Chronique d'une génération : les années 70 racontées par une grand-mère Française
Créé en 1975 Ipsos fête en 2015 ses 40 ans. L’occasion de revenir sur quatre décennies, en donnant la parole pour chacune d’entre elles à des anonymes qui en délivrent leur vision personnelle. Pour Brigitte, les années 1970 restent avant tout marquées par la loi Veil sur l’avortement, témoignage :
« Du mal à contenir mon émotion »
Ses mots sont pesés. Ses mains sont posées. À plat, sur le pupitre réservé aux orateurs de l’Assemblée Nationale. Ni effet de manche ni accent de tribun. Inutile. Déplacé même. En ce 26 novembre 1974, devant un parterre composé de 481 hommes et de seulement 9 femmes, la force de l’intervention de Simone Veil, ministre de la santé, est tout entière contenue dans son propos et la cause qu’elle défend, d’une voix calme mais ferme : le droit à l’avortement. « Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les 300 000 avortements qui chaque année mutilent les femmes… Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il suffit de les écouter. C'est toujours un drame. »

En voyant ces images, en écoutant ces phrases, j’ai du mal à contenir mon émotion. Un drame, oui, c’est ainsi que j’ai vécu ma propre « Interruption Volontaire de Grossesse », comme l’énonce l’intitulé du texte de loi. Un drame vécu à 20 ans, l’âge ou tout, et l’amour plus que tout, devrait être insouciance. Un drame au goût d’angoisse, de culpabilité, et de solitude, au retour d’un clandestin et sordide voyage en Angleterre, où moyennant finance, un médecin a accepté de faire « le sale boulot. ». « Parmi ceux qui combattent aujourd'hui une éventuelle modification de la loi répressive, combien sont-ils ceux qui se sont préoccupés d'aider ces femmes dans leur détresse ? » poursuit Simone Veil. Peu de monde à l’époque, en ce qui me concerne, à l’exception de quelques amies, au réconfort précieux et à la compréhension presque charnelle de ce que j’avais vécu. Mais à l’aube des années 70, les temps commencent fort heureusement de changer. Les décrets d’application de la loi Neuwirth – votée en 1967 – sur l’autorisation du recours à la contraception orale – la fameuse pilule ! - sont entrés en vigueur. Dans l’opinion publique, les deux tiers des femmes sont favorables à l'avortement. « Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses... On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l'une d'elles, je déclare avoir avorté. » L’auteur du « Deuxième sexe », Simone de Beauvoir, rédige en ces termes le court manifeste des « 343 salopes », selon l'expression, qui passera à la postérité, du regretté Cabu dans "Charlie Hebdo". Il est publié par le magazine « l’observateur » le 5 avril 1971.

Jeanne Moreau et l’avocate Gisèle Halimi comptent au nombre des signataires. Il inspirera la loi sur l’avortement, que le parlement vote en décembre 1974. J’ai 71 ans aujourd’hui, trois enfants et quatre petits-enfants, que j’adore.
En avril 2015, Caprice des Dieux et Ipsos ont cherché à savoir quelles mamans étaient les femmes françaises. Une femme, qui a su mener de front une vie de mère et une carrière politique, incarne la maman qu’elles auraient aimé avoir. Son nom : Simone Veil.