’y a rien de plus flatteur. Je consomme premium. Je suis moi-même premium. Mais attention, exister en tant que premium face à un niveau d’exigence du public qui va croissant, c’est d’abord tenir toutes ses promesses de qualité, d’usage, etc. L’une des difficultés de l’exercice est d’ailleurs que les codes du premium peuvent être perçus par les consommateurs comme un pastiche ou une citation, et absolument pas comme une authenticité. Il ne suffit pas d’apposer du noir et de l’or pour convaincre l’acheteur. Parallèlement, le système de valorisation du premium doit se sophistiquer pour rester convaincant sur sa valeur de différenciation. C’est tout l’intérêt, par exemple, d’extraire le produit d’une distribution qui le banalise pour le sacraliser. Ce peut-être un lieu dédié, un service expert, un accueil personnalisé, une offre exhaustive… Apple fait ça très bien avec ses Apple Store ou son label Premium Reseller. C’est aussi l’esprit des flagship qui fleurissent dans les centres-villes. On se situe bien dans la classe premium, pas au niveau du luxe qui est encore plus intimidant et sélectif. La consommation doit demeurer la plus spontanée possible.

Auteur(s)

Articles liés

  • Ipsos | Sun'Agri | Agrivoltaïsme
    Energie Evènements

    Événement 24/02 | Ipsos et Sun'Agri au Salon de l'Agriculture 2025

    A l'occasion du Salon de l'Agriculture, Ipsos et Sun'Agri présenteront les résultats du Baromètre Agrivoltaïsme 2025.
  • Ipsos partenaire du Forum du Commerce Durable
    Société Evènements

    ÉVÉNEMENT - 21/01 | Ipsos partenaire du 1er Forum du Commerce Durable 2025

    Le mardi 21 janvier, le Palais de la Bourse à Lyon accueillera la première édition du Forum du Commerce Durable. Cet événement rassemblera 250 marques et plus de 50 experts du commerce durable. Ipsos, partenaire de l'événement, tiendra à cette occasion une conférence sur l'accompagnement stratégique en matière de développement RSE et business.
  • Ipsos Médias en Seine
    Société Evènements

    ÉVÉNEMENT - 14/01 | Ipsos partenaire de Médias en Seine 2025

    Ipsos participe à la 7ème édition de Médias en Seine qui se tiendra le 14 janvier à la Maison de la Radio et dans les locaux des Echos-Le Parisien. Cet événement rassemble experts, journalistes et spécialistes des médias pour débattre autour des enjeux du secteur. Cette année, le thème "Médias : l'ère des défis" interroge ses acteurs sur le rôle qu'ils jouent dans les dynamiques démocratiques, économiques et technologiques.