Comment communiquer l'innovation ?
Question : Dans une époque de relative saturation de l'offre et de consommateurs très éclairés et exigeants, comment communiquer l'innovation ?
Isabelle Milgrom : Le consommateur est en effet sur-sollicité et navigue dans la société de l' hyperchoix . « Eduqué » par des décennies de marketing , son niveau d'exigence est élevé et son expertise certaine. D'ailleurs les marques le comprennent bien et on n'a jamais autant qu'aujourd'hui entendu les mots «achat malin », « achat intelligent » « choix ».
A cet égard, il fait parfaitement le distinguo entre une innovation qui lui est utile et une « fausse » innovation qu'il va sanctionner en la « boudant ».
Par ailleurs, le consommateur est blasé : dans cette société d'hyperchoix où il est submergé par l'offre, il est beaucoup moins désirant . Quand on a tout ou que l'on peut tout avoir, on ne désire plus et on sature.
La communication de l'innovation doit alors créer du désir pour cette innovation. Ceci est vraiment clé car innover ce n'est pas seulement créer et proposer des produits ou des services qui peuvent changer la vie des gens ; les gens eux-mêmes le comprennent et l'intègrent. C'est ce qui explique que certaines marques qui arrivent après d'autres deviennent leaders car elles font mieux comprendre au consommateur ce qu'il peut retirer de l'innovation proposée, en termes de bénéfices pour lui.
Q : Par rapport à notre consommateur blasé, comment réinstaller le désir ?
I.M. : Comme dans la vie à savoir via le manque et la surprise . Bien sûr il n'y a pas de règles absolues pour communiquer l'innovation mais il semble y avoir des stratégies gagnantes avec des exemples de réussite.
Nous en avons isolé cinq qui ne sont évidemment pas exclusives les unes des autres et qui ne sont pas non plus des règles d'or mais elles sont intéressantes car elles donnent à réfléchir et tiennent compte d'un consommateur devenu conso-acteur .
1/ Ne pas tout révéler pour donner envie d'en savoir plus
Dans cette société d'abondance, c'est en créant le manque, que l'on crée l'envie. Beaucoup de marques ne communiquent pas l'ensemble des dimensions de leur mix, voire expriment de façon allusive les bénéfices consommateurs.
C'est le cas pour certaines nouvelles technologies, souvent trop complexes, qui font le choix d'un angle, souvent le plus petit pour donner envie du tout : le Ipod qui choisit l'angle du design et du life style ou la Xbox 360 qui choisit l'attribut du grand écran 3D. Ni la Xbox 360, ni Ipod ne disent en quoi consiste précisément leur offre ; elles se contentent de donner envie d'en savoir plus.
2/ Parler différemment et renverser les lois média traditionnelles
Cela passe par le fond et la forme.
Pour le fond, c'est toute la notion d'advertisement : quand on recourt à l'émotion et au spectacle et qu'on y arrive, on évite l'écueil de la rationalisation et de la critique d'un consommateur hyper-averti. Quand l'émotion est au rendez-vous, le désir n'est pas très loin . D'ailleurs la publicité favorite des Français en 2005 ne montre-t-elle un très beau spectacle publicitaire avec une voiture-robot qui danse (Citroën C4).
Pour la forme, cela passe par l'utilisation de canaux inattendus. Ainsi approcher le consommateur par un media nouveau ou peu usité est une façon de communiquer l'innovation.
Ainsi quand Xbox installe dans Paris des affiches interactives qui permettent de jouer, c'est une façon inédite de dire innovation avec une réinterprétation de l'affichage tout à fait inédite.
Quand voyages-sncf.com utilise le levier du canular, avec une campagne d'affichage annonçant la création d'un train reliant Paris à New York, c'est une façon inattendue et impactante de communiquer son message clé à savoir : voyages-sncf ne propose pas que des billets de train.
Par ailleurs, face à un individu multitâches et multiconsommateur de media, de plus en plus de marques communiquent de façon circulaire et holistique . Il est clair que des media de proximité de type street marketing, partenariat avec un magasin, affichage dans les transports, dans les cafés…ont un avenir certain.
Q : Cela signifie-t-il que face à un consommateur méfiant ou en retrait par rapport au discours autoritaire des marques, il faille faire évoluer les stratégies média ? En d'autres termes, est-ce la fin de la puissance comme principe média universel ?
I.M. : Les media traditionnels sont plus que jamais utilisés pour leur puissance mais moins en démarrage de campagne. Face à un consommateur qui prend de la distance par rapport au discours des marques, les démarches actuelles de création de connivence avec le public via des média nouveaux et un peu plus surprenants aide les marques à ouvrir la brèche et à gagner en visibilité.
Certaines marques d'alcool, qui utilisent le bouche à oreille et leur présence dans certains bars pour créer la demande, constituent également des exemples intéressants. Ainsi beaucoup de pre-mix n' ont pas ou peu communiqué en presse ou affichage et ont existé d'abord via le lieu de vente.
Q : Quelles sont les trois autres stratégies ?
I.M. : Les trois autres stratégies sont de…
1/ Créer des communautés de fans
La théorie du Mimesis développée par René Girard dans « Mensonge romantique et vérité romanesque » explique que le désir fonctionne par imitation et que pour désirer il faut voir d'autres individus désirants.
C'est tout à fait applicable à la consommation. Ainsi , le succès de Treo est d'abord venu d'une communauté d'early adopters qui avait créé un site et tout un environnement autour du produit.
2/ Parler vrai
Cela semble peu nouveau au premier abord mais la façon de parler vrai a évolué. L'authenticité du discours passe par une forme sans concession pour un consommateur qui veut une matérialisation forte des promesses.
C'est le cas de la success story Cillit Bang. Cette marque de produit d'entretien pour la maison propose un mix assez étonnant : des claims d'efficacité radicaux, un pack et une copy très « bruts» et quasi « anti-marketing » : on ne recherche pas la séduction mais vraiment la conviction. Cillit Bang communique avec un film qui ressemble à du télé-achat. Le consommateur voit une publicité tellement « basique », dépouillée et sans artifice qu'elle en est crédible et très convaincante.
3/ Faire intervenir le consommateur en tant qu'émetteur
On sait le consommateur de plus en plus acteur et actif. Par ailleurs, il a aujourd'hui les moyens de sa « proactivité » : en effet, via les nouvelles technologies, il lui est désormais possible d'émettre du contenu .
Le consommateur apprécie de participer car cela matérialise son sentiment d'avoir une prise sur la consommation.
Ainsi, BMW aux Etats-Unis, capitalisant sur le lien très spécifique qui unit le possesseur d'une BMW à son véhicule, a demandé à ses clients de se photographier aux côtés de leur voiture. Les photos ont servi de base à la conception d'une campagne qui a été un grand succès.
On peut imaginer que de nouveaux types de créations mêlant différents media vont voir le jour et créer des ruptures intéressantes avec de véritables nouveaux systèmes de communication aptes à servir l'innovation.