De la mobilisation par antagonisme à la mobilisation de soutien ?

Dans un article publié dans le dernier numéro de la revue l'Hémicycle que nous reproduisons, Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos France, décrit les conditions qu'il faudra réunir pour que la gauche puisse bénéficier en 2012 non plus seulement d'une mobilisation de rejet du pouvoir en place, mais aussi d'un mobilisation de soutien qui pourrait la porter vers la victoire.

Auteur(s)
  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)
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Plusieurs signaux commencent à émerger de la société et ne coïncident pas avec l’idée que les Français se détourneraient de plus en plus de la politique ou, ce qui revient au même, qu’ils n’y croiraient plus. La crise du résultat, on l’a souvent dit ici, ajoutée au retour des affaires et des mallettes, constitue une formidable machine à fabriquer du scepticisme, de l’impuissance perçue et au final, une abstention accrue. Dans cette optique, 2012 devait ou devrait davantage se rapprocher du modèle 2002 que du modèle 2007. Et pourtant, les émissions politiques tiennent leurs audiences, le 1er débat de la campagne des primaires a réuni, à la surprise générale, près de 5 millions de français et l’intervention de Dominique Strauss-Kahn plus de 13 millions. Or, un tel chiffre ne peut s’expliquer uniquement par la curiosité d’un citoyen voyeuriste qui, après 4 mois du plus formidable « teasing » jamais imaginé, aurait attendu « le dénouement » d’un film sans précédent. En réalité, DSK incarnait une espérance et pour une part importante de Français, il s’agissait de comprendre ce qui s’était passé et de s’assurer qu’il était véritablement hors course - même si cela était évident, tant le deuil comporte sa phase de déni. L’intéressé l’ayant dit et signifié, une autre séquence pouvait s’ouvrir.

Cette séquence est pour l’instant principalement marquée du sceau du rejet : dans la dernière vague du baromètre Ipsos Le Point, l’ensemble des personnalités de la majorité baisse et parfois de manière importante tandis que toutes les oppositions progressent, y compris le Front National. Nicolas Sarkozy quant à lui reste encalminé dans la zone des 35% de jugements favorables avec un niveau particulièrement élevé - et qui ne se modifie pas - de jugements défavorables : 62%, dont 33% de jugements « très défavorables » (contre 6% de « très favorables »). En matière de crédibilité économique, le chef de l’Etat se voit maintenant largement dépassé par le candidat Hollande, qu’il s’agisse de lutter contre la dette et les déficits ou, plus largement, de faire face à la crise économique : 20 points de plus en faveur du leader PS* ! Quant aux émissions qui font recettes, ce sont celles qui mettent en scène les socialistes ou Marine le Pen, non les ténors de la majorité.

Tout cela est symptomatique d’un pouvoir largement rejeté et critiqué et VGE en son temps, tout comme la gauche mitterrandienne au début des années 90, ont connu semblable situation. Or, cela ne suffit pas forcément à faire une alternance. Il faut pour cela y ajouter une mobilisation de soutien et pas seulement de rejet. C’est d’ailleurs la limite avec l’analogie de la période giscardienne : en 1981, le PS avait su créer l’espoir qu’une politique différente était possible, à la fois plus juste et plus efficace pour lutter contre le chômage et l’inflation. L’alternance a depuis tué cette espérance. C’est cette espérance qui est néanmoins peut-être en train de renaître.

Pour que la mobilisation de soutien opère, il lui faut en effet trois leviers, dont on discerne aujourd’hui qu’ils commencent à être à l’œuvre : 

Une incarnation : elle est en train de s’opérer avec François Hollande, qui depuis deux ans trace avec succès son sillon dans l’opinion. Les primaires ne sont pas achevées et il convient donc de rester prudent mais tout semble indiquer que le PS a sans doute trouvé son leader et que ce dernier est capable de mobiliser la gauche tout en mordant sur le centre, voire le centre droit et une partie de l’électorat âgé.

Une crédibilité et des idées : l’avantage de François Hollande tient en grande partie à la crédibilité que les Français lui accordent, en particulier économique, dont il a fait sa marque de fabrique. Non pas tant en raison de sa formation – d’autres ont rigoureusement la même – ni de ses choix passés – n’ayant jamais été ministre, il ne peut s’en prévaloir - que du choix délibéré de mettre l’accent, très tôt, sur l’importance de la crise et des déficits, ainsi que sur la nécessité d’une réforme fiscale pour arguer d’une autre politique malgré tout possible. La crédibilité se nourrissant de la cohérence,  être parti plus tôt sur ce terrain et n’avoir point dévié lui confère un réel avantage. A cela s’ajoute le fait que le PS a élaboré une plate forme programmatique. Mais ce que le 1er débat des primaires a fabriqué, c’est comme une preuve de l’existence de ces diverses voies de passage. D’une part, parce qu’elles étaient incarnées ; d’autre part, parce que les candidats avaient et ont plus que des nuances sur le sujet. Pour l’opinion, bonnes ou mauvaises, c’est donc bien qu’elles existent, ces idées.

Une équipe : enfin, ce 1er débat a paradoxalement visualisé la possibilité d’une équipe gouvernementale. Ils étaient là pour s’opposer ou à tout le moins se différencier mais on pouvait parfaitement les imaginer demain au sein d’un même Gouvernement. C’est le 3ème levier d’une mobilisation de soutien : donner le sentiment d’une équipe potentiellement unie et préempter un autre mythe mobilisateur, celui du rassemblement. 

Tous ces signes sont ténus et sans doute encore fragiles. La croute de scepticisme des Français est par ailleurs épaisse et la route encore longue jusqu’à 2012. Mais si à une mobilisation de rejet s’ajoute, même partiellement, une mobilisation de soutien et les prémisses d’une espérance possible, la majorité risque de se trouver dans une situation de plus en plus difficile à modifier.

* Sondage Ipsos Le Point

Auteur(s)
  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)

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