Ce qui sépare Marine Le Pen de Donald Trump - Brice Teinturier pour Les Echos

Donald Trump est certes un leader populiste, mais choisi par les Républicains dans un contexte politique bipartisan. Rien à voir avec une France fragmentée, qui précipite la dislocation des formations traditionnelles, écrit Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos en France. Pour le colloque Médias en Seine, ce jeudi, il se penchera sur les nouvelles fractures démocratiques dans le monde
Opinion | Ce qui sépare Marine Le Pen de Donald Trump


Tribune parue dans Les Echos du 19 novembre 2020

Il y a une tentation en France à rapprocher la performance électorale de Donald Trump, même battu, avec le potentiel électoral de Marine Le Pen, les deux ayant en commun d'incarner ce qu'on appelle souvent le populisme et de partager, il est vrai, un certain nombre de ressorts (un ancrage dans les territoires ruraux et les petites villes plutôt que les grandes métropoles, la dénonciation de l'establishment et d'élites coupées du peuple, celle des méfaits de la mondialisation ouverte, etc.). Malgré cela, il nous semble plus fécond de bien mesurer tout ce qui les sépare.

Tout d'abord, et on l'oublie un peu vite, Trump n'est pas le représentant des hors système ou des antisystèmes même s'il a pu user de cette sémantique. Il est avant tout le candidat des Républicains, dans un système politique profondément polarisé et plus bipartisan que jamais, notamment depuis les années 2000. Cela n'a rien à voir avec la France, fondamentalement fragmentée en multiples chapelles politiques et dont la dynamique centrale est au contraire d'aller toujours plus loin dans la dislocation des formations traditionnelles.

Trump agrège à ses électeurs blancs déclassés un électorat aisé et épris de liberté d'entreprendre, ce qui n'est rigoureusement pas le cas de celui de Marine Le Pen.

 En conséquence, et c'est une autre différence notable, Donald Trump est parvenu à fabriquer ce que jamais le Rassemblement national n'a réussi : des coalitions sociologiques et politiques. Oui, l'électorat blanc, populaire et déclassé, vote largement pour Trump, tout comme l'électorat populaire broyé par la mondialisation fournit en France le gros des bataillons de Marine Le Pen. Mais Trump agrège à ces blancs déclassés dans des proportions importantes un électorat financièrement aisé et épris de liberté d'entreprendre beaucoup plus qu'en attente de protection et de régulation, ce qui n'est rigoureusement pas le cas de celui de Marine Le Pen. Il a d'ailleurs jusqu'au bout conservé une crédibilité économique comparable à celle de Biden alors que c'est un point de faiblesse majeure de Marine Le Pen.

Des récits bien différents

D'un point de vue idéologique enfin, ces deux segments de l'électorat de Trump, socialement très éloignés, peuvent néanmoins se retrouver dans un conservatisme culturel partagé, dont l'hostilité à l'avortement est le symbole le plus clair. Ce n'est là encore pas le cas de l'électorat de Marine Le Pen, le conservatisme culturel étant davantage un marqueur d'une partie de la droite traditionnelle que du RN. Bref, l'un est un intégrateur qui parvient à unir des segments de la population apparemment aux antipodes, l'autre ne parvient pas ou pas encore à agréger des coalitions potentiellement gagnantes.

 Mais le plus important est peut-être ailleurs : la puissance du récit de Trump tient dans la force propulsive de son Graal : « Make America Great Again » est une promesse positive puissante. Elle permet de structurer le combat d'un héros, Donald Trump, qui lutte contre des adversaires qui, eux, sont en opposition avec ce Graal : la Chine, les médias, les « socialo-marxistes » représentés par Biden, les politiciens traditionnels, etc. Ce Graal s'appuie sur deux idées parmi les plus puissantes de l'histoire de l'humanité : l'amour de la liberté et l'éloge de la force.

Le récit du Rassemblement national n'a jamais été capable de proposer un Graal positif aussi fort. Depuis quarante ans, il joue sur le même triptyque, que l'on retrouve notamment dans ses discours à l'occasion du 1er mai : une vision apocalyptique de l'avenir, la décadence, le déclin inéluctable de la France. Une raison à cela : la faillite des élites, incapables, aveugles, coupées du peuple. Une cause majeure enfin, l'immigration. Un Graal positif et inclusif, voilà ce qui manque, notamment, à Marine Le Pen.

Allons plus loin : si, en 2020, Donald Trump a échoué, ce n'est pas en raison d'une personnalité de plus en plus « borderline ». Narcissique et borderline, il l'était et l'a été de 2016 à aujourd'hui ! Plutôt qu'une explication psychologisante, la surenchère dans la dénonciation de ses adversaires est surtout la conséquence d'une difficulté accrue à avoir un Graal aussi puissant et positif qu'en 2016. Tout simplement parce que la position de sortant, dans une situation économique affaiblie par la crise sanitaire, le rendait moins opérant. Marine Le Pen ne l'a pas encore compris. Jean-Luc Mélenchon si, qui nous parle maintenant d'harmonie !

Brice Teinturier est directeur général délégué d'Ipsos en France. Enseignant à Sciences-Po et auteur de « Plus rien à faire, plus rien à foutre. La vraie crise de la démocratie » (Robert Laffont), prix du livre politique 2017.

Les Echos
Medias en seine 2020

 

Ipsos et Sopra Steria sont partenaires de Médias en Seine

Brice Teinturier interviendra à 16 h 30 sur le thème « Démocratie : panorama mondial des nouvelles fractures ».

INFORMATIONS & INSCRIPTION

Auteur(s)

  • Brice Teinturier, Directeur Général Délégué France, Ipsos
    Brice Teinturier
    Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)

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